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L'ETOILE de NORMANDIE, le webzine de l'unité normande
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9 janvier 2019

Quand le Mémorial de Caen a la mémoire sélective...

La rédaction de l'Etoile de Normandie est tombé sur cet article paru dans la dernière livraison du magazine Le Point:

https://www.lepoint.fr/societe/la-seconde-guerre-mondiale-sans-juifs-ni-deportation-09-01-2019-2284457_23.php

La Seconde Guerre mondiale, sans juifs ni déportation

Lorsqu'une visite guidée en famille du Mémorial de Caen fait l'impasse sur les camps de concentration et l'extermination des juifs. Récit.

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Par

C'était un après-midi du mois de décembre. Pour les vacances scolaires, j'avais décidé de faire un saut dans l'Histoire et d'aller passer quelques jours dans la région des plages du Débarquement. Pour compléter le tour du cimetière d'Omaha Beach, je me suis inscrite à une visite guidée « en famille » du Mémorial de Caen autour du thème de la Seconde Guerre mondiale. L'idée était simple : laisser à des professionnels rompus à l'exercice le soin d'expliquer à mes enfants, âgés de huit et dix ans, les dessous de la Seconde Guerre mondiale, afin qu'ils en apprennent davantage que ce qu'ils en savent déjà. Avec une conférencière, nous aborderions « les grandes questions de la Seconde Guerre mondiale grâce à la découverte de documents d'époque et à la manipulation d'objets », comme l'annonce le site internet du Mémorial.

Cela a plutôt bien commencé. Nous avons tout compris des origines de la Seconde Guerre mondiale depuis le traité de Versailles, et la guide a expliqué avec soin la montée des nationalismes et les dessous de la propagande, tout comme la différence entre « Allemands » et « troupes nazies ». Sauf qu'au bout de presque deux heures, nous n'avions parcouru l'Histoire que jusqu'en 1941. Et qu'en dépit du programme annoncé, des sujets essentiels ont été complètement passés sous silence.

Impasse sur la Shoah

Le mot « juif » n'a été prononcé que deux fois (exclusivement pour expliquer qu'Hitler les tenait pour responsables de la crise) ; « Tsiganes » et « homosexuels », pas une seule fois. Le mot « débarquement » n'a été prononcé qu'à l'accueil du groupe, avant de pénétrer dans l'exposition, pour nous dire que « la Bataille de Normandie avait duré plusieurs jours, et non quelques heures comme on le croit souvent ». Les mots « étoile jaune », « déportation », « camp de concentration », « chambres à gaz », « Gestapo », « dénonciation », « pogrom », « ghetto », « rafle », « génocide »… n'ont pas été prononcés une seule fois. Pas une seule fois en plus de 2 h 30.

Lorsque je me suis étonnée que l'on saute allègrement la moitié de l'exposition, la guide a répondu très posément qu'avec « des enfants de moins de douze ans, on n'aborde pas la question de la Shoah », mais que « libre à [nous] de retourner dans les salles dédiées à la fin de la visite guidée ». Sauf qu'à la fin de la visite, qui s'est éternisée bien au-delà de la durée annoncée (elle devait être concentrée sur 1 h 45), impossible de trouver la force de poursuivre. C'est donc dans le hall du Mémorial et armée d'un smartphone que j'ai choisi quelques photos sur Internet pour parler de la déportation et de la Shoah à mes enfants.

Que l'on choisisse de ne pas montrer des photos ou des films montrant les horreurs de cette guerre à tous les enfants âgés d'une dizaine d'années sans connaître leur degré de sensibilité, soit. Mais à quoi bon les emmener visiter le mémorial de la Seconde Guerre mondiale si on omet sciemment de parler des juifs, de la déportation ou des camps de concentration ?

Un Français sur dix ignore ce qu'est la Shoah

Fin décembre, un sondage Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès révélait qu'un Français sur dix n'a jamais entendu parler du « génocide des juifs ». Une ignorance qui touche une personne sur cinq chez les 18-35 ans ! Pourtant, comment transmettre les leçons de l'Histoire si même ceux qui s'y intéressent, se déplacent à l'exceptionnel Mémorial de Caen et paient cher pour bénéficier d'informations éclairées (19,80 euros pour un billet d'entrée plein tarif ou 17,50 euros le tarif réduit, auxquels il faut ajouter 4,50 euros par adulte pour la visite guidée et 3 euros par enfant) ne sont pas jugés aptes à connaître l'Histoire dans sa globalité ?

