Pour la troisième fois, l'Etoile de Normandie relaye avec plaisir l'initiative de la rédaction de Paris-Normandie qui nous a proposé une série de reportages sur le grand chemin "montois" partant de Rouen: de Rouen, notre métropole normande au Mont St Michel et à pied, qui plus est, les journalistes de Paris-Normandie affichent une belle curiosité normande et un attachement symbolique à notre région: nous les en remercions vivement de ne pas en avoir plein les pieds de notre belle région normande, contrairement à d'autres "cons-frères"!
Sur les chemins du Mont-Saint-Michel: à travers l’Avranchin
« Saint-Brice était la capitale de la cerise »
Daniel aide son fils à retaper une vieille bâtisse en pur granit rouge, une pierre du coin qu’on appelle aussi le corail. «Il n’y avait plus que trois pans de murs quand on l’a achetée», exulte Daniel. C’est vrai qu’elle a de la gueule. «Plus haut, tu vas passer à la ferme des Forges chez mon cousin Lucien»,m’affirme Daniel en me montrant la direction de la main. Vingt minutes plus tard, je longe la ferme assoupie. Lucien coupe du bois à la hache. «Pas encore perdu » me hèle-t-il. À la retraite, Lucien possède encore quelques vaches à viande. «Par ici, on fait surtout du lait, Mais aujourd’hui, c’est la misère dans les fermes du coin.» Il est né dans le hameau de Bellevue à moins d’un kilomètre de là. «Je n’ai pas beaucoup voyagé. C’est comme ça...» Je sens l’orage à mes trousses. Quelques grosses gouttes tombent, mais sans donner suite... Je traverse une zone de prés où se succèdent vaches normandes, blondes d’Aquitaine et salers à cornes pointues. Puis, une descente sur Saint-Brice me conduit jusqu’à la mairie. Françoise, la secrétaire m’accueille avec bienveillance. «Dans le temps, Saint-Brice était la capitale de la cerise. Elle partait d’Avranches par le train pour Paris où elle était très appréciée... Bon, aujourd’hui, les derniers cerisiers servent surtout à faire de l’ombre dans les jardins.» Françoise m’évoque pêle-mêle la fusion probable de Saint-Brice avec les communes des alentours, les renards qui rôdent dans le village, la conservation des haies, des fossés dans le bocage... «Avranches n’est plus très loin», me dit Françoise comme un encouragement. Plus j’approche de ma destination, plus j’entends le bruit lancinant de l’autoroute. Au pied de la vieille ville d’Avranches, j’emprunte le tertre Saint-Nicolas, un chemin casse-pattes où en haut m’attend ma logeuse, Jacqueline Poullain-Turquetil. «C’était par ce chemin qu’on entrait à Avranches au Moyen-Âge», confie t-elle.La chaleur est étouffante. L’orage gronde. Au loin, je reconnais la silhouette du Mont avec les fleuves côtiers la Sée et la Sélune qui scintillent dans un ciel couleur d’acier.
Le lendemain, pendant le petit-déjeuner, je converse avec mon hôtesse, adhérente de l’association des Chemins du Mont-Saint-Michel. «Ce que je recherche, c’est l’humanité des marcheurs», lance Jacqueline. «En les recevant chez moi, j’ai l’impression d’avoir des invités.» Pendant une heure, nous discutons à bâtons rompus de nos enfants, du plaisir de la marche, de la campagne, mais aussi de la spiritualité du Mont, malgré ses tentations à rentabiliser une formidable machine à cash. Il faut bien repartir. Surprise : en sortant, je me retrouve au cœur du grand marché du samedi matin. Idéal pour préparer la pause-déjeuner de l’étape du jour. Après les orages de la soirée, la matinée est fraîche. Le plus dur sera de quitter Avranches, ceinturé par une voie express, puis de traverser une zone d’activités sans âme. Mais une fois franchie la voie ferrée et le pont de la Sée, place aux prés-salés de la baie du Mont-Saint-Michel. Dans un champ en contrebas, une dizaine de lapins s’ébattent dans les garennes.
« Le Mont, ce n’EST PAS pour aujourd’hui! »
Le Mont qui se trouve derrière le Grouin du sud n’est pas visible. Le long du chemin est bordé de maisons plutôt hétéroclites. L’une d’entre elles en bois s’appelle «Mieux que rien». À côté, j’aperçois une jeune femme qui boit un café sur une terrasse. La conversation s’engage avec Anaïs qui ignore tout de ce chemin des pèlerins du Mont. «Des randonneurs, j’en vois souvent mais je n’avais jamais remarqué qu’ils suivaient ces pastilles du Mont sur les poteaux.» Elle m’évoque sa vie tranquille face aux herbus comme les Manchots appellent les prés-salés. «C’est un peu hors du temps ici. On oublie même la mer, sauf lorsque le mascaret remonte la Sée aux grandes marées. J’ai vu la mer au pied de la maison, mais je ne crains pas le raz-de-marée, même si certains anciens le redoutent.» Je poursuis ma route qui longe la baie, abritée par le vent de nord-ouest. Mais à l’arrivée au Grouin du sud, une pointe rocheuse face au Mont, des rafales de vent me font comprendre pourquoi les rares visiteurs sont en doudoune. Quant au Mont-Saint-Michel, il se dessine à peine dans la brume. «Faire autant de kilomètres pour ne pas le voir, c’est rageant», m’interpelle, ironique Évelyne, une habitante de la baie qui attend une concentration de motards au Grouin. «Eux aussi vont être déçus», mouronne-t-elle. Après la pointe, les herbus reprennent leurs droits avec leur bordure d’habitations. Une vieille dame, assise sur un banc dans la cour de sa ferme, me salue. «Ah ça non, le Mont, vous ne le verrez pas aujourd’hui.» Foi d’habitante de la baie depuis toujours. L’une des dernières à toujours résider dans la ferme familiale.. « Il n’y a plus de ferme sur le trait de côte, c’est interdit. Toutes celles que vous voyez, ce sont des résidences secondaires retapées pour les vacances. Les éleveurs des prés-salés sont plus loin à plusieurs centaines de mètres de la baie. C’est ça le monde moderne....» Genêts où cette vieille dame allait à l’école à pied n’est plus qu’à quelques minutes. Sur la baie, j’aperçois des groupes disparates. Le Mont reste une silhouette abstraite. Une nuit à Genêts, puis ce sera la traversée jusqu’à la Merveille de l’Occident.
Philippe LENOIR
Plus d’informations sur les itinéraires: www.lescheminsdumontsaintmichel.com
LA RENCONTRE : Bernard Legent, producteur de calvados
À voir
Dimanche prochain dernière étape : la traversée de la baie du Mont-Saint-Michel