NORMANDIE IMPRESSIONNISTE 2016: un bilan mitigé entre météo maussade, attentats et... mépris parisianiste!
La 3ème édition du festival régional "Normandie impressionniste" consacré au portrait va bientôt s'achever à la fin du mois de septembre 2016 et on sait déjà qu'elle n'aura pas l'éclat des deux précédentes manifestations en terme de fréquentation ou d'événements permettant d'associer la population normande. Comme d'habitude, et en attendant d'avoir les chiffres définitifs des entrées aux expositions, on dira que cette moins bonne édition en terme de fréquentation est lié à plusieurs facteurs:
1) une météo plutôt maussade de la mi-juin à la mi-juillet
2) un contexte sécuritaire anxiogène lié aux attentats de juillet, notamment sur le sol normand à Saint Etienne de Rouvray
3) Le choix d'une thématique plus exigeante avec le portrait
4) Mais aussi: une grosse machine trop complexe et devenue illisible en terme de communication vers le public (la carte du festival n'a pas bien fonctionné)
5) Mais aussi et surtout: une relative absence de couverture médiatique de l'événement au niveau national, c'est à dire, au niveau des grands médias parisiens qui ont eu tendance à traiter le festival par le mépris sous prétexte que tout avait déjà été dit lors de la première édition sur ce mouvement de peinture et esthétique trop patrimonial et trop grand public, en un mot... trop ringard!
Mais au delà de cette conjoncture de l'été 2016 moins favorable que les précédentes, il y a surtout un avenir plutôt inquiétant: la possibilité que l'actuelle formule de "Normandie impressionniste" soit englobée et diluée dans une opération "Destination impressionniste" étendue à toute la région parisienne pour une aire allant de Honfleur à la forêt de Barbizon. L'existence de ce grand machin est déjà prévu en filigrane dans le schéma stratégique d'amenagement de la vallée de la Seine...
Lire ci-après, le bilan critique proposé par Paris Normandie:
Art. A quelques jours de la fermeture de Normandie Impressionniste, les chiffres de fréquentation connaissent une baisse certaine.
Effets d’une période anxiogène ou lassitude du public face à une manifestation en peine de renouvellement, la question n’est pas tranchée.
Des chiffres raisonnables
En tout cas, l’exposition Caillebotte aura fait beaucoup mieux que celle du musée des Beaux-Arts de Rouen qui atteindra les 100 000 entrées au lieu des 150 000 visées au démarrage. Frédéric Sanchez, le président de Rouen-Métropole n’a pas caché, il y a quelques jours, sa déception. «L’effet de curiosité s’est estompé» juge-t-il. Une phrase lourde de sens, car elle tend à prouver que le festival, après trois éditions, est en peine de renouvellement et que le public se lasse d’un mouvement Impressionniste trop exploité pour sa popularité. Une hypothèse abondée par les chiffres du musée Malraux du Havre qui, avec son exposition consacrée à Eugène Boudin enregistre au 15 septembre 61 000 entrées, bien en dessous des 80 000 espérés et atteint, il y a trois ans, par l’expo Pissarro.
À Caen l’exposition consacrée à Frits Thaulow, un paysagiste norvégien, atteint les 50 000 entrées quand en 2013, l’exposition en comptait 77 000. Pour Rouen, le temps des 238 000 visiteurs de la première édition du festival, semble lointain. «On revient à des chiffres raisonnables» explique Sylvain Amic, conservateur du musée des Beaux-Arts de Rouen. «Car, avec 100000 entrées, cela reste un niveau de fréquentation exceptionnelle pour Rouen.»
Annette Haudiquet, conservateur du musée du Havre, reprend l’argument à son compte. «En 2001, le musée Malraux enregistrait 55000 visiteurs par an. Avec plus de 60000 visiteurs pour Eugène Boudin, nous sommes dans la jauge des grandes expositions nationales.» Surtout, les conservateurs sont convaincus de l’intérêt scientifique de leurs expositions respectives et réfutent toute lassitude de leur part ou de celle du public pour l’Impressionnisme. «Cette exposition Boudin, la première auHavre depuis 1906, a du sens par rapport à l’histoire du musée et c’est l’une de celles qui me tenaient le plus à cœur» insiste Annette Haudiquet. Sylvain Amic défend, lui aussi, son expo. «Le sujet en valait la peine, car le portrait est un genre encore peu connu dans l’Impressionnisme. Notre objectif n’est pas de faire du tape-à-l’œil, du provocant pour faire des entrées.» Même son de cloche pour Emmanuelle Delapierre au musée de Caen. «Thaulow était un vrai défi, mais notre catalogue est épuisé, ce qui prouve un engouement pour un peintre peu connu.» Tous mettent cette moindre fréquentation sur les mouvements loi-travail du printemps qui ont bloqué les grandes agglomérations normandes et l’atmosphère anxiogène liée aux attentats de juillet à Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray. Un argument recevable puisque les petits musées du festival ont plutôt bien tiré leur épingle du jeu par de belles expos, mais aussi un cadre plus rassurant. Jacques-Sylvain Klein, ancien élu de Rouen et initiateur de Normandie Impressionniste pense que le festival doit rester ancrer dans son territoire.
Trop populaire, pas assez branché
«Dès le départ, nous savions qu’il y avait un risque d’érosion. Pour l’éviter, il faut conserver l’idée première de l’Impressionnisme en Normandie.» Était-ce le cas avec cette thématique du portrait plus généraliste et d’ailleurs seulement respecté par Rouen ? «Disons que le thème était compliqué et sortait du lien avec le territoire» élude l’historien d’art. Une thématique tellement compliquée qu’elle n’a donc pas été suivie comme le regrette Frédéric Sanchez. Annette Haudiquet s’en défend, même si l’expo Boudin était principalement constituée de paysages. «Mais cela constituait un portrait du peintre» se justifie-t-elle sans réellement convaincre. Et si l’Impressionnisme n’était plus en vogue ? «C’est le cas chez les élites intellectuelles et médiatiques. Trop populaire, pas assez branché» assure Jacques-Sylvain Klein. Olivier Céna, redoutable critique d’art de Télérama, fustigeait le festival au printemps dernier, une industrie culturelle et touristique qui entretenait le mépris des élites. «Mais je préfère l’engouement populaire au mépris de classe» assure-t-il. Néanmoins, Olivier Céna prédit que le filon s’épuisera. «Il me paraît difficile de répéter et répéter encore une telle manifestation, même avec des thèmes d’expositions tirés par les cheveux.» Tous les conservateurs disent le contraire et sont prêts à prendre les paris pour réussir une quatrième édition. Avec un budget en 2016 de 5,5 millions d’euros, le droit à l’erreur ne sera plus de mise.
Philippe LENOIR