REPENSER LA NORMANDIE: une nouvelle livraison de la revue "Etudes Normandes"
Le nouveau numéro de la revue "Etudes normandes" (N° 1 - 2013), éditée par nos amis géographes de l'université de Rouen, parait le 4 juin prochain... Pour ceux et celles qui comme nous sont curieux, soucieux mais passionnés par l'avenir possible de notre région, la lecture de la revue "Etudes normandes" est indispensable. A l'ordre du jour de ce numéro, une réflexion conduite par Yves GUERMOND sur la nécessité de "repenser" la Normandie actuellement tombée dans un "trou" ou un "angle mort" à l'Ouest de la région parisienne, faute de construire une véritable "métropole" normande...
Pour en savoir plus sur la revue "Etudes Normandes":
http://www.normandie.fr/index.php
(avec notamment en ligne un répertoire et un petit moteur de recherche crée par Jacques Tanguy qui permet au lecteur de retrouver noms d'auteur et mots clefs dans tous les articles publiés dans cette revue depuis sa création au lendemain de la Libération jusqu'à l'année 2011...)
En avant-première et pour les lecteurs de l'Etoile de Normandie, voici le texte de cette réflexion d'Yves Guermond pour vous encourager à acheter et à lire ce numéro d'Etudes Normandes, notamment pour apprécier l'iconographie plutôt percutante utilisé par le géographe rouennais. Un article conçu comme une arme pour tout ceux et celles qui se mobilisent pour qu'un jour l'unité normande soit une réalité...
REPENSER LA NORMANDIE
Par Yves Guermond
Les problèmes d’emploi, liés à la désindustrialisation, et notamment à la crise de l’automobile et du raffinage ont fait passer sur la Normandie un souffle d’inquiétude, mais, ce qui est aussi un signe de vitalité, ils ont donné lieu à un foisonnement d’idées depuis cinq ou six ans. En janvier 2008 un ouvrage collectif de géographes rouennais lançait un premier cri d’alarme[1] . Au même moment l’urbaniste Antoine Grumbach lançait son projet d’un « Grand Paris » se prolongeant de part et d’autre de l’axe de la Seine[2].Ce projet a fait naître un certain enthousiasme au Havre, moins parmi les responsables rouennais, on ne sait trop pourquoi. Toujours est-il qu’avec le changement de majorité nationale de 2012, le projet s’est trouvé mis en sommeil, et la réflexion sur « le Grand Paris » s’est alors réduite au tracé de nouvelles lignes de métro. Il est resté de tout cela une idée intéressante, développée surtout lors du second colloque « Axe Seine », tenu au Zénith de Rouen le 23 mai 2011, c’est celle du « Gateway » (figure 1).
Figure 1 : Le Gateway
Le terme de Gateway (ouverture de porte) est un néologisme issu de plusieurs domaines. En théorie de l’information, il désigne une « passerelle », c’est-à-dire un « système (logiciel) permettant d’établir une liaison entre deux réseaux distincts présentant une topologie différente », ce qui peut s’appliquer à l’interface entre le transport maritime et le transport terrestre. C’est aussi une réminiscence des Gateway cities, ces villes où commença le développement du comté de Los Angeles. Cela peut être considéré aussi comme une allusion au Gateway Programme de la Communauté Européenne, destiné à aider à l’implantation d’entrepreneurs européens au Japon et en Corée. Bref le terme, issu du vocabulaire des conseillers en communication de la Chambre de Commerce du Havre, a tout pour séduire sur le plan publicitaire. Il évoque l’idée d’une vaste zone de développement de Paris à la mer, un modèle réduit peut-être du Zhujiang kou…L’idée est toutefois restée au stade de l’idée, et n’a pas été suivie de l’ébauche de mesures concrètes pour coordonner ce bel ensemble théorique. Il est vrai que ce Gateway laissait de côté le reste de la Normandie avec lequel aucun projet coordonné de développement n’était envisagé…
Parmi les propositions d’Antoine Grumbach le projet d’une nouvelle liaison ferroviaire avec Paris est le seul qui ait fait l’objet d’un suivi, à la fois parmi les institutions, les élus et le public. Certes le projet initial d’une ligne TGV directe Paris-Le Havre par la rive droite de la Seine, avec un embranchement vers Rouen, a été rapidement abandonné[3], mais plusieurs tracés, quittant Paris par la rive gauche de la Seine ont fait l’objet d’un « Débat Public » en 2011.
