La Normandie, le coeur et la raison...

1.     La fusion régionale normande est une affaire autant de coeur que de raison:

Le coeur aurait ses raisons que la raison ignore, dit-on…
C’est, pourtant, le dernier argument de mauvaise foi des conservateurs frileux ou opposés à toute fusion régionale entre Haute et Basse Normandie lorsqu’ils tentent de distinguer de façon finalement spécieuse entre région rationnelle (la collectivité territoriale, le périmètre administratif, des compétences et des finances) et région affective (la “province” géographique, historique avec son identité culturelle propre) alors que l’enjeu est précisément d’harmoniser le coeur et la raison sur les territoires normands pour les rendre collectivement plus performants, plus forts, plus solidaires et plus reconnus et faire en sorte que les politiques publiques régionales répondent encore plus aux besoins des populations et des forces vives normandes en traitant les problèmes et les enjeux à l’échelle pertinente et avec la vision pertinente.

Je regrette que le site Normandie2010.org ne puisse poursuivre son activité au delà de ces élections régionales car pour la première fois, on peut dire que Ouest France, Paris-Normandie et FR3 Normandie (émission “la voie est libre”) ont enfin pris au sérieux la question régionale normande et l’ont imposée, avec le concours des citoyens les plus actifs et les plus éclairés, à la classe politique régionale dans les deux régions administratives: malgré la permanence des arrières pensées et calculs politiciens mesquins d’un “baron” sortant, jamais on aura autant parlé de Normandie à l’occasion de ces élections! La presse nationale s’est fait l’écho des problématiques normandes, notamment le magazine L’Express avec un dossier spécial de 16 pages “Normandie, réunification la dernière chance” qui était très lucide et sans concessions sur les responsabilités politiques…
Notre collectif citoyen et républicain “Bienvenue en Normandie” s’est aussi largement mobilisé depuis l’automne dernier avec un séminaire d’étude proposé en partenariat avec l’Université Populaire de Caen animée par Michel Onfray et avec la participation des contributeurs et animateurs de ce site: qu’ils soient ici encore chaleureusement remerciés pour leur précieuse contribution à un débat public normand. Ce séminaire va se poursuivre après les élections avec une table ronde finale le 11 juin prochain avec pour thème: “quels projets pour une Normandie dans le Grand Paris?” (avec la participation déjà assurée d’Armand Frémont)…

Le coeur et la raison donc sachant que les “Vikings sont fatigués”! Arnaud Brennetot ne dira pas le contraire, la contemplation de notre splendeur patrimoniale passée ne peut suffire à justifier un projet régional économique et géopolitique dynamique tourné vers l’avenir, ce serait nous enterrer tous dans une Normandie, certes ô combien “sensible” des musées et des bibliothèques et nous exposer définitivement au syndrôme de Barbey d’Aurévilly, ce dandy aristocrate fier et assuré de ce qu’il est mais sans plus aucun moyen de le faire savoir ou de le perpétuer. Riche de son passé, riche de son évidence et de sa notoriété la Normandie doit entrer dans le XXIeme siècle et tourner la page de l’Après-Guerre, à savoir une Libération traumatisante suivie d’une brutale modernisation productiviste consacrée au tout pétrole, au tout bagnole et au tout nucléaire payé au prix fort de la spécialisation économique, du sous-encadrement et de la perte de l’unité régionale pour le seul profit de la région parisienne (au nom de l’intérêt national).

Sur la nécessité d’une souveraineté économique au niveau régional, un grand texte à lire ou à redécouvrir : “il faut décoloniser la province” Michel Rocard en 1966 (larges extraits récemments publiés dans le dernier numéro de la revue “socialiste”, histoire de faire mentir un peu un Daniel Cohn-Bendit qui fustigeait sur une radio nationale, la “fainéantise intellectuelle des barons socialistes sortants”…)

Le coeur en effet (je suis un “imbécile heureux d’être né quelque part”) mais surtout la raison: Hobbes, le philosophe qui a vécu les horreurs de la guerre civile anglaise, disait que le meilleur moyen de donner conscience d’un intérêt général commun aux imbéciles c’était de leur faire peur! Eh bien voilà le Grand Paris qui s’intéresse de trop près à nous (projet Grumbach): mais le “Grand Paris” version Grumbach s’intéresse moins à nous qu’à la mer et au port du Havre. Raison de plus pour qu’enfin! les décideurs politiques normands s’intéressent à la Normandie et à son avenir: Antoine Rufenacht, en grand déçu pragmatique du combat politique pour l’unité régionale normande, a parfaitement compris le parti qu’il pouvait tirer de la nouvelle donne imposée par le président de la République. Un lobby havrais ne faisant pas un lobby normand, Rufenacht a multiplié depuis novembre 2008 les provocations, stressant les élus bas-normands craignant la marginalisation vis à vis du corridor séquanien pour faire bouger la “fabiusie”…

