Question capitale
Question capitale : villes capitales
ou Clochemerle en Normandie ?
La roche sous le sable…
Sous les sables mouvants de la commission Balladur, les agglomérations apparaissent comme le socle solide de nos futures institutions. En Normandie comme ailleurs nul ne sait ce que vont devenir les régions et les départements avec la réforme des collectivités. En revanche, les principaux responsables politiques font le pari des agglomérations comme tremplin de leurs trajectoires à venir…
L’agglo de ROUEN :
Laurent Fabius a décidé d’avancer
avec l’agglo d’Elbeuf et les communautés de communes de Seine Austreberthe
et du Trait Yainville pour créer à défaut d’une vraie communauté
urbaine, une « grande communauté d’agglomération de près de 500 000
habitants », le 1er janvier prochain.
Quand on lui fait remarquer que Pavilly et Barentin restent dans leur coin, il balaie l’argument d’un revers de la main : « ça ne doit pas nous empêcher d’avancer, Caux-Austreberthe nous rejoindra peut-être dans quelques années… »
Pour Fabius, la vraie force d’une agglomération est celle de ses projets, le périmètre est une variable subalterne. Résultat, à côté des grands dossiers de développement et d’aménagement du territoire, (reconquête des quais de la Seine, requalification de la rive gauche, création de la future gare rive gauche St Sever, bouclage du périphérique, développement portuaire et préservation écologique des boucles de la Seine…), l’agglo doit rassembler les habitants autour de quelques événements visibles et prestigieux pour renforcer leur sentiment d’appartenance (c’est l’effet « Armada »)…
C’est le sens de la création
de l’association NORMANDIE IMPRESSIONNISTE présidée par Pierre Bergé,
dont l’une des vocations est de faire rayonner l’image de Rouen
et de la Normandie en France et dans le monde entier… Les grandes
collectivités territoriales de Normandie participent à cette
association : les deux CR, les agglos de Rouen et de Caen … mais pas
l’agglo du Havre qui possède pourtant dans son musée Malraux la
plus belle collection de peintres impressionnistes en dehors de
Paris… C’est gênant mais les élus d’ici ne sont pas à un clochemerle
près…
Néanmoins, l’ambition de
Laurent Fabius est bien de faire de Rouen l’une des grandes métropoles
du Nord ouest de la France (entre Lille et Nantes à l’ouest de Paris)
en mobilisant les ressources de la région et du département. Y a-t-il
donc à Rouen un « air de capitale » ? comme l’affirme pour ses vœux
2009, Valérie Fourneyron, la directrice de cabinet de Fabius à Rouen ?
Autant les projets de l’agglo semblent avancer autant ceux de la ville
de Rouen semblent patiner (Echec de la médiathèque et des Jeux mondiaux
de la jeunesse, report sine die de la reconstruction du palais
des Congrès…) Il y a urgence à avancer car les tentations
d’intégrer l’agglo de Rouen dans la banlieue ouest du Grand Paris
se font de plus en plus pressantes (projet « Grumbach » présenté le
19 février prochain)
L’agglo de CAEN :
Quand il parle de son agglomération,
Philippe Duron reprend la formule d’Edgar Morin : « le tout est quelque
chose de plus que la somme des parties ; autrement dit, un tout organisé
produit ou favorise l’émergence d’un certain nombre de qualités
nouvelles, qui n’étaient pas présentes dans les parties séparées… »
L’ambition de Philippe Duron est de repositionner Caen comme le moteur de sa région (reprendre pied dans les marges sud et ouest de la Basse Normandie où la concurrence du « grand ouest breton » est sévère : il s’agit de construire un réseau des villes moyennes de Basse Normandie autour de Caen) et comme une métropole dynamique et innovante (Université avec présentation à Caen du nouveau Pôle Régional d’ Enseignement Supérieur « Normandie université » avec Rouen et Le Havre, recherche, innovation et pôle de compétitivité avec par exemple le campus « Efficience » que la crise actuelle risque hélas de fragiliser…)
De la même façon que Laurent Fabius s’appuie sur le CRHN et le screugneugneu Levern, Philippe Duron s’appuie sur le CRBN et Laurent Beauvais avec l’ambition d’aller un jour vers plus de coopération et de mutualisation de finances et de projets entre agglos, CR et CG à l’instar du contrat « 276 » qui permet à la Haute Normandie d’affronter correctement ce début de crise : mis à part les quelques syndicats mixtes et conventions entre CRBN, agglo de Caen et les CG 61 et 50, le clochemerle est tout aussi endémique en Basse Normandie que la méningite en Hautee Normandie : aucune collaboration ou presque entre le CG14, premier budget de Basse Normandie et l’agglo de Caen ou le CRBN…
Néanmoins la collaboration étroite entre agglo de Caen et CRBN porte ses fruits : ainsi, le dynamisme retrouvé du port de Caen-Ouistreham-Cherbourg (« Ports Normands Associés »)
Mais le désenclavement ferroviaire
et routier (A88) de Caen n’est toujours pas achevé tandis que le
dynamisme du Havre inquiète les élus caennais toutes tendances confondues :
face au dynamisme de la toute nouvelle CCI de l’Estuaire et du décollage
réelle de l’aéroport Deauville « Normandie », il ne faudrait pas
que la CCI de Caen ne soit tentée de jouer une nouvelle partie de clochemerle
aérien ! Le leadership politique à Caen est donc une question essentielle…
Le dynamisme havrais intéresse et inquiète Philippe Duron : « l’ambition
de Rufenacht pour Le Havre est considérable. Il indique un milliard
d’euros d’investissement, sa volonté de s’ouvrir aux deux rives
de la Seine ; l’agence d’urbanisme du Havre (qui promeut le projet
« Grumbach » ndlr…) vient recruter jusqu’aux confins du Pays d’Auge.