Contacté a posteriori pour connaître les raisons de ces omissions volontaires, le service Réservation du Mémorial a d'abord répondu au Point qu'il « n'était pas étonné : 1 h 45, c'est trop court pour avoir le temps d'aborder tous les sujets ». Mais le choix des thèmes finalement évoqués en 2 h 30 était-il judicieux ? Une responsable a ensuite pris le relais et regretté que notre visite se soit déroulée ainsi : « Nous abordons toujours la thématique du génocide des juifs et des Tsiganes à travers quelques photos, et notamment le cartable de Roger Stern, jeune garçon juif qui vivait en France pendant la guerre, ce qui nous permet d'aborder le sort des enfants dans la Shoah. » Cela n'a malheureusement pas été le cas pour nous.

En revanche, nous avons certes pu toucher les chaussures bricolées pour un « enfant vivant pendant la guerre », nous avons pu manipuler les billes en terre avec lesquelles il jouait (« Mais oui, bien sûr que les enfants jouaient ! »), essayer un masque à gaz, consulter un abécédaire utilisé sous Pétain pour comprendre en quoi consiste le culte de la personnalité (C comme « Caresse » avec le Maréchal passant la main sur un mouton…), et toucher un ticket de rationnement.

Jeu de rôle douteux

L'occasion pour la guide de se prêter à un jeu de rôle pour le moins dangereux. Certes, son intention était louable : expliquer aux enfants que tout le monde n'avait, à l'époque, pas eu le choix de choisir son camp. Mais demander à un garçon d'une dizaine d'années de se mettre dans la peau d'un père de famille devant subvenir aux besoins de sa femme et de ses trois enfants était pour le moins maladroit : « Que ferais-tu si tes tickets de rationnement ne suffisaient pas à ta famille et qu'on te proposait d'aller gagner trois fois plus d'argent en fabriquant des armes en Allemagne ? » Et le jeune garçon de répondre, penaud, ce qu'attendait la guide : il irait sans doute en Allemagne. « Collabo ! Même si c'est de la collaboration forcée ! » s'est exclamée la guide, avant de poursuivre, en s'adressant à une adolescente âgée de quelques années de plus : « Et toi, si tu n'avais ni famille ni enfant, et que tu avais 25 ans, que ferais-tu ? » « Je prendrais le maquis ! » En voilà, une bonne résistante ! De quoi donner envie de revenir dans ce Mémorial, dont la qualité reste exceptionnelle, mais en complète autonomie. Pour mieux préserver l'Histoire.


 Commentaire de Florestan:

La mémoire reste sélective au Mémorial de Caen: car à la relative absence de la Shoah (évidente comme le nez au milieu de la figure qu'on ne voit hélas plus), il y avait aussi l'absence du martyre de la population normande et des villes normandes libérées par la Liberté casquée des Anglo-américains pendant ce tragique été 1944...

Il a fallu attendre 2014 et les commémorations internationales du 70ème anniversaire du Débarquement pour que soit ouvert le Mémorial de Falaise pour avoir enfin une présentation  muséographique complète sur ce sujet longtemps impensé et désormais couronné par une reconnaissance officielle de la République française incarnée par un François Hollande, né à Rouen, qui nous a octroyé la réunification normande contre un Laurent Fabius qui n'en voulait pas.

Mais il reste encore un impensé mémoriel caennais:

Entre 1066 et 1944 l'histoire de la ville de Caen a disparu et beaucoup de touristes français ou étrangers continuent de croire encore que Caen c'est du béton sur des ruines. C'est faux, bien entendu, d'où l'urgence de réhabiliter et de valoriser ce qui reste du riche patrimoine architectural, artistique et culturel de la ville fondée par Guillaume Le Conquérant. Car pour lors, seules deux grosses boîtes attirent massivement du monde à Caen sans pourtant faire de notre ville normande une réelle destination: elles sont sur le périphérique. Au Nord: Le Mémorial avec 500000 visites annuelles et IKEA au Sud avec 600000 visites annuelles... Cherchons l'erreur!

... Sans parler d'un problème moral fondamental: celui de valoriser le tourisme de la Mémoire de la Seconde Guerre mondiale comme s'il s'agissait d'une ressource économique territoriale comme une autre. Notons que ce problème moral se pose avec une acuité qui confine à l'absurde sur le site actuel du camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Le tourisme de la Mémoire doit rester, avant tout, notamment sur ses sites historiques les plus sensibles, un pélerinage de la morale laïque (et religieuse si l'on croit encore en Dieu).

