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L'ETOILE de NORMANDIE, le webzine de l'unité normande
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21 juin 2013

NORMANDIE IMPRESSIONNISTE vue par Didier RYKNER de la Tribune de l'Art

Non sans raison, Didier Rykner, l'animateur de la très respectée "Tribune de l'Art" déclare que c'est un exploit de rassembler des dizaines de chef- d'oeuvres du maître Claude Monet "hors de Paris". C'est donc tout l'intérêt du retour du festival "Normandie Impressionniste" sur le thème de l'eau ne serait-ce que pour rappeler aux Parisiens que la Seine poursuit son voyage en aval du pont de Puteaux pour devenir majestueuse en Normandie avant de se perdre dans la mer et le soleil couchant.

 


Normandie Impressionniste  vue par la Tribune de l'Art, un éditorial de Didier RYKNER:

http://www.latribunedelart.com/trois-expositions-impressionnistes-en-normandie

 

Trois expositions impressionnistes en Normandie

 

Caen, Musée des Beaux-Arts, du 27 avril au 29 septembre 2013
Le Havre, Musée d’Art moderne André Malraux, du 27 avril au 29 septembre 2013
Rouen, Musée des Beaux-Arts, du 29 avril au 30 septembre 2013

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1. John Singer Sargent
Deux femmes endormies dans
une barque sous les saules
, 1887
Huile sur toile - 58 x 68,5 cm
Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian
Photo : Fondation Calouste Gulbenkian

Toute personne qui avoue dans les dîners qu’elle est historienne de l’art a déjà entendu ce commentaire affable, qui se veut complice : « J’aime beaucoup les impressionnistes. » Impossible de leur échapper. Dans une société où l’histoire de l’art n’est pas enseignée à l’école, l’impressionnisme est le seul courant à tirer son épingle du jeu. Pourquoi ? Sans doute parce qu’on l’a réduit au statut de jolie peinture, facile et décorative en poster ; telle est parfois la rançon de la gloire. Il attire en tous les cas les foules, donc il est rentable, et l’on ne compte plus les expositions qui lui ont été consacrées ces dernières années.
Malgré l’overdose qui nous guette, il faut reconnaître que le festival « Normandie impressionniste » est un véritable succès. En accord avec le thème de cette deuxième édition, qui frôle le pléonasme - « l’eau » dans la peinture impressionniste – , de multiples événements et expositions sont organisés jusqu’à la fin du mois de septembre, tous détaillés sur le site du festival ; outre l’exposition consacrée à Signac par le Musée de Giverny, nous en avons visité trois : Caen propose « Un été au bord de l’eau » (ill. 1), Le Havre présente « Pissarro dans les ports » (un titre dont la sonorité n’est pas particulièrement heureuse comme le soulignait un lecteur facétieux), enfin d’« Eblouissants reflets » scintillent à Rouen. Chacune de ces trois expositions réussit à apporter un regard – presque – neuf sur des œuvres souvent célèbres ; chacune d’elles s’accompagne en outre d’un catalogue.

Caen : un été au bord de l’eau
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2. Joaquín Sorolla y Bastida
L’Instantané, Biarritz, 1906
Huile sur toile - 62 x 93,5 cm.
Madrid, Museo Sorolla
Photo : Museo Sorolla

Le musée des Beaux-Arts de Caen s’intéresse aux loisirs balnéaires dont le développement à la fin du XIXe siècle attira (aussi) les peintres. Le parcours met en valeur la spécificité des impressionnistes (au sens large), en les confrontant à d’autres artistes qui abordent les mêmes thèmes à la même époque, mais dont les préoccupations esthétiques diffèrent. Le visiteur évolue de la Nymphe à la source de Renoir à la Dame à la terrasse de Matisse ; le premier joue avec le prétexte mythologique pour peindre un nu dans un paysage, auquel il confère une sensualité naturelle loin des modèles académiques ; le second met en scène une femme observant des voiliers, dans un tableau répond néanmoins à de nouvelles recherches picturales. Trente ans séparent ces deux œuvres. Entre elles se déroule un parcours thématique : la première section « Sur le sable » souligne l’arrivée, avec le chemin de fer, des premiers touristes et de nouveaux loisirs sur la côte normande qui voit donc surgir les acteurs de l’oisiveté moderne, baigneurs, flâneurs, canotiers et rameurs. Les peintures de Boudin montrent ces bords de mer, d’abord animés par quelques rares baigneurs autochtones, se transformer en « rivages à crinolines »1 pour des mondanités de plage. Monet comme Manet réalise des esquisses libres et spontanées afin de saisir des instants, tandis que René-Xavier Prinet, Paul-César Helleu ou Louise Abbéma persistent à concevoir des compositions travaillées, pour des scènes élégantes et charmantes. Quelques artistes étrangers se laissent entraîner par l’approche impressionniste, Sorolla représente sa femme, lumineuse auréole blanche sur fond d’écume, dans une diagonale plongeante qui renforce une sensation de brise parcourant la plage ; elle a dans les mains un appareil stéréoscopique, tandis que son mari préfère le pinceau pour traduire un instant (ill. 2). Potthast pose son regard et sa toile sur les côtes de Long Island et de Nouvelle Angleterre dont il rend compte par une touche rapide et brillante.