Nous devons donner des signes pour que le rayonnement de Caen aille
au-delà des marais de la Dives… »
Duron veut donc promouvoir
Caen comme « territoire d’équilibre », ni trop grand, ni trop petit,
où il fait bon vivre (et aussi en position centrale : idéale pour une
capitale « administrative » en cas de réunification ?)
L’agglo du HAVRE :
Nul le conteste, Le Havre est bien devenue la vraie locomotive normande. Antoine Rufenacht croit aussi à la valeur des projets. Depuis 15 ans, il a l’avantage d’être à la fois le patron de l’agglo et celui de la ville centre la plus peuplée de Normandie. Deux priorités : redonner leur fierté aux Havrais en transformant l’image de leur ville (désormais inscrite au patrimoine UNESCO) et faire du Havre la nouvelle porte d’entrée du monde en Europe (Le Havre 2000 « Porte océane », avant port de l’Europe). Aujourd’hui avec ses grands projets urbains et architecturaux (le tramway ; le grand stade, les bains des docks et la tour Nouvel, etc…) Rufenacht veut signer de façon durable et visible, dans les 5 ans à venir, son passage dans l’histoire de la ville. Contrairement à Laurent Fabius, il ne peut pas repousser les frontières de son agglomération alors il travaille à renforcer son influence via le « Grenelle de l’Estuaire » ou la toute nouvelle CCI de l’Estuaire qui s’étend désormais de Fécamp à Deauville jusqu’à Lisieux…
A défaut de faire du Havre
la capitale de la Normandie (sauf pour plaisanter… quoique) celui
qui n’a jamais vraiment apprécié la partie de clochemerle caenno-rouennaise
rêve de faire du Havre « un ailleurs », une sorte de ville hanséatique
moderne, tournée vers la mer, un peu « off shore » mais accueillante
pour tous les investisseurs industriels, commerçants et portuaires…
Il ne faudrait pas cependant que Rufenacht oublie la Normandie après
s’être tant battu pour en promouvoir la réunification dans les années
1980- 1990 : la tentation Grumbach (faire du Havre le port maritime de
Paris) risque d’être mortelle !
Alors la capitale normande
où est-elle ?
Désormais, toutes les choses
importantes pour l’avenir de la Normandie se décident ou peuvent
se décider encore à Rouen, Caen ou Le Havre si ce n’est pas plus
encore à Paris, Lille, Rennes ou Nantes… Il y a urgence à mettre
un pilote dans l’avion métropolitain normand (ce n’est pas les
aéroports qui manquent mais les avions… et des avions qui savent
vers où décoller !)
Bref, nos trois agglos normandes
ne sont pas encore débarrassées du clochemerle, ce cancer de
la Normandie divisée : des remontées de fièvres à Caen et à Rouen
sont dernièrement constatées avec la montée en puissance médiatique
du débat sur la réunification…
Pour Duron, c’est sûr c’est
« Caen en capitales », le 21 janvier dernier celui-ci déclarait : « la
question de la réunification des deux Normandie est un sujet porteur
d’incertitudes qui nécessiterait encore études, précisions, et
recherche de consensus. Le 16 janvier dernier, Laurent Beauvais a réuni
la conférence des exécutifs, associant les trois présidents de conseils
généraux et les présidents d’agglomération de la région (demi-région
bas normande ndlr). Nous avons clairement réaffirmé avec les Conseils
généraux notre volonté que Caen devienne la capitale d’une Normandie
réunifiée. Mais ce ne sera pas facile car je sais que ma collègue
Valérie Fourneyron, maire de Rouen à la même ambition »… Un air
de capitale donc…chanson connue !