Le « Débat Public » ne portait pas vraiment sur la création d’une ligne de TGV, peu adaptée à d’aussi courtes distances, mais sur une « Ligne Nouvelle Paris-Normandie » (LNPN) destinée à faire face au trafic croissant avec Paris, et au nécessaire raccordement à la fois à l’aéroport de Roissy et au réseau de TGV national. Plusieurs options ont été proposées pour le tracé, mais en pratique le choix était à faire entre deux théories possibles (figure 2). La première option aurait consisté à faire de cette ligne nouvelle non seulement l’occasion d’une communication accélérée avec Paris, mais aussi celle d’une meilleure communication entre les trois principales villes normandes. Cela pouvait être obtenu par un tracé continuant sur la rive gauche de la Seine à partir de Rouen, vers Le Havre et vers Caen, avec un embranchement à Rouen vers ces deux villes, l’accès au Havre se faisant par un tunnel sous l’estuaire et la zone naturelle protégée. Dans une étape suivante, la liaison Le Havre-Caen aurait été simple à mettre en place, de même qu’une liaison Evreux-Rouen. La liaison d’Evreux avec Paris peut, quant à elle, être facilement assurée par la ligne actuelle à partir de la section Paris-Mantes, qui représente dans tous les cas la phase 1, la plus urgente, des projets (mais aussi malheureusement la plus incertaine, car elle est en concurrence avec le prolongement d’Eole de Paris à Mantes).
Figure 2 : Les lignes nouvelles de Paris à la Normandie : deux théories possibles
Cette « option normande » a été écartée lors du débat public, au profit d’une « option parisienne », qui consiste en fait en deux lignes accentuant la séparation de la Haute et de la Basse Normandie, l’une vers Evreux et Caen, et l’autre vers Rouen et Le Havre. Le tunnel traversant la Seine serait à Rouen, afin de rejoindre Le Havre par la rive droite de la Seine. La nouvelle gare d’Evreux serait implantée en rase campagne, au nord de la ville, et pourrait être rattachée à Rouen dans une phase ultérieure. L’accès direct à Paris des deux parties de la Normandie a été favorisé.
On retrouve donc ici l’éternel débat (le serpent de mer ?) sur la division de la Normandie entre l’Ouest (« la Basse ») et l’Est (« la Haute »). Dans un livre collectif publié par les géographes normands en 2012[4] cette idée est reprise par les auteurs. Il ne faut cependant pas s’illusionner avec des chiffres : avec 3.320.000 habitants, la Normandie unifiée accèdera à un « rang » plus élevé parmi les régions européennes, ce qui peut lui donner plus de poids dans les discussions, mais change assez peu de choses dans le domaine économique et social. Unifier la Normandie, pour quoi faire ? Telle est la question, On voit bien que des accords réalisés dans différents domaines, commerciaux et administratifs, accroissent déjà la coordination et l’efficacité de certains secteurs, et qu’une réunion des deux conseils régionaux accroîtrait encore cette coordination, mais tous les exemples géographiques connus montrent bien qu’un ensemble régional ne se structure et ne se développe réellement qu’autour d’un ensemble métropolitain. C’est ce pôle métropolitain qui manque en Normandie. Les deux capitales administratives actuelles sont des capitales incomplètes. Elles ont un déficit de cadres des fonctions métropolitaines par rapport aux autres capitales régionales. Ces villes sont proches, et, avec l’ensemble havrais, elles regroupent autour d’elles plus d’un million d’habitants. Cette métropole pourrait constituer le facteur le plus entraînant d’une dynamique régionale, permettant un développement autonome, lié à la région parisienne, mais non « banlieurisé ».
Figure 3 : La Normandie autour d’un ensemble métropolitain
Une réflexion serait à mener sur cet ensemble métropolitain, à la fois sur son organisation interne (notamment les communications entre les centres actuels, et la répartition des activités culturelles) et sur ses liaisons avec le reste de la Normandie.
Une autre forme d’évolution spatiale de la Normandie peut être imaginée, et c’est l’hypothèse la plus probable si on laisse aller les choses : chaque ensemble sous-régional se développerait isolément des autres, en favorisant le contact direct avec Paris.