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3. Edgar Degas
Petits Paysannes se baignant
à la mer le soir
, vers 1869-1875
Huile sur toile - 65 x 81 cm
Royaume-Uni, collection particulière

Le genre de la marine est repensé, « le spectacle de l’eau » se diversifie et s’humanise. Tandis qu’un célèbre Monet évoque le bord de mer sans le représenter, deux tableaux de Berthe Morisot peints à quelques années d’intervalle montrent l’évolution de l’artiste qui abandonne le détail pittoresque au profit de l’immédiateté. Kroyer quant à lui fait rosir le sable dans le sillon des robes des promeneuses. Le contraste est grand avec la mélancolie minutieuse d’un Alfred Stevens et le réalisme élégant d’Ernest-Ange Duez qui représentent tous deux des personnages contemplant la mer. Les « barques et les voiles » entraînent vers de nouveaux loisirs. Pierre Bonnard et Maurice Denis donnent l’impression au spectateur d’être embarqué, tandis que Sargent adopte une touche légère et luministe pour peindre deux femmes endormies dans une barque sous les saules (ill. 1).
« A l’eau » enfin est sans doute la section la plus intéressante, insistant sur le fait que les impressionnistes ne furent pas que des paysagistes, mais déployèrent aussi des figures dans la nature, en bord de mer, de lac ou de rivière. Degas traduit le corps de petites paysannes saisi par l’eau froide (ill. 3), le tableau sera repris par Gauguin dans les Baigneuses à Dieppe. Kupka quant à lui adapte la manière impressionniste de façon assez inattendue et représente la perception déformée des jambes et des bras dans l’eau.

Le Havre : Les ports de Pissarro

Le musée du Havre, qui fut le seul à acheter des œuvres de Pissarro de son vivant, met en avant son travail en série grâce à la réunion d’une quarantaine de peintures, issues de collections particulières pour beaucoup, déclinant des vues de Rouen, Dieppe et Le Havre. Aux premières loges, Boudin, précurseur, sert d’introduction. Mais contrairement à Pissarro, il resta au fil de l’eau, s’intéressant peu au tohu-bohu des quais, au labeur des dockers, au monde des marchands. Monet, lui aussi, fit du port industriel un exemple du paysage moderne, tout en restant le plus souvent concentré sur les reflets de la mer. Quant à Rouen, il en retint surtout la cathédrale et c’est d’ailleurs après avoir vu sa fameuse série exposée à la galerie Durand-Ruel en 1895 que Pissarro souhaita à son tour créer un ensemble cohérent afin d’obtenir cette unité parfaite qu’il voyait chez le maître.


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4. Camille Pissarro
Quai de la Bourse, Rouen, pluie, 1898
Huile sur toile - 54 x 65 cm
Genève, Musée d’Art et d’Histoire
Photo : Genève, Fondation Jean-Louis Prévost
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5. Camille Pissarro
Quai de la Bourse, Rouen, soleil voilé, 1896
Glasgow, The Hunterian Art Gallery
Huile sur toile - 54 x 73 cm
Photo : University of Glasgow

