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L'ETOILE de NORMANDIE, le webzine de l'unité normande
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6 octobre 2008

Bienvenue chez les Normands

Bienvenue chez les Normands
"L'identité normande est une construction"

Propos recueillis par, Jacques Trentesaux, publié le 06/10/2008 18:34 – (Source : l’Express.fr ; mis à jour le 13/10/2008)
Historien du sensible - c'est-à-dire des représentations - François Guillet (1) a consacré sa thèse de doctorat aux stéréotypes qui ont donné naissance à l'image de la Normandie. Pour L'Express, il explique comment ils ont été créés, au cours du XIXe siècle, par des érudits locaux, mais aussi parisiens et même britanniques.

François GUILLET

"Naissance de la Normandie. Genèse et épanouissement d'une image régionale 1750-1880" première édition: Caen, Annales de Normandie 2000 591 p. ( avec une préface d'Alain CORBIN, le grand historien anthropologue né dans l'Orne...). Une édition plus grand public est sortie à l'automne 2008

Lorsqu'on évoque la Normandie, des images de vaches paissant paisiblement dans des prairies bien vertes, de camemberts moelleux ou de maisons à colombage viennent immédiatement à l'esprit. Sont-elles conformes à la Normandie?
Ces représentations résultent en grande partie d'une invention. Historiquement, la réalité n'est pas celle-là. Le couchage en herbe n'a commencé à se développer qu'à partir du XVIIIe siècle, mais surtout au XIXe. La grande aventure du camembert ne démarre vraiment qu'avec l'invention de la fameuse boîte ronde en peuplier et l'arrivée du chemin de fer, qui permet d'acheminer ce produit jusqu'à la capitale dans un temps bref à une époque où les méthodes de conservation sont rudimentaires. Avant de se spécialiser dans l'élevage et les produits laitiers afin de fournir le marché parisien, la Normandie était pour la plus grande part une terre de cultures céréalières.

Quels autres éléments identitaires relèvent d'une construction pure et simple?
Il y en a énormément. On peut parler des ethnotypes. Par exemple, l'image du Normand procédurier ou hésitant, qui ne répond jamais franchement à une question. Elle provient très probablement du fait que la province a disposé d'un régime juridique particulier jusqu'à la Révolution. Elle était régie par la coutume de Normandie, un droit privé régi par le parlement de Rouen. Or, celle-ci apparaissait comme particulièrement compliquée aux yeux des étrangers, ce qui occasionnait toutes sortes de procès. Il s'agit là vraiment d'une construction, car je ne vois pas de raisons objectives pouvant expliquer cette réputation. Elle est comparable à celle du Breton qui serait têtu, du Gascon fantasque, du Provençal joyeux...

Des historiens ont affirmé que la Normandie était "l'archétype du décalage entre réalité et représentation". Qu'en pensez-vous?
Ce n'est pas faux. Dans la première moitié du XIXe siècle, une image romantique, archéologique, tournée vers le passé est mise en avant. Elle laisse largement de côté la réalité sociale, la vie des paysans, des pêcheurs du littoral... Certes, quelques travaux portent sur les modes de vie, les superstitions et les croyances des habitants du Bocage, cette vaste région vallonnée située à cheval sur les départements du Calvados, de l'Orne et de la Manche. On s'intéresse à cette population parce qu'elle a été rebelle sous la Révolution et on alimente à cette occasion l'image du paysan arriéré.
C'est aussi à cette époque que des stéréotypes physiques, qui perdurent encore aujourd'hui, voient le jour.
En effet. Les habitants du Bocage -les Bocains- sont décrits comme de petite taille, peu laborieux... Les Cauchoises, en revanche, sont réputées grandes et bien faites. On dit aussi des pêcheurs dieppois qu'ils disposent d'une grande longévité grâce aux embruns... Toutes ces images sont forgées d'après une théorie médicale -le néohippocratisme- qui rapporte les maladies à la force et à l'orientation des vents mais aussi à la nature des sols. L'habitant est analysé comme une sorte de prolongation naturelle de sa terre.

