La St Valentin & l'Enfer de Dresde y'a 60 ans
La St Valentin, c'est pour les Z'Amoureux, c'est du Rose partout et c'est commercial....... Le 14 et 15 février 1945, Dresde en Allemagne était réduite en cendres...
Je met ici le texte de Jean Forest paru dans le journal Québequois Le Devoir :
Dresde et la St Valentin
par Jean Forest
Professeur à la faculté des lettres de l'Université de Sherbrooke (Etats Unis d'Amérique)
Depuis une cinquantaine d'années, vous le savez si vous avez voyagé, il n'est pas si facile de trouver des villes parfaites [ ]. En Europe, il en reste combien? Quelques cités auxquelles, par miracle, on n'a pas encore pu toucher.
Paris, oui, mais à condition d'en soustraire la tour Montparnasse comme celle de la faculté des sciences et de tourner le dos au rond-point de la Défense, un poulailler dont la basse-cour ne voudrait certainement pas. Venise, même si elle pue à cause des vedettes automobiles, de la raffinerie de pétrole et du complexe industriel si opportun qui menacent de la torpiller. Florence, si jolie, naturellement, surtout quand on peut en voir le bout du nez entre deux hordes de touristes. Prague, que les bombardements ont par miracle contournée, et surtout Bruges, intacte parce que restée en marge du sacro-saint progrès qui ravage tout sur son passage.
En Asie, plus rien. [
] En Russie, à part le centre de Leningrad, rien, fini. En Afrique noire, rien. Et si, en Afrique musulmane, les médinas ont résisté, c'est que leurs ruelles y interdisent la circulation à l'occidentale.
En Amérique du Nord, rien non plus, les métastases du cancer terminal qu'est Nouillorque se répandant à la vitesse de l'éclair pour ruiner partout le paysage à l'aide des mêmes éternelles laideurs.
En Angleterre, plus rien en dehors des petites cités d'Oxford et de Cambridge, et puis, dites-moi, vous iriez vraiment admirer les inénarrables splendeurs de Manchester ou de Liverpool ?
L'Allemagne, par contre, a été gâtée, du moins jusqu'en 1939, elle qui s'enorgueillissait de posséder Francfort, Cologne, Munich et Hambourg parmi bien d'autres bijoux qui remontaient au Moyen Âge, rien de moins.
Dresde, surtout, faisait son orgueil, la Florence du Nord, merveille des merveilles léchée sous toutes ses coutures, depuis le XVIIe siècle, par des tas de rois de Saxe qui ne croyaient pas aux gratte-ciel, quoique beaucoup au talent des artisans grâce auxquels ils bâtirent la renommée mondiale de leur capitale baroque.
Mais ça, c'était avant, comme qui dirait dans le bon vieux temps.
Après
Les Anglais et les Américains se sont beaucoup amusés, entre 1942 et 1945, à démolir just for fun les plus belles villes d'Allemagne, des agglomérations dont la valeur stratégique était nulle. Quelle pouvait bien être, en février 1945, la valeur stratégique d'une ville purement touristique comme Dresde ?
Les cités tombèrent comme les poupées à la foire, une à une, au rythme de centaines de raids, dont les plus massifs réunirent bien au-delà de mille bombardiers et des centaines de milliers de bombes. Francfort et sa cité médiévale, Cologne et ses églises romanes, Munich et ses trésors baroques, Berlin enfin, la capitale haïe, toutes y passèrent, à quelques rares exceptions près, au sein desquelles on compta Dresde jusqu'à la Saint-Valentin de l'an de guerre 1945, quelques mois seulement avant la fin des hostilités, l'Armée rouge se trouvant alors à une petite centaine de kilomètres de la ville. [
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À Dresde, de surcroît, on ne trouvait pas de défense antiaérienne, personne ne croyant que les Alliés, défenseurs de democracy and freedom, oseraient s'en prendre à Florence, Bruges, Venise ou Dresde. Cela n'empêcha pas Winston Churchill de donner personnellement l'ordre de la détruire [
].
Une première vague de 1400 bombardiers anglais lâche ses bombes sur Dresde vers 10h du soir, le 14 février, des bombes incendiaires qui font disparaître la cité historique en l'espace d'une dizaine de minutes, le vieux bois sec centenaire flambant avec une fougueuse bonne volonté.
Vers 1h30 du matin, une deuxième vague de bombardiers anglais surgit à point nommé pour jouir de la capitale de la Saxe en flammes, des flammes qui, selon l'Encyclopædia Universalis, engloutiront 400 000 innocents pris au piège dans un étau de feu. L'eau de l'Elbe bout en effet à gros bouillons, l'asphalte se liquéfie et on crève asphyxié par dizaines de milliers faute d'oxygène à respirer.
Or on ne fuit pas davantage Dresde qu'on échappe aux flammes de l'Enfer quand déferle, tombé des airs, le plus monstrueux des tsunamis. Il fera pour cette raison presque trois fois plus de victimes que la bombe atomique à Hiroshima, un massacre dont on se garde bien de parler au royaume des pharisiens.
Ce n'était cependant pas fini, les Américains, in God they trust, lançant à leur tour plus de mille bombardiers sur Dresde le lendemain midi, autant de tortionnaires volants acharnés sur une ville qui n'existait plus et dont, à cent kilomètres à la ronde, on apercevait clairement le brasier, témoin de son holocauste.
Les Mustang, pour finir le travail, mitrailleront les colonnes de réfugiés qui cherchaient à rejoindre Chemnitz ou l'une ou l'autre des petites villes situées autour de la cité défunte.
C'était il y a 60 ans, les 14 et 15 février 1945.
Les Anglais à eux seuls balancèrent cette nuit-là 650 000 bombes incendiaires sur le coeur de la Florence du Nord, une superficie comparable à celle de la Vieille Ville de Québec. Le lendemain soir, les mêmes bombardiers largueront 750 000 autres bombes incendiaires sur Chemnitz : il ne restera rien de Chemnitz, pour ne rien dire des réfugiés. [
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Savons-nous bien que nous avons détruit l'Allemagne, la Normandie, la Picardie, le Japon, la Corée, le Vietnam, le Laos, le Cambodge, l'Afghanistan, la Tchétchénie ? Que nous détruisons actuellement Bagdad et l'Irak et qu'au Pentagone pourrait bientôt sonner l'heure de la destruction de l'Iran et de la Syrie ?
Allons-nous donc détruire ce qui nous reste de beauté dans le monde, dont les mosquées de Damas, in the name of democracy and freedom and almighty God ? Qui donc arraisonnera notre nef des fous ?
Source: Le Devoir, samedi 12 février 2005