Les bas-normands ont bien réagi faisant bloc dès le printemps dernier derrière Laurent Beauvais pour obtenir un vrai TGV normand pour une vraie desserte ferroviaire normande (option Sud et rive gauche avec débranchement dans l’Eure pour une desserte équilibrée entre Rouen-Le Havre et Caen-Cherbourg): l’enjeu c’est le désenclavement complet de la Normandie vis à vis de la région parisienne pour une meilleure connection au “hub” parisien des transports nationaux et internationaux à grande vitesse.

Mais au delà de la “bataille du rail” dont la première manche a été gagnée grâce à l’alliance objective entre Rouennais et Caennais, se profile à l’horizon une autre bataille aux enjeux plus grands: les hostilités devraient commencer dès la fin des opérations électorales (peu propices, c’est ainsi aux débats de qualité…) . Il s’agit de définir enfin de façon décisive sinon définitive le compromis métropolitain à l’échelle de la “grande” Normandie face aux enjeux de la montée en puissance à venir du “Grand Paris” qu’il soit tourné vers la mer ou non. Il s’agit aussi et c’est une vraie urgence de bon sens, de ne pas ajouter une “pétaudière normande” à l’actuelle “pétaudière” du Grand Paris pour la bonne et simple raison que le “Grand Paris” est l’occasion inespérée de faire valoir l’intérêt national et européen de la Normandie , région maritime, porte océane de l’Europe! La fenêtre “Grand Paris” est ouverte: les Normands doivent impérativement se battre pour qu’elle demeure ouverte…

Depuis le 7 janvier, Laurent Fabius est le président de la “CREA”, communauté de Rouen, Elbeuf, Austreberthe, 495 000 habitants, qui est au centre de la plus grande agglo de Normandie et qui est elle- même la plus grande communauté d’agglo des régions françaises, cela à 120km à l’ouest d’une mégapole de 11 millions d’habitants ou à 80km à l’est de la “plus grande sous-préfecture de France” et le tout dans une “demi-région”: de fait, le “Grand Rouen”, par la population et par la richesse de son territoire c’est, ni plus ni moins, le véritable 6ème département normand!

Le “Grand Rouen” suppose donc une “Grande Normandie” car le “Grand Paris” n’est pas loin. Mais le “Grand Rouen” s’il veut être “grand” ne peut se permettre d’ ignorer Caen et Le Havre: un “petit Paris de province” ? En Normandie, c’est impossible ( et tant mieux!).

Cette nouvelle situation oblige les décideurs rouennais, à commencer par Fabius lui-même à réfléchir au rôle de Rouen au delà du corridor séquanien, au delà de l’ombre portée de la région parisienne pour ne plus être une “métropole oubliée” (Yves Guermond). Depuis plus de 40 ans, cela n’avait jamais été fait, ni pensé!
Du côté du Havre, on sait ce qu’on veut depuis Port2000, la DTA de l’Estuaire et maintenant le projet Grumbach qui prend le risque de ressortir les vieilles lunes de Paul Delouvrier…
Du côté de Caen, on sait aussi ce qu’on veut à savoir la fusion régionale et une capitale administrative et technopole “d’équilibre” pour éviter la marginalisation bas-normande mais aussi pour contraindre les Haut-normands à sortir de leur corridor “séquanais” qui les enchaine plus sûrement qu’autre chose aux intérêts exclusifs de la région parisienne (Haute-Normandie ou “Sévéso-Normandie” ou encore “Basse-Seine” inférieure inféodée aux hauts revenus des Hauts de Seine): c’est le projet rappelé dans le dernier rapport “Tourret” (décembre 2009) qui préconise d’ailleurs un rapprochement sous la forme d’un “pôle métropolitain” entre les agglos de Caen et du Havre avec un projet culturel et économique de coopération avec le sud anglais pour mieux encore équilibrer l’attraction du Grand Paris. Perspectives séduisantes qui ignorent… Rouen!