Les grandes dates de la Normandie :
911. Le chef viking Rollon obtient un territoire en échange de sa conversion. C'est l'embryon du futur duché de Normandie, qui sera créé en 933 après l'annexion du Cotentin et de l'Avranchin.
1066. Victoire de Hastings. Guillaume le Conquérant devient roi d'Angleterre.
1204. Philippe Auguste rattache la Normandie au royaume de France (laissant de côté les îles Anglo-Normandes).
1337-1453. Guerre de Cent Ans et bûcher de Jeanne d'Arc, à Rouen, en 1431.
1432. Création de l'université de Caen.
1791. Invention du camembert par Marie Harel.
1843. Ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Rouen-Le Havre.
6 juin 1944. Débarquement allié.
1956. Division administrative de la Normandie en deux régions.
1995. Inauguration du pont de Normandie.

Qui participe à la construction de cette identité normande?
A la différence de la Bretagne, l'image de la Normandie n'a pas été façonnée uniquement par des étrangers. Les érudits normands ont joué un grand rôle par l'intermédiaire des sociétés savantes dont la tradition et la force -sans équivalent en France- remontent au XVIIe siècle. Les élites s'y réunissent pour parler de poésie, d'histoire, de botanique... Elles publient des bulletins dans lesquels on évoque l'amélioration des méthodes agricoles, la classification des végétaux ou, sous l'impulsion d'Arcisse de Caumont, la conservation des monuments.

Ces notables veulent-ils affirmer une culture régionale par opposition au centralisme parisien?
Oui, très clairement. L'un de leurs objectifs est d'explorer l'identité normande et de créer une "petite patrie" par la mise en valeur des particularismes locaux. C'est ainsi qu'ils établissent une carte géologique de la Normandie, élaborent un glossaire du parler normand ou inventorient les vestiges médiévaux. Ils seront à l'origine de la terminologie roman/gothique reprise ensuite par les universitaires. Il y a quelque chose d'assez réactionnaire dans cette manifestation d'indépendance à l'égard de Paris. Beaucoup d'érudits normands sont, il est vrai, des nostalgiques de l'Ancien Régime.
L'un d'eux, Eugène Gigault de La Bedollière, affirme avec force: "La Normandie n'est ni une province ni un assemblage de départements. C'est une nation."
Les érudits normands se pensent en effet comme une nation, avec son histoire, ses institutions. Derrière cette citation affleure aussi la tentation politique de l'autogouvernement des notables sur "leur" territoire, sans que cela entre d'ailleurs en conflit avec l'identité nationale. A travers la Normandie, on célèbre aussi la France.
L'identité normande se construit aussi de l'extérieur, par le regard que portent notamment les cousins anglais...
A partir du XVIIIe siècle, des membres de la société des Antiquaires de Londres sillonnent la Normandie, cette "province d'outre-mer", en raison de l'intérêt qu'ils portent à l'architecture gothique, dont les origines sont normandes. C'est le grand mouvement du Gothic Revival. On réinvente un Moyen Age mythique. On vénère le pittoresque.
Un mouvement renforcé par les élites parisiennes, qui, elles aussi, se mettent à parcourir la Normandie de long en large...
Tout à fait. Il faut mentionner une date importante. En 1820 paraît le premier tome des Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France, coécrit par Charles Nodier et Justin Taylor. Il s'agit d'une célébration par excellence de la Normandie romantique, ornée de lithographies magnifiques. Les ruines de Jumièges y font l'objet d'un véritable culte. D'autres tomes suivront jusqu'en 1878. Leur retentissement sera grand dans l'Europe entière. N'oublions pas que la France est alors perçue comme le centre du monde.

Les artistes affluent-ils à la suite de cette parution?
Oui. C'est le cas de nombreux dessinateurs de vue et d'écrivains, même si leur rôle sera beaucoup plus important dans la deuxième partie du xixe siècle. Victor Hugo, par exemple, s'inspire très fortement de la cathédrale de Rouen pour rédiger son roman Notre-Dame de Paris. Il connaît bien le travail des érudits normands, qui l'influence beaucoup. Tous contribuent à faire de la Normandie une province bucolique et idyllique.
Les différences sont nombreuses d'une partie de la Normandie à une autre. Qu'elles soient géologiques, économiques, culturelles... La région est composée d'une mosaïque de terroirs (les pays d'Auge, de Caux, de Bray, le Perche, le Cotentin...).

