Réunifier pour ne pas subir la géographie des autres...
Voici une analyse de Florestan d'Hudimesnil intitulée "Réunifier pour ne pas subir la géographie des autres..."
Ce titre m'est venu hier soir à l'écoute d'une très instructive émission de France Culture "l'économie en question" alors consacré à la géographie économique et sociale des territoires et régions de France...
Etaient invités Hervé Lebras, démographe et Philippe Estèbe géographe, tous deux universitaires régulièrement consultés par les pouvoirs publics ou privés: je vous propose donc une petite synthèse fort éclairante de leurs propos...
1° Tout d'abord constat est fait de l'abandon de la part de l'Etat d'une planification centralisée de l'aménagement du territoire: la DATAR créée en 1963 et tout récemment supprimée a rendu de grands services pour sortir du "désert français" pour reprendre en partie la célèbre formule de François Gravier (1947).
L'époque des Trente glorieuses, taylorienne et discrétionnaire de l'aménagement du territoire (en gros: à Paris et dans les "métropoles d'équilibre" les cerveaux et ailleurs les bras) est terminée: elle aura eu les défauts de ses qualités et réciproquement. La DATAR a donc été remplacée par un vague Comité Interministériel pour l'Aménagement et la Compétitivité des Territoires: cet acronyme est révélateur... Avec le grand chambardement des années 1980 qui vit l'effondrement et la mutation de l'appareil industriel français confronté à l'ouverture de la concurrence mondiale, les territoires deviennent de plus en plus un enjeu de la concurrence sinon de la compétitivité économique...
Aujourd'hui, les acteurs de l'aménagement du territoire sont moins l'Etat et ses gros bras préfectoraux ou les grandes entreprises que les ménages eux-mêmes qui aménagent le territoire par leurs déménagements: ainsi l'étalement périurbain n'avait pas été prévue par les experts de la DATAR...
Néanmoins, la DATAR sera regrettée comme lieu de réflexion sur les territoires: ses analyses étaient appréciées par les élus locaux et récemment elle avait pris le tournant d'une vraie régionalisation du territoire français pour faire sienne la phrase de Michel Rocard prononcée au lendemain de la Guerre d'Algérie: "il faut décoloniser la province" (1966) pour démultiplier les énergies présentes sur les territoires...
En illustration : la Carte de la Normandie, sa métropole "en réseau" à la fois économique, politique et administrative, et son aéroport à vocation européenne et internationale.
(source de la carte : http://lehavrephoto.canalblog.com/)
Mais la décentralisation ou plutôt la déconcentration de l'Etat jacobin est passée par là avec les lois Pisani Deferre de 1982 et Raffarin de 2004: il ne s'agit en aucun cas d'une véritable régionalisation pour la simple et bonne raison que l'Etat par la fiscalité et sa politique de subvention (les contrats de plan ou de projets) tient les cordons de la bourse...
On assisterait même à une reconcentration financière d'un Etat impécunieux: il en est ainsi de la taxe professionnelle de moins en moins perçue par les communes urbaines pourtant de plus en plus regroupées en communautés d'agglomération afin de mutualiser les revenus de la fiscalité locale...
La puissance financière des collectivités territoriales françaises si on la compare aux autres collectivités territoriales en Europe reste assez faible... Elle même devenue fragile aujourd'hui tant la décentralisation n'a été qu'une déconcentration inachevée, c'est à dire de plus en plus de compétences transférées mais pas toujours avec les recettes financières qui vont avec: que seraient-ce aujourd'hui les finances régionales sans les contrats de projets ou les finances communales sans les dotations globales de fonctionnement négociés dans le bureau doré de Monsieur le Préfet?
Face à cette faiblesse et à cette fragilité financière accrue par une extrême complexité des compétences et des ressorts sur les territoires (communes et intercommunalité; SRADT et DAT; communauté de pays et bassins de vie; communautés d'agglo; conseils généraux; conseils régionaux; missions variées et autres agences inter-ceci ou inter cela: la République des fauteuils se porte bien!); les élus locaux n'ont guère de pouvoir financier pour diriger sans l'aide déterminante les grands dossiers de l'aménagement du territoire (par exemple: les grandes infrastructures de transport)... Ce passage obligé par les préfectures de l'Etat central sinon ses ministères parisiens accroit la concurrence des territoires: il ne reste aux élus que la carte, de plus en plus déterminante dans la compétition nationale et internationale, de la qualité du territoire qu'ils défendent...
Qualité de vie; qualité environnementale; qualité des réseaux et des infrastructures et aussi, et de plus en plus! qualité de l'image voire de l'identité forte et positive d'un territoire: ces avantages, ses "aménités" comptent de plus en plus notamment pour vivre et faire revivre des territoires sur la base de l'économie de service et de transferts: en clair, créer de l'activité grâce au pouvoir d'achat des retraités...
Se dessine alors une France à la géographie humaine (économie; social; identité sur un territoire) de plus en plus fracturée et évolutive: à cette France jolie de l'Ouest et du Sud des bords de mer et des montagnes vivant des rentes d'une économie de service ou des fonctions publiques s'oppose une France de l'Est et du Nord Est, celle des vieilles régions industrielles qui triment à faire le PNB français sur le marché mondial dans le risque permanent des délocalisations... Au centre, un rural profond presque désert qui redevient attractif depuis dix ans du fait de la pression foncière engendré par l'étalement urbain mais aussi par les contraintes qui pèsent sur la qualité de vie des grandes villes de l'axe Paris Lyon Marseille (coût de la vie; manque d'espace et pollution)
Alors aujourd'hui ce sont les villes de taille moyenne qui attire et celles de cette couronne mêlant à la fois la mer et le soleil
La Normandie est justement au contact de ces deux France: la réunification permettrait de jouer des avantages de l'une et de l'autre.
Mais la division normande ne permet pas à la Normandie de jouer pleinement la carte de la qualité territoriale (image brouillée) et encore moins celle de la compétitivité territoriale (rapport de force politique et financier particulièrement défavorable avec l'Etat)
Les villes normandes, en l'absence d'un réseau métropolitain sont moins compétitives que d'autres villes moyennes et complètement démunies face à l'émergence de petits Paris de province (Nantes; Rennes ou Lille)
C'est pourquoi, la réunification normande est la seule solution pour cesser de subir la géographie des autres... Au moins cela!
Florestan d'Hudimesnil.