PATRIMOINE NORMAND EN PERIL/5: Destruction des derniers vestiges de la gare transatlantique du Havre!
Nous poursuivons, hélas, notre triste pélerinage dans le patrimoine normand en péril avec une 5ème station devant l'ancienne gare transatlantique du Havre ou, du moins, ce qu'il en reste puisque ce chef d'oeuvre de l'art Déco doit faire place à une improbable usine de fabrication de pales d'éoliennes... On est bien désolé de le dire mais Edouard Philippe, tout Premier ministre qu'il est, est, aussi, le chef des Vandales...
Explications exhaustives données par l'excellent Didier Rykner, de la Tribune de l'Art, plutôt en colère... Et nous aussi!
01/6/20 - Patrimoine - Le Havre, Gare maritime transatlantique - Il y a des gens dont on apprend qu’ils ont vécu le jour de leur décès. Il en va parfois de même pour des monuments : on découvre qu’ils existent au moment de leur destruction. C’est hélas le cas, pour ce qui nous concerne, de la gare maritime transatlantique du Havre actuellement en cours de démolition. Comme les photos que l’on trouve sur Internet le démontrent, il s’agissait pourtant d’un chef-d’œuvre de l’Art déco tardif, datant de la reconstruction du Havre dont il faut rappeler qu’elle est classée au patrimoine mondial de l’humanité. Pour avoir une bonne idée de la beauté des lieux, nous conseillons de regarder le blog « Le Havre, etc. » ici, et là. On peut y voir le grand hall d’accueil, dont on trouve également des cartes postales anciennes (ill. 1 et 2) mais aussi le grand salon avec des sculptures et de magnifiques ferronneries, et le petit salon.
Cette gare n’est pourtant pas inconnue de la ville puisqu’elle lui consacre même une page de son site internet. (NDLR: le lien a été supprimé...) On y apprend qu’une première gare Art déco fut construite en 1935 par l’architecte Urbain Cassan. Celle-ci, en grande partie détruite par les bombardements de 1944, fut reconstruite après la guerre par le même architecte, de manière « volontairement sobre en façade pour ne pas heurter les Havrais mal logés », mais fort riche à l’intérieur. L’aménagement intérieur, qui existait encore jusqu’à ces derniers jours, était dû à l’architecte parisien Pierre Barrère, avec « un décor signé des sculpteurs Saupique, Bourdet et Chauvenet. L’ensemble est agrémenté d’éléments sculptés, de boiseries et de ferronneries. »
Cet ensemble méritait sans aucune discussion un classement aux monuments historiques. Si nous ne connaissions pas les menaces qui pesaient sur ce lieu, la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Normandie ne pouvait les ignorer, car elles ne datent pas d’hier [1]. On lit dans un article publié le 28 avril 2014 sur le site actu.fr que « Si Areva confirme son implantation au Havre, la gare maritime sera détruite. » C’est exactement ce qui vient d’arriver, sans que le ministère de la Culture ne fasse rien pour sauver ce lieu [2] : c’est la société Siemens Gamesa, associée avec Areva, qui détruit l’ensemble des bâtiments pour y construire une usine d’éoliennes off-shore…
Si le ministère de la Culture n’a rien fait, comme à son habitude, la Mairie du Havre, où un certain Édouard Philippe est maire (actuellement remplacé par Jean-Baptiste Gastinne, qui fait l’intérim) et candidat à sa propre succession, est évidemment tout autant responsable puisque c’est elle qui accorde les permis de démolir et de construire.
Nous avons appris les menaces pesant sur ce monument hier dimanche 31 mai. Et ce matin, les destructions étaient déjà en cours… Nous n’avons donc rien pu faire, et nous ne savons pas ce que vont devenir les sculptures et les éléments de ferronnerie. Ce qui est certain, c’est que ce lieu magique n’existe plus, et qu’une fois de plus, le vandalisme s’acharne sur l’Art déco.
Le Havre n’a donc pas souffert assez pendant la Seconde guerre mondiale après avoir été presque entièrement rasée de la carte. La gare maritime a été détruite une première fois en temps de guerre. Elle l’est une seconde fois en temps de paix, alors que le maire de la ville est Premier ministre de la France. Un beau symbole.
Notes
[1] D’ailleurs, la gare est incluse dans la base Mérimée du ministère.
[2] Quoi d’étonnant que cela se passe en Normandie, dont la DRAC est hélas une habituée de nos colonnes ; tout récemment, elle abandonnait à son sort un monument exactement contemporain de la gare maritime, le Palais des Consuls de Rouen.
Voir aussi:
La destruction de la gare transatlantique du Havre scandalise la presse britannique:
Les oeuvres d'art (fresques, statues, ferronneries, mobilier) qui se trouvaient encore à l'intérieur ont, semble-t-il été déposées et mises à l'abri: pour quel projet? L'histoire transatlantique du port du Havre ressemble de plus en plus à un amas d'épaves... Tandis qu'une association locale s'évertue à sauvegarder tous les témoignages matériels possibles de cette histoire magnifique. Les espaces art Déco de l'ancienne gare transatlantique du Havre auraient pu être l'écrin muséal idéal pour présenter ces précieuses collections, notamment celles qui proviennent du mythique paquebot "Normandie"...
Voir le site de l'association French lines (très beau site internet, faute de toujours avoir sur la commune du Havre, un lieu pertinent qui soit à la hauteur pour présenter au public des collections inestimables...):
Pour mémoire, l'histoire extraordinaire du plus beau paquebot du monde...
Le bas-relief de Marcel Chauvenet, la ronde de la mer, a été déposé et mis à l'abri...
Ces espaces intérieurs n'existent plus: les éléments décoratifs mobiliers ont été déposés et préservés mais ce sont, désormais, des objets orphelins qui vont être entreposés dans un hangar de brocante... En attendant la décision hypothétique de créer enfin au Havre un musée dédié à cette magnifique histoire transatlantique. (On peut toujours rêver...)
Le paquebot "France" et la gare transatlantique du Havre dans la scène finale du célèbre film de Gérard Oury "Le Cerveau" (1969): ultimes feux du prestige de la compagnie générale transatlantique...
Bien évidemment, la destruction de ce patrimoine maritime inestimable de style art Déco témoignant de la magnifique épopée des transatlantiques est aussi une CATASTROPHE TOURISTIQUE pour le port et la ville du Havre qui prétendaient, avant la crise, être une destination phare du tourisme de la croisière: en terme d'image cette destruction est une stupidité absolue!
Au lieu de faire comme à Cherbourg où les croisiéristes sont accueillis dans l'ambiance mythique de la gare maritime des années 1930, le souvenir du Titanic et la cité de la Mer, au Havre, ils ont décidé de détruire les souvenirs de la CGT jusqu'au bout (sans l'aide de l'autre... CGT) croyant qu'il sera possible d'envoyer les croisiéristes au septième ciel du rêve maritime à grands coups de pales d'éoliennes dans le... cul!