Le dossier est-il pour autant bloqué? Je ne le crois pas tant que la lucidité “hobbesienne” sera à l’oeuvre…

Tout d’abord, un lien voire une convergence d’intérêt entre un “bloc bas-normand” et le “Grand Rouen” est à l’oeuvre pour, à la fois, peser à terme face au “Grand Paris” et pour neutraliser le maire du Havre: le 29 janvier dernier, MM Fabius et Beauvais se sont rencontrés et tous les grands dossiers normands ont été abordés. Le 26 février dernier, à l’occasion d’un meeting à Caen pour soutenir Laurent Beauvais aux régionales, l’autre Laurent évoque la réunification et le compromis métropolitain en des termes positifs tout en restant prudent (”Un plus Un ne fait jamais deux, cela fait toujours zéro ou … Trois, François Mitterrand me disait souvent cela” déclaration de Laurent Fabius à Ouest France). Dans son dernier numéro daté du 1er mars 2010, la “chronique de Normandie” nous assure que “de grandes décisions sont à prendre d’ici la fin de l’été” (dixit Fabius). Je note que Fabius quand il est à Caen parle de métropole normande et de réunification: il est plus discret sur le sujet à … Rouen!

Après le 21 mars, le calendrier pour le 3ème tour normand des élections régionales se précise:
A la fin du mois de mars doit sortir le texte d’un rapport signé Jacques ATTALI sur la part normande dans le Grand Paris, rapport missionné par le lobby havrais. Question: sortira-t-on enfin du “corridor” séquanien?

Fin avril, réunion programmée du conseil de développement de la CREA: au programme de la réflexion, le rôle, la place du “Grand Rouen” vis à vis du “Grand Paris”. Une réunion similaire est à l’odre du jour du côté de l’agglo de Caen. Enjeu: se préparer au grand colloque du Havre le 4 mai prochain avec, autour de Rufenacht, la puissance invitante: Delanoë, Fabius et Duron…

Pendant ce temps là, la réforme des collectivités territoriales est débattue devant le parlement avec, notamment, trois dispositions qui nous intéressent au premier chef:
1- le nouveau statut de collectivité territoriale de “métropole régionale” (avec transfert à la métropole des compétences du département);
2- un nouvel Etablissement Public de Coopération Intercommunale à fiscalité propre avec le “pôle métropolitain”
3- les modalités pour la fusion de départements ou de régions.

Aux dernières nouvelles, désireux de ne pas insulter l’avenir, Laurent Fabius serait intéressé par le statut de “métropole régionale” tout comme Philippe Duron et Alain Tourret seraient intéressés par le statut de “pôle métropolitain”: encore faut-il qu’une “métropole régionale” (La CREA?) puisse adhérer à un “pôle métropolitain” (CODAH- Caen la Mer?), chose qui n’est pas prévue en l’état actuel du projet de loi…

A la suite, viendront, les fameuses “grandes décisions à prendre avant la fin de l’été”: s’agit-il des arbitrages que tout le monde attend sur la question métropolitaine et donc de la “capitale”?

C’est pourquoi le scénario suivant me semble crédible et on verra si les prochains mois confirmeront le diagnostic:

Caen capitale administrative et technopole d’équilibre, Le Havre avant-port européen et tête de la nouvelle “conférence portuaire normande”, Rouen métropole régionale, le tout dans un “pôle métropolitain” et une Normandie fusionnée…

Mais ce n’est pas tout, justement!

Rouen métropole régionale d’une capitale administrative normande à Caen pourrait être aussi la capitale administrative d’une inter-région administrative “Nord-Ouest” pour les grands services déconcentrés de l’Etat: cette inter-région reprendrait les contours de l’actuel circonscription européenne et permettrait à Rouen de réapparaître de façon significative dans l’armature administrative nationale entre Lille et Nantes: les Picards à Amiens y trouveraient d’ailleurs leur compte puisqu’à l’instar des Normands ils sont écartelés entre Lille et Paris comme nous mêmes nous le sommes entre Grand ouest parisien et grand ouest breton…

Pendant ce temps là, la Normandie accueillera les foules impressionnantes de “Normandie Impressionniste”…

Reste un dernier petit détail à régler: que faire de Le Vern et de la fabiusie? Dans un tableau “impressionniste” le diable peut nicher dans les détails…

Florestan, Collectif BEN

Comments

[JM27]

La Normandie actuelle est parfaitement résumée dans cette phrase! Quel travail à venir pour en finir la reconstruction de son identité...Une implication de chacun sera nécessaire pour une meilleure prise de conscience de tous de ce que nous avons été, sommes et devrions être. Un défi presque herculéen!!

[crosman]

"Riche de son passé, riche de son évidence et de sa notoriété la Normandie doit entrer dans le XXIeme siècle et tourner la page de l’Après-Guerre, à savoir une Libération traumatisante suivie d’une brutale modernisation productiviste consacrée au tout pétrole, au tout bagnole et au tout nucléaire payé au prix fort de la spécialisation économique, du sous-encadrement et de la perte de l’unité régionale pour le seul profit de la région parisienne (au nom de l’intérêt national)".
La reconstruction c'est maintenant...