Il séjourna plusieurs fois à Rouen, en 1896 notamment, puis en 1898, rapportant à chaque fois entre vingt et trente toiles (ill. 4 et 5). Il observa l’activité ouvrière, peignit inlassablement les ponts de Boieldieu et de Corneille, la gare d’Orléans, les docks et les quais, entre brumes, pluies et lumières, sans forcément garder le même point de vue précisément. Outre le catalogue de l’exposition, un ouvrage de Claire Durand-Ruel Snollaerts vient de sortir, consacré plus spécifiquement aux peintures rouennaises de Pissarro.
À Dieppe en 1901 et 1902, l’artiste s’attarda dans le centre-ville avant de regarder depuis sa chambre d’hôtel le paysage portuaire fendu par le chemin de fer. Enfin, il découvrit Le Havre sur les conseils insistants du collectionneur Pieter Van der Velde dont l’importance sur la scène artistique a été soulignée dans une exposition au Musée du Luxembourg. Là encore, et comme à Dieppe, le peintre réalisa plus de vingt toiles, depuis les trois fenêtres de sa chambre d’hôtel. Le port du Havre était en train de changer, des travaux d’agrandissement étaient en cours, et finalement les tableaux de Pissarro fixent l’image d’un paysage moderne qui n’est plus. La série des ports s’achève au Havre en 1903, presque trente ans après l’Impression qu’en garda Monet.
L’exposition présente aussi quelques dessins, lithographies et eaux fortes, dont la rapidité de trait répond, mieux que ses peintures, aux aspirations de l’artiste : « Pour moi les motifs sont secondaires, ce qui importe c’est l’atmosphère. » En effet, si les séries de Monet capturent une lumière qui dématérialise la pierre et matérialise l’eau, les séries de Pissarro penchent vers le documentaire et suscitent un sentiment de lassitude, offrant au fil des toiles un camaïeu de gris, une lumière peu nuancée, et surtout une touche méthodique et précise, qui annonce presque le néo-impressionnisme. En revanche un tableau isolé ne donne pas ce sentiment, même si l’on n’y trouve pas la poésie d’un Monet, ni son apparente spontanéité. L’exposition comprend aussi des photographies des ports normands prises à la même époque par Demachy et d’autres photographes, et conclut sur des œuvres d’artistes qui peignirent eux aussi le Havre : Maufra, Friesz, Marquet et surtout Dufy dont le musée vient d’acquérir une toile et son esquisse.

Rouen : Eblouissants reflets
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6. Claude Monet (1840-1926)
La Barque, 1887
Huile sur toile - 146 x 133 cm
Paris, Musée Marmottan
Photo : Musée Marmottan

A Rouen, des reflets parcourent une centaine d’œuvres, dont quarante Monet ; c’est un exploit de réunir tant de toiles du maître en dehors de Paris. Elles permettent de déployer toute la diversité de son art, de ses touches, de ses jeux de couleurs plus ou moins vives et contrastées, la variété aussi des eaux qui scintillent, miroitent ou tremblent sur la toile, celles des Pays-Bas, de Londres, Antibes, Bordighera, Venise et Giverny (ill. 6 et 7). On peut ainsi contempler le clignotement calme du Zaan et les eaux troubles de la Barque, tableau qui, sans son motif principal, pourrait être de Joan Mitchell (ill. 6).
Le thème du reflet est moins léger qu’en apparence2 : l’eau, dans la peinture classique est un miroir lisse qui reflète l’image d’une réalité idéale et permet de composer un paysage parfaitement symétrique, un monde ordonné, d’une beauté immuable. Les impressionnistes jettent une pierre dans cette étendue sereine, et rendent compte de la modernité, instable, changeante ; un élan vital que Bergson défend dans son Évolution créatrice, affirmant que la nature s’invente sans cesse. Tout à la fois matière, lumières et couleurs, l’eau est observée pour elle-même ; elle devient pour les peintres un espace de liberté où ils s’affranchissent de la représentation fidèle du réel et font preuve davantage d’audace.
La question des reflets est aussi scientifique : la lumière est-elle ondes ou atomes ? Des théories de Maxwell en 1865, on passe à celles d’Einstein qui définit la dualité ondulatoire et corpusculaire de la lumière en 1905, jusqu’à De Broglie qui étend cette dualité à la matière en 1927. Ces théories sont en puissance dans la peinture de Monet, où la lumière est matière et onde.