Au fait, Fabius, il en pense
quoi ?
Quant à Laurent Beauvais,
auditionné par Edouard Balladur, il s’est prononcé en faveur de
la Réunification (Levern fait pendant ce temps là un vrai caca nerveux :
tant pis pour lui ! Les autres acteurs du dossier sont acteurs, pas lui !)
mais souhaite « un référendum des Normands proposant Caen comme capitale
de la Normandie réunifiée » tout en ajoutant qu’il serait « dangereux
d’imposer la réunification des deux régions pas la loi » en prétextant
qu’on a vu des fusions de communes imposées qui furent finalement
rejetées (« La réunification ? Une belle idée que l’on ne doit pas
gâcher par une mauvaise méthode » dit en substance Bernard Cazeneuve
le maire de Cherbourg-Octeville).
Sauf le cas particulier et
caractériel de Levern, tout le monde est favorable à la réunification
de la Normandie : c’est un sujet « intéressant » mais naturellement
chacun voudrait imposer sa propre cadence et ceux qui ne veulent pas
se presser sont plus nombreux que ceux qui veulent courir… Mais la
crise économique ne leur laissera certainement pas le temps de choisir
la cadence : il faudra courir ! Hervé Morin le ministre qui ne met plus
les pieds à la caserne Jeanne d’Arc (Levern s’est enfermé dans
l’amphi du CRHN) est le plus impatient et le plus en verve (avec ses
amis Tourret et Martin du PRG)… Mais pour quel résultat ? La chose
est-elle déjà tranchée à l’Elysée ? Duron perd patience : « une
magouille ! Remplacer deux régions de gauche par une grande région
de droite ! ». Le calcul politicien semble évident mais son résultat
l’est moins… On comprend mieux la prudence sinon le silence de Fabius
sur le sujet : un Sarkozy impopulaire qui souhaite réunifier la Normandie
au forceps s’il le fallait, pourrait finalement tirer les marrons
du feu pour Fabius…
Sujet passionnant et capital :
sauf que les Caennais votent pour la réunification avec Caen comme
capitale et les Rouennais votent pour la réunification avec Rouen comme
capitale et les Havrais regardent la mer en se sentant oubliés sinon
amers… On ne s’y prendrait pas mieux pour plomber le dossier, les
concurrences clochemerlesques entre les trois grandes agglos normandes
sont toujours là aussi stupidement vives !
C’est pourquoi on ne peut
que regretter vivement la mise en sommeil de l’association Normandie
Métropole créée en 1993 à l’initiative des maires de Caen, du
Havre et de Rouen (Girault ; Duroméa et Lecanuet… quand ils se sont
aperçus que les trois villes occupaient les trois dernières places
d’un classement des villes européennes…) sur une idée d’Armand
FREMONT et de Jean LEVESQUE : c’était intelligent de tenter de transformer
le clochemerle normand en un vrai espace responsable de discussion et
d’élaboration de projets à l’échelle normande… Avant sa mise
récente en sommeil, Normandie Métropole, structure pourtant
validée par le gouvernement Raffarin en avril 2006 mais littéralement
sabotée par une adepte pathologique et incurable du clochemerle, à
savoir Brigitte Lebrethon ancien maire de Caen (au point d’écoeurer
complètement Antoine Rufenacht), devait s’occuper de recherche et
formation supérieures, de transports, et de culture…
La culture ? Pour nous guérir
du clochemerle ?
Fabius adore la peinture, Duron
l’histoire et Rufenacht l’architecture… Ils devraient s’entendre
non ? Surtout au moment où la Culture devient l’une des bases de la
compétitivité des territoires renforcée en cela par la nouvelle politique
de l’Etat en matière culturelle (régionalisation et financement
privilégié pour les gros et grands projets fédérateurs qui attirent
les publics… au détriment d’une vraie politique républicaine de
diffusion de la culture dans les territoires).
Dans ce contexte hyperconcurrentiel
et incertain, pourquoi ne pas étudier dès maintenant la possibilité
d’un dossier de candidature des trois agglos normandes au titre de
« capitale européenne de la culture » ? (l’Europe autorise les candidatures
collectives : le cancer centraliste jacobin n’existe qu’en France,
ouf !)
C’est une suggestion que
le collectif BEN ne manquera pas de faire à MM Fabius, Duron et Rufenacht,
sans oublier M Bergé !
L’année 2011 avec le 1100ème
anniversaire de la Normandie devrait contribuer à la réflexion à
défaut d’en avoir été le but…
Que de temps perdu à ces parties
de Clochemerle !
Florestan (à partir de la « Chronique de Normandie » N° 125, 02/02/09)