Il est important qu'une visite au Mémorial de Caen reste, avant tout, une occasion précieuse de réfléchir et de stimuler notre lucidité et notre (mauvaise) conscience, à condition que rien ne soit occulté même s'il s'agit d'exposer des visions tragiques ou infernales qui auraient effrayé Dante lui-même.

On ne va pas à Auschwitz ou au Mémorial de Caen pour en revenir avec un souvenir acheté à la boutique d'Auschwitz ou du Mémorial de Caen mais avec une émotion douloureuse qui doit fonder en nous une piété, si ce mot vénérable sinon ringard, a encore une signification pour nos contemporains...

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Commentaires
B
Nul n'est prophète en son pays... quelques uns avaient aussi reproché au regretté<br /> <br /> Jean Ferrat ne n'avoir cité qu'un seul prénom d'origine juive dans sa très belle et émouvante chanson "nuit et brouillard"; moi aussi, enfant de la guerre "je twisterais les mots s'il fallait les twister", mais deux générations plus tard "le sang sèche vite en entrant dans l'histoire...
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M
Cela fait des années que j'y ai mis les pieds, les manques sur La shoah comme sur le rôle de l'état français étaient déjà escamoté, j'avoue que ce mémorial ne fait pas partie des lieux à visiter que nous conseillons à nos hôtes, en plus Caen est un point noir de la circulation et des travaux. Les sites du débarquement et les cimetières de saint Laurent et de la Cambe parlent sans animateurs, surtout quand ils racontent que les billes en terre étaient typiques de la guerre alors qu'on en trouve dans les fouilles des cités gallo romaines et qu'on les achetait encore en filets quand j'étais môme 3 terre contre 1 oeil de chat 😋
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K
La réponse du Mémorial à l'article : <br /> <br /> <br /> <br /> "Le Mémorial de Caen consacre une part essentielle et centrale de ses parcours à la Shoah et à la déportation des Tsiganes. Persécution des juifs, Ghettoïsation, déportation, extermination, Shoah par balles, Shoah des enfants.<br /> <br /> <br /> <br /> Le Mémorial organise, chaque année, 4 formations sur la Shoah à destination des enseignants, dont 1 formation à l’échelle européenne, en partenariat avec le Mémorial de la Shoah à Paris et la fondation Yahad-In-Unum.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour toutes les classes de collèges et lycées, le Mémorial propose aux enseignants de travailler sur la question de la Shoah dans le cadre d’un atelier pédagogique. Il leur propose aussi des visites guidées sur le thème de la Guerre d’anéantissement dans lesquelles la Shoah est largement abordée.<br /> <br /> Pour les lycées de Normandie, le Mémorial est partenaire d’un voyage d’études annuel à Auschwitz organisé par la Région Normandie et le Mémorial de la Shoah.<br /> <br /> Pour les élèves de primaire, le Mémorial propose un atelier pédagogique intitulé « Rachel, l’histoire d’une enfant cachée » dont le thème est exclusivement dédié à la persécution des Juifs et à la Shoah.<br /> <br /> Dans le cadre de la visite guidée proposée aux primaires sont abordées les persécutions antisémites, les enfants dans la Shoah et l’extermination dans les camps.<br /> <br /> En 2008, le Mémorial de Caen a présenté une exposition intitulée « Survivre : les enfants dans la Shoah ».<br /> <br /> <br /> <br /> En 2017, il a présenté une exposition dénonçant la propagande antisémite intitulée « Dessins assassins ou la corrosion antisémite en Europe ».<br /> <br /> Depuis 2015, dans cadre de l’École numérique, le Mémorial propose le récit de 2 petites filles juives pendant la guerre sur l’ensemble de ses outils numériques. Projet soutenu et relayé par le ministère de l’Éducation nationale.<br /> <br /> <br /> <br /> Tous les ans, le Mémorial accueille des témoins, des historiens, des philosophes, des sociologues, des responsables de musée et des pédagogues qui interviennent sur la Shoah.<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin, dans la visite guidée proposée aux familles, sont abordés le génocide des Juifs et des Tsiganes (stigmatisations, persécutions et ghettoïsations), la Shoah par balles, la Shoah des enfants, les camps d’extermination et une présentation d’un tableau de classification qui permet d’expliquer toutes les catégories de déportés."<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Cet article est d'une incroyable mauvaise foi. Hélas aujourd'hui la polémique vaut davantage un article qu'un sujet bien étayé.
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