LE HAVRE: NAUFRAGE COMMERCIAL dans le centre ville...
On a bien du mal à comprendre ce qui, sournoisement, est en train de se produire, à l'instar d'une voie d'eau à fond de cale, sous la ligne de flottaison...
En dépit de l'image positive et contemporaine d'une ville "porte océane", "New York normand", labelisée par l'UNESCO pour l'architecture belle et audacieuse de sa reconstruction d'après guerre, malgré un séduisant et nouveau statut d'égérie cinématographique, malgré l'arrivée en ville d'un superbe tramway et la confirmation de la place de son port maritime parmi les grands ports internationaux, la ville du Havre dont on fêtera les 500 ans de la fondation en 2017, a mal à son commerce de centre ville: les boutiques ferment les unes après les autres...
Explications...
Économie. De plus en plus de magasins ferment en centre-ville. Les surfaces laissées vacantes ne trouvent pas de repreneurs. Dépités, les commerçants qui essaient de tenir le coup tirent la sonnette d’alarme
D’abord la rue Coty, ensuite la rue Paul-Doumer, puis la voie piétonne Bernardin-de-Saint-Pierre et maintenant la rue Victor-Hugo. Comme une gangrène, la fermeture des commerces se propage en centre-ville du Havre. Des petites boutiques mais aussi de
grandes enseignes voire des magasins historiquement implantés au Havre baissent leur rideau. « Plus ça ferme autour de moi, plus je suis désespéré. Je n’ai jamais vu ça en 20 ans», se désole, face à cette hémorragie, David Dufau, gérant du Cash Occas de la rue Victor-Hugo. Sur le trottoir en face de son magasin, c’est le désert.
Le commerce havrais est sinistré en centre-ville
JouéClub et les cuisines Schmidt viennent de fermer. Interior’s, le créateur et fabricant de meubles havrais, va suivre. Le magasin qui s’étend sur plus de 1 000 m² déstocke à 50 % avant de mettre la clef sous la porte. Il n’y aura plus de magasin au Havre mais l’enseigne va continuer à vivre à travers ses autres boutiques implantées en France.
La rue Victor-Hugo va montrer un triste visage avec ces deux grands espaces restés vacants. D’autant que la tendance n’est pas à une reprise rapide des fonds de commerce. Vérifié pour toutes les échoppes, le constat encore plus marqué pour les grands pas-de-porte à l’image de la place qu’occupait un peu plus loin l’enseigne Ligne Wallace qui depuis maintenant près de deux ans n’a pas accueilli de nouvelle activité.
Indépendamment de la conjoncture économique que tous reconnaissent difficile, David Dufau apporte des débuts d’explication pour comprendre la situation. Dans le collimateur : le nombre des centres commerciaux et les problèmes de stationnement. «Le développement des centres commerciaux nuit à l’attractivité du centre-ville». La question du stationnement revient naturellement sur le tapis. « La gratuité des parkings des grandes surfaces créée de la concurrence mais il n’y a pas que ce problème. La ville a trop étendu le stationnement payant». À ce constat s’ajoute aussi une autre difficulté liée aux charges et notamment du loyer. Pour en avoir discuté avec ses voisins, le commerçant pose aussi la question des loyers exorbitants pratiqués par les propriétaires. Pour un loyer identique, ils peuvent bénéficier d’une superficie bien plus conséquente au sein d’un centre commercial. Ainsi certaines enseignes ont choisi de déménager comme La Halle partie aux Docks Vauban.
Aujourd’hui, face à cette situation extrêmement dégradée du centre-ville, de nombreux commerçants estiment qu’il est grand temps que la municipalité réagisse.
ST. R.
« Nous sommes dans une spirale. Plus les magasins ferment moins les clients fréquentent le centre-ville. » Commerçant depuis 2005 au Havre et gérant des deux magasins JouéClub et Cuisines Schmidt, David Lagrange a été happé par ce cycle infernal. Ne pouvant lutter contre une grosse perte d’activité, il ferme ses deux boutiques. « A la situation économique difficile, il faut ajouter le prix des loyers. Pour mes deux magasins, la location annuelle s’élève à 150 000 €. Insupportable compte tenu de la conjoncture. J’ai essayé pendant huit mois de négocier avec le propriétaire mais il n’a rien voulu entendre. » Comme un couperet qui tombe, ces loyers exorbitants sacrifient le commerce déjà à la peine. Le pire, c’est qu’aucun commerçant ne semble entrevoir le bout du tunnel. « Les rues sont désertées par les clients. Il n’y a pas de cohérence sur le développement de la zone de chalandise. Qu’est-ce qu’on attend pour rendre le centre-ville aux Havrais. Il est urgent de mettre en place une politique commerciale dynamique. »
Sans détour, David Lagrange adresse ce message à la municipalité au point de mettre sur la table la question d’une éventuelle péremption des surfaces vacantes. « On ouvre des magasins partout en périphérie et avec des enseignes qui doublonnent et on laisse mourir le centre-ville. » Celui qui est revenu dans sa ville de cœur après dix ans passés dans la région Centre ne cache pas sa déception. Même s’il veut encore y croire. Après avoir abandonné JouéClub, il a décidé de déménager pour tenter l’aventure rue Paul-Doumer. Sous le nom de Star Jouets (enseigne du groupe Ludendo, deuxième revendeur de jouets en Europe), le magasin ouvrira le 4 novembre. « À mes yeux, il se passe encore quelque chose autour des Halles, rue Paul-Doumer et accessoirement au centre Coty. Rue Paul Doumer, les commerçants s’entendent entre eux. Ils veulent faire bouger les choses ».
Commentaire de Florestan:
Toutes les raisons données ci-dessus sont justes mais elles ne sont que conjoncturelles. Il y a une raison de fond qui n'est pas ici évoquée et qui est aggravée par la concurrence des zones commerciales périphériques: c'est qu'à l'instar des deux autres grandes agglomérations normandes (Caen mais aussi Rouen), le centre ville du Havre n'offre pas tous les éléments de standing, de service urbain, de commerce que l'on peut trouver dans les centres villes de type "métropolitain". Parce que la population urbaine habitant au Havre et alentours qui pourrait avoir les moyens financiers et culturels d'avoir un mode de vie "métropolitain" n'est pas assez nombreuse. Parce que la majeure partie des 350 000 habitants de l'agglomération du Havre ne gagne pas plus de 1600 euros par mois, parce que les classes populaires paupérisées sont encore trop nombreuses dans l'agglomération.
La politique de "gentrification" du centre ville du Havre dans la perspective future de l'Axe Seine et de l'unité normande n'est pas suffisante...
La solution?
Qu'au niveau de l'agglomération havraise mais aussi de l'Estuaire, les élus aient le courage et l'intelligence de mettre en oeuvre un aménagement cohérent de l'urbanisme commercial. Que la ville ait une politique volontariste pour la préemption des pas de portes commerciaux vacants pour garantir le maintien de la mixité commerciale du centre ville qu'elle souhaite le plus attractif possible car Le Havre, ville qui se découvre de plus en plus touristique, souhaite devenir un grand port d'escale pour les croisiéristes qui ne doivent pas débarquer au Havre uniquement que pour filer au plus vite... à Paris !