Figure 4 : L’évolution naturelle de la Normandie
Cette évolution est actuellement engagée par les trois pôles urbains, qui s’organisent en trois « pôles métropolitains » juxtaposés et concurrents. La communauté d’agglomération de Rouen-Elbeuf-Austreberthe (CREA) et la communauté d’agglomération Seine-Eure (CASE) forment un ensemble de plus de 550 000 habitants. Ce pôle rouennais est de plus en plus fortement intégré à l’ensemble parisien, comme en témoigne l’importance des migrations de travail vers l’agglomération parisienne. La population est en accroissement, surtout au voisinage de l’Ile-de-France.
Le « pôle métropolitain de l’estuaire » forme un second ensemble, autour du Havre, qui s’étend sur les deux rives de l’estuaire, et compte 350 000 habitants. C’est un ensemble un peu disparate, qui associe la zone d’emploi du Havre, en déclin démographique et au taux de chômage élevé, à une rive gauche à la fois touristique et résidentielle et en progrès démographique, de Honfleur à Deauville, et très rurale plus au sud, puisqu’elle s’étend jusqu’à Mézidon, à proximité de Caen. L’objectif est ici, dans le prolongement de l’ idée du Gateway, et du premier projet, avorté, de ligne ferroviaire directe pour les voyageurs et pour le fret, d’être le débouché portuaire de Paris.
Le troisième ensemble, autour de la communauté d’agglomération Caen-La Mer, pourrait rassembler aussi éventuellement environ 350 000 habitants, s’il s’organisait en « pôle métropolitain ». A l’évidence les liens envisagés avec la « Basse-Seine » sont jusqu’à présent restés des vœux pieux non suivis d’effet, car la ville polarise l’espace du département du Calvados (sauf la partie nord-est, grignotée par Le Havre) et le sud du département de la Manche, et elle recherche plutôt les liens directs et rapides avec Paris que le rapprochement avec Rouen.
Il reste le Nord-Cotentin autour de Cherbourg. La région connaît une stabilité de l’emploi, et même une certaine hausse depuis quelques années autour de l’activité nucléaire, avec une forte qualification de la main d’œuvre. De nouvelles perspectives s’ouvrent avec la fabrication de pales d’éoliennes, et surtout les possibilités d’hydroliennes dans le Raz Blanchard. La ville est isolée du reste de la Normandie (la ville la plus proche, Saint Lö, est à soixante-dix kilomètres). Elle fait partie du complexe militaro-industriel national, ce qui la rattache plus directement à Paris.
Enfin tout le sud de la Normandie est une région de faible densité (moins de 65 habitants au kilomètres carré), traversée par la ligne Paris-Granville qui draine vers Paris la population qui ne trouve pas à s’employer dans les petits centres locaux. A l’extrême sud-ouest, la région d’Avranches est tournée vers Rennes. La côte ouest du département de la Manche est une « côte tranquille », un peu gentrifiée, à l’écart des grands centres urbains, marquée par une constante variation positive de la population (autour de 1% d’accroissement annuel de 1999 à 2010), avec une proportion importante de personnes âgées.
Si « l’évolution naturelle » de la Normandie se révélait être bien celle qui est décrite ici, il est évident que l’identité « normande » ne serait plus que culturelle. Il faudrait alors prendre acte de son décalage avec la vie économique et sociale.
Abstract : RETHINKING NORMANDY
Economic crisis , desindustrialisation, unemployment problems seem to have inspired an outbreak of ideas for change in Normandy. In 2008 the project of Greater Paris is conceived as a development along the “Gateway” on both sides of the Seine, putting aside the other parts of the region. Meanwhile the retarded communication system originate the project of new railway lines, with two main options : one line from Paris to Rouen, connected with Le Havre and Caen, or two lines to “Upper Normandy” and to “Lower Normandy. The old story prevails: one or two Normandy . In fact the alternative is the evolution toward a Norman metropolis, polarizing the entire region, or the disruption into several sub-regions, each of them directly connected with Paris.
11350 ca
[1]
[1] Rouen, la métropole oubliée, L’Harmattan 2008
[2]
[2] Voir Etudes Normandes, n°4-2008
[3]
[3] Voir Etudes Normandes, n° 4-2010
[4]
[4] La Normandie en débat. OREP Editons. Bayeux . 2012. Les commentaires qui suivent s’appuient sur les cartes publiées dans ce livre.
Commentaire de Florestan:
On admire la Normandie déjà dans les musées: le festival Normandie Impressionniste en témoigne et dans l'enceinte du château de Caen, la Normandie, en tant que telle a son musée... Mais l'enjeu est désormais bien là: la Normandie ne sera-t-elle qu'au musée ou existera-t-elle encore à l'extérieur des musées?