De gueules à deux léopards d'or passant et gardant lampassés et armés d'azur...
Deux ou trois ? Des lions ou des léopards? Des lions "léopardés" ou des léopards "lionnés" ? Des lions ou des dragons? Avec la question des trois villes pour une capitale régionale, voici l'autre grand débat byzantin normand (on sait d'ailleurs que Guillaume et Mathilde se sont mariés à la mode byzantine, avaient une bannière mais point de léopards, lions ou dragons dessus...) Mystère...
Pour lors, les emblèmes normands les plus historiquement avérés (depuis au moins 800 ANS) si l'on s'en tient à l'héraldique (laissons la vexillologie de côté pour le moment...) sont les suivants:
En usage dans la Normandie continentale française
En usage dans la Normandie autonome d'Outremer (Jersey, Guernesey, Aurigny et dépendances) et présent sur les armes du Royaume uni d'Angleterre d'Ecosse et d'Irlande du Nord.
Et le plus récent, le drapeau néo-historique crée par l'érudit normand Jean Adigard des Gautries en 1937 à partir du modèle des bannières des pays scandinaves frappées d'une croix de Saint Olaf (puisque ce saint roi de Norvège a été baptisé en 1014 dans la cathédrale de Rouen...)
Pour en savoir plus ou pour réviser vos bases en histoire normande voici cet article fort intéressant proposé par la Fédération Française Médiévale
(cliquer sur le lien ci-dessous pour avoir accès au site d'origine ainsi qu'aux commentaires de plus érudits que nous mêmes en héraldique et vexillologie normandes...)
Article présenté par Michèle Jourdren, extrait de : Jacques MERLE du BOURG et Michèle JOURDREN-SAUTREL, Le Blason Familial (Supplément), Edition Cercle Généalogique Rouen Seine-Maritime, 2004.
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Il est couramment admis que les armoiries de la Normandie se blasonnent : De gueules(1) à deux léopards d’or lampassés et armés d’azur(2). Pourtant, depuis plusieurs années, il est fréquent, lors des manifestations régionales, d’orner les mâts d’un drapeau rouge chargé d’une double croix jaune, décentrée vers la gauche à la façon des drapeaux scandinaves, et généralement appelée croix de saint Olaf.
L’ouvrage d’Alfred CANEL, Armorial des villes et corporations de la Normandie de 1863 ayant été récemment réimprimé par les Editions Page de Garde à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, il a paru intéressant de rappeler ici l’essentiel des hypothèses formulées sur cette question par l’érudit normand, pages 27 à 35 (Les Armoiries de la province), et surtout, pages 395 à 420 (Les Etendards de la Normandie et L’emploi de l’emblème du lion par les ducs de Normandie et les rois d’Angleterre) de son Armorial.
Selon Alfred CANEL, la couleur du champ des armoiries que se donna la province est empruntée à la bannière normande : « Le drapeau scandinave était rouge et le rouge s’était maintenu sur celui des hommes du Nord établis sur le bord de la Seine… Quant aux léopards…, ils viennent de l’emblème particulier adopté pour eux-mêmes par plusieurs de nos ducs, de l’emblème du lion qui, dans leur pensée, répondait à l’idée qu’ils s’étaient faite et qu’ils se plaisaient à répandre autour d’eux de leur irrésistible intrépidité dans les combats ».
On voit, par exemple, un lion sur le tombeau d’un fils du duc de Normandie Richard 1er et, en 1129, Geoffroi d’Anjou reçoit à Rouen, de son futur beau-père, Henri 1er, un riche bouclier chargé de lions d’or. « Ainsi, les lions furent un emblème très anciennement adopté par les princes normands, transmis par eux aux comtes d’Anjou, et par ces derniers aux rois d’Angleterre » précise A. CANEL.
On rappellera à ce propos, qu’en héraldique, le lion et le léopard sont un seul et même animal léoniforme(3),à cette double différence près que le léopard est un lion passant (et non rampant)(4) dont la tête fait face au spectateur (au lieu d’être représentée de profil).