Quels sont les ferments de l'unité normande?
C'est surtout l'histoire qui constitue le "socle" de l'identité et de la conscience normande. Avec, bien sûr, en 911, la victoire du chef viking Rollon et la création du duché de Normandie qui suivit. Le duché sera ensuite incarné par Guillaume le Conquérant, la grande figure normande. L'illustre personnage bénéficie lui aussi d'une construction historique qui favorisera son entrée dans la galerie des héros de la France. Au tout début du XVIIIe siècle, la tapisserie de Bayeux -qui vante sa conquête de l'Angleterre- est remise au goût du jour par le moine Bernard de Montfaucon. En 1803, elle sera exposée en grande pompe au musée Napoléon (l'actuel musée du Louvre). L'empereur des Français s'apprête à conquérir l'Angleterre et il en fait un formidable instrument de propagande. En 1851, une statue en l'honneur de Guillaume le Conquérant est érigée à Falaise, sa ville natale, devant une foule considérable. Une souscription populaire a été lancée pour l'occasion, à laquelle le futur Napoléon III participe lui-même. Le député de Lisieux François Guizot prononce un grand discours. L'événement jouit d'un retentissement certain.

Quelle est l'importance réelle des Vikings dans l'histoire régionale, ces fameux "Nordmen" qui donnent leur nom à la Normandie?
Elle est largement surestimée. Dans les années 1880, un mythe viking est forgé qui ne cessera de prendre de l'ampleur. Des gens tout à fait sérieux comme André Siegfried, l'un des fondateurs de la sociologie politique, reprennent ce thème. Dans son Tableau politique de la France de l'Ouest (1913), il va jusqu'à expliquer les options politiques de la Normandie par ses origines vikings. Il s'appuie sur la théorie des climats développée par Montesquieu, selon laquelle les fibres du corps sont resserrées lorsqu'on vit dans le froid... ce qui donne des gens particulièrement énergiques. Or, après la guerre de 1870, la France éprouve le besoin de se sentir forte, c'est-à-dire capable de prendre sa revanche! Durant cette période, les ancêtres vikings sont célébrés par des historiens et poètes normands. En 1911, une grande manifestation est organisée à Rouen pour le millénaire du duché de Normandie. Le président de la République figure dans le comité de commémoration tout comme les sociétés d'originaires -c'est-à-dire les Normands de Paris- très puissantes en raison du fort exode rural. On y associe même de vrais Vikings, en invitant des Norvégiens, des Danois et même des associations de Scandinaves d'Amérique!
Cette construction identitaire occulte complètement l'histoire industrielle régionale. Or la Normandie, c'est aussi l'odyssée du textile, les activités portuaires, la chimie... et tout cela n'est que rarement évoqué.
Effectivement. Il existe un contraste entre une région à repères forts (les falaises d'Etretat, le Mont-Saint-Michel, les grandes abbayes de Caen, la cathédrale de Rouen, les plages de Trouville et ensuite du Débarquement, les stations balnéaires...) et la réalité d'une région qui a connu une industrialisation précoce. La population du Havre, par exemple, passe de 20 000 à 130 000 habitants au cours du XIXe siècle, à mesure que la ville se transforme en un grand port cosmopolite. Il est vrai aussi que la Normandie ne figure plus aujourd'hui parmi les régions les plus dynamiques. Au XIXe siècle, elle a sans doute été une des provinces les plus riches de France. C'est très loin d'être le cas aujourd'hui, notamment en Basse-Normandie, qui souffre démographiquement.

Les Normands semblent nourrir un complexe à l'égard des Bretons. Comment l'expliquez-vous?
C'est très récent. Jusque dans les années 1960-1970, le "lion normand"- un guépard, en fait- dominait "l'hermine bretonne"; les Normands se considéraient comme bien supérieurs aux Bretons. La Bretagne a longtemps été vue comme une région archaïque et pauvre, dont une partie de la population ne parlait même pas le français... A ses côtés, la Normandie apparaissait prospère, moderne, ouverte... Le retournement s'explique sans doute par le lourd tribut payé par la Normandie à la crise économique. Et puis, culturellement, les Bretons se sont appuyés sur leurs particularismes linguistiques. Ils se sont forgé une identité celtique qui leur a permis de mieux s'en sortir, même s'il s'agit en grande partie d'un fantasme. Aujourd'hui, le tourisme est bien plus développé en Bretagne qu'en Normandie, alors que cette dernière accueillait toute l'aristocratie européenne au XIXe siècle...

(1) Il vient également de publier La Mort en face. Histoire du duel de la Révolution à nos jours (Aubier, avril 2008).

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