12 h 35, hier : le convoi de tracteurs ornés de la bannière du pays de Bray fait son entrée dans Paris. Il serait exagéré de la qualifier de triomphale, mais il est assez saisissant d’observer les nombreuses marques de sympathie - applaudissements, pouces levés - témoignées par les Parisiens, face au défilé d’engins qui a envahi la capitale hier, à l’appel de la FNSEA. Réflexe contestataire ou réel soutien à la cause agricole ? «Les gens nous aiment bien parce qu’ils ont cette image de l’agriculteur qui plante tranquillement ses carottes dans son champs», sourit Marc Tréhet, depuis pas loin de dix heures au volant de son engin agricole.
L’agriculteur, installé à cheval sur les communes d’Auvilliers et Le Caule-Sainte-Beuve, entre Neufchâtel et Aumale, fait partie de la vingtaine de tracteurs brayons qui s’est élancée, vers 3 h le matin même, de Forges-les-Eaux. A 53 ans, l’adhérent de la FNSEA 76 se présente comme un habitué des manifestations, mais là «c’est la première fois que je monte à Paris en tracteur», lâche-t-il alors que vient tout juste d’être franchie la barrière de péage de Buchelay, à Mantes-la-Jolie. C’est là-bas qu’agriculteurs bretons et normands se sont donné rendez-vous pour converger ensemble vers la capitale.
En queue de peloton, «on n’a pas le choix», commente simplement Marc Tréhet pour justifier sa présence. Lui s’est encore trouvé «effaré», la semaine dernière, «par un reportage où l’on expliquait que les éleveurs français avaient quinze ans de retard sur leurs collègues allemands». Ces quinze années, martèle-t-il, demeurent le fruit «des contraintes que l’on impose aux Français» et nulle part ailleurs en Europe.
«À Forges-les-Eaux, j’ai vu des collègues agriculteurs pleurer»
Moins de charges, moins de normes, plus de prix. Entre 4000 et 5000 producteurs (près de 1 500 tracteurs) se sont réunis hier place de la Nation, à Paris, selon ce triptyque. Une manifestation présentée comme un ultime cri de révolte. «L’heure n’a jamais été aussi grave, je n’ai jamais observé une telle crainte», affirme Mélanie Dubois, 20 ans, responsable des Jeunes agriculteurs pour le canton de Neufchâtel-en-Bray. «A Forges-les-Eaux la semaine dernière (où une manifestation d’agriculteurs avait déjà été organisée, ndlr), j’en ai vu certains pleurer», détaille celle qui se destine à reprendre malgré tout l’exploitation familiale. «Aujourd’hui, les dossiers d’installation sont un vrai casse-tête, et les banques sont de plus en plus frileuses.»
Pour Marc Tréhet, cette inquiétude du secteur bancaire reste l’un des baromètres les plus éloquents de la crise que traverse sa profession. Et encore : lui se décrit comme «un mauvais exemple», car «ça va encore bien». La conséquence, selon lui, de charges compressées au maximum, via la mutualisation des moyens de production entre voisins. Mais sur sa ferme de 300 hectares, où sont élevées «une centaine de vaches laitières» et où «l’on sort 4000 porcs par an», il assure ne pas pouvoir faire beaucoup plus. «Tout peut basculer», ajoute-t-il.
« Moins de contraintes pour plus de compétitivité », affiche donc l’écriteau installé sur son tracteur. A chacun son slogan : « France, n’abandonne pas tes paysans », « L’amour est dans le prix »... Eric Thillard, responsable de la FNSEA sur l’arrondissement de Neufchâtel, affiche un constat plus catégorique : «Hier éleveurs, aujourd’hui esclaves, demain révolutionnaires».
Pour l’agriculteur basé à Nesle-Hodeng, l’absence de solutions à long terme dessine les contours d’une expression plus radicale à venir, à la manière des bonnets rouges en Bretagne. La réaction courroucée de bon nombre d’agriculteurs, suite aux annonces de Xavier Beulin place de la Nation (lire ci-contre), semblait lui donner raison hier. «C’est du sparadrap, lâche Eric Thillard, dépité. On se moque des gens qui ont fait trois jours de tracteurs.»
Beaucoup se désespèrent notamment de ne pas voir la grande distribution et les industriels mis davantage sous pression. «Le monde agricole a raté ça, analyse Marc Tréhet. Nous aurions dû être à l’origine du système de la grande distribution, comme nous l’avons été pour certaines banques et certaines coopératives. Mais nous avons laissé faire les Leclerc, les Intermarché...»
«Je me considère autant comme gestionnaire d’entreprise qu’agriculteur»
Néanmoins, l’exploitant brayon se dit obligatoirement « optimiste », car aujourd’hui «je me considère autant comme gestionnaire d’entreprise qu’agriculteur». Un gestionnaire qui demande avant tout «l’autorisation d’évoluer», sans avoir non plus à subir les craintes et soupçons imputés à l’agriculture intensive, trop souvent relayés à son goût (y compris, selon lui, dans sa propre commune). D’où sa tendance à tempérer les manifestations d’enthousiasme des Parisiens, hier. Régis Chopin, président de la FNSEA dans l’Eure, y a vu hier, comme il l’a déclaré à la tribune installée place de la Nation, «un pacte à faire vivre» entre les agriculteurs et la population.
De notre envoyé spécial à Paris, Thomas Dubois
t.dubois@presse-normande.com
- Même tonalité du côté du Calvados...
Commentaire de Florestan:
Il faudra surtout que les agriculteurs ci-devant "Bas-Normands" abandonnent leur surmoi breton pour changer vraiment de modèle agricole.
Alors que les solutions d'avenir se préparent déjà: la reconstruction des filières agricoles normandes dans la proximité et la qualité (voire le bio) avec le soutien financier des collectivités territoriales pour contourner l'obstacle corporatiste mafieux du bloc FNSEA/ SAFER/ Crédit Agricole qui détruit l'avenir de l'agriculture française:
- Pour en savoir plus sur l'association "Initiative Orne":
http://www.initiative-orne.com/