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7. Claude Monet (1840-1926)
Argenteuil, 1875
Huile sur toile - 56 x 67 cm
Paris, Musée de l’Orangerie
Photo : Musée de l’Orangerie

Le reflet est aussi littéraire, et Marcel Proust admire dans de célèbres passages tout le talent de Monet : « voyez comme tout miroite, comme tout est mirage (...) on ne sait plus où l’on est, si c’est le lit d’un fleuve ou la clairière d’un bois. » Proust développe lui-même cette idée d’une réalité fluctuante, insaisissable sinon en un éclair. Le reflet n’est ni l’eau, ni la chose reflétée, il est une perception nouvelle qui naît du rapport entre deux éléments, l’eau et le ciel, l’eau et la terre. De même Proust décrit la rencontre de deux temps : à travers les pavés disjoints, les serviettes un peu raides et la fameuse madeleine, un lien se tisse entre une sensation présente et un souvenir passé, un éclair de réalité plus intense que la réalité elle-même :« par un expédient merveilleux de la nature, qui avait fait miroiter une sensation (…) à la fois dans le passé (…) et dans le présent… »
Les néo-impressionnistes, auxquels l’exposition consacre une section, captureront ce reflet par la démarche plus systématique du divisionnisme.

On retrouve à Rouen les « loisirs fluviaux », décrits par Renoir (ill. 8) et par Caillebotte dans des cadrages audacieux, ou encore le thème des navires, peints par une « Armada de peintres ». D’autres motifs récurrents sont mis en exergue, notamment « les ponts » – en fer, pour la plupart, symboles de modernité - qui offrent une variété de compositions et de points de vue entre ciel et eau ; « les arbres », dont les alignements permettent de scander l’espace, dans une approche différente de celle qui sous-tend la représentation du Chêne de Flagey ou de la forêt de Barbizon, différente aussi des préoccupations de Cézanne qui donne de l’importance à la densité du paysage et aux couleurs, plutôt qu’au rythme.
« La Seine » obséda Sisley, Monet et les peintres de l’Ecole de Rouen. Alfred Sisley est celui qui inventa le concept de série, en observant plusieurs jours de suite la crue du fleuve, sans lui donner d’aspect dramatique. Monet la parcourut sur son bateau-atelier (invention de Daubigny), peignant « sur le motif » au sens propre du terme comme le remarque Sylvain Amic. Joseph Delattre, Albert Lebourg, Antoine Pinchon, artistes de l’école de Rouen injustement méconnus devraient être réunis sous l’appellation plus large de « l’école de la Seine ». Les autochromes d’Antonin Personnaz, collectionneur des impressionnistes, montrent cet engouement général pour les bords de Seine.

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8. Pierre-Auguste Renoir
La Yole, 1875
Huile sur toile - 71 x 92 cm
Londres, National Gallery
Photo : National Gallery/Rmn

L’exposition accorde en outre une grande place à la photographie, qui se développa parallèlement à l’impressionnisme. Comme le souligne Sylvain Amic, les reflets offrent le même défi aux photographes et aux peintres : ralentir le temps de pose. Dans ses marines, Gustave Le Gray dès 1856, utilise deux négatifs qu’il superpose pour obtenir des ciels rapportés ; il est suivi par d’autres photographes, comme Baldus, qui divisent leurs images en deux, la réalité et son reflet dans le miroir de l’eau. Dans les années 1860-1870, s’imposent les photographes paysagistes, Charles Marville par exemple, qui joue sur des gradations. Enfin, les vues stéréoscopiques mises au point en 1844 par David Brewster, permettent d’obtenir des instantanéités, où l’on retrouve des cadrages fragmentaires et morcelés de certaines peintures. Les années 1880 voient apparaître la génération des photographes pictorialistes comme Robert Demachy ou Edward Steichen dont certains cadrages sont là aussi comparables à ceux de Monet. Eugène Atget quant à lui, photographia des nymphéas quelques mois après la première exposition de la série chez Durand-Ruel. Les Nymphéas dans lesquels l’horizon n’est pas visibles ; on le voit s’élever de plus en plus au fil des toiles de Monet, pour disparaître et avec lui le monde réel ; ne restent que l’eau et la lumière dans lesquelles se plonge le peintre, tel Narcisse, métaphore de tout artiste.

Commissaires :
Caen : Patrick Ramade
Le Havre : Annette Haudiquet, Claire Durand-Ruel Snollaerts, avec le concours de Didier Mouchel
Rouen : Sylvain Amic

 

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