Par ailleurs, le panache (ou « bouquet ») de la queue du léopard est tourné vers l’extérieur (et non retourné – normalement – vers l’intérieur, comme dans le cas du lion) ; la gueule est représentée ouverte, la langue pendante. Précisons, pour en terminer avec cette question, que lionné qualifie le léopard rampant, pourvu d’une queue de lion et, à l’inverse, léopardé s’applique au lion passant, pourvu d’une queue de léopard(5).
Après la réunion de la Normandie à la couronne de France, les deux léopards demeurèrent l’emblème de la province et continuèrent à faire concurrence aux fleurs de lys sur les sceaux d’importantes vicomtés (Caen, Bayeux, Falaise…), après s’être longtemps étalés sur les sceaux de l’échiquier provincial.
Lors des périodes troublées et jusqu’à la Ligue, l’étendard normand fut fréquemment arboré, peut-être en rappel des jours désormais lointains de l’indépendance. Il remplaça même les armes de France pendant les courtes périodes où un duc de sang royal fut momentanément donné à la province (ainsi avec Jean, fils aîné de Philippe de Valois, et Charles, frère de Louis XI).
Le ROUGE ne brillait pas seulement sur la bannière des Normands ; il orna longtemps leurs boucliers, comme ceux des Scandinaves. Pourtant, dans ses Observations sur la tapisserie de Bayeux, Hudson Gurney affirme que la bannière normande est invariablement « d’argent à une croix d’or dans une bordure d’azur », mais gardons-nous d’oublier que lors de la conquête de l’Angleterre, l’héraldique n’existait pas encore.
Pour leur part, les moines de l’abbaye Saint-Etienne de Caen qui devaient bien connaître la bannière de Normandie, la décrivent dans leurs manuscrits : De gueules à la bande échiquetée d’argent et d’azur de deux traits (au XIIIème siècle, semble-t-il).
Selon un historien des Croisades, lors d’une attaque d’infidèles survenue après la prise de Nicée, Robert, duc de Normandie, agite en l’air son « drapeau blanc brodé d’or ».
Pour Paulin Paris, au contraire, Les Manuscrits français de la Bibliothèque du roi montrent une miniature qui donne au duc Robert une bannière « d’or à deux fasces de gueules »(6).
La bannière normande aurait donc subi diverses transformations, surtout à partir de la seconde moitié du XIème siècle.
Mais les ducs normands, à côté de leur bannière principale, faisaient porter dans leurs armées un second étendard orné d’un « dragon » destiné à jeter la terreur dans les rangs ennemis. Ce type de monstre fabuleux, déjà connu des Romains, fut utilisé ultérieurement par des peuples aussi différents que les Byzantins, les Saxons ou les Flamands. Dans le cas des Normands, le corps du dragon était armé de pointes rouges et aiguës pour renforcer son aspect terrifiant.
A l’origine, un autre emblème, « le corbeau d’Odin », aurait également figuré comme seconde bannière dans les armées des ducs normands. Mais malgré, sans doute, quelques différences de forme, il fut rapidement désigné, lui aussi, sous le terme de « dragon » à cause de l’identité de sa fonction : effrayer l’adversaire !
Lors de la troisième croisade, le dragon normand était devenu celui de l’Angleterre, et d’après Du Cange, le dragon à tête d’or de Richard Cœur de Lion « fut terrible pour les païens pendant la croisade ».
Un dernier étendard normand est à citer : « le pavillon marchand ». Selon l’Encyclopédie méthodique, toujours citée par A. CANEL, ce pavillon était « mi-parti, bleu et blanc, c’est-à-dire composé de deux bandes horizontales, la plus élevée bleue et l’autre blanche »(7). Et A. CANEL de conclure : « Dans son état actuel, le pavillon de Normandie continue d’être bleu et blanc, mais ses couleurs ne sont plus distribuées de la même manière. Le blanc y dessine une croix au milieu et occupe également le tiers inférieur du champ ; le reste est bleu. Pour que le blanc du champ et celui du bas de la croix ne se confondent pas, ils sont séparés par un large trait bleu en retour d’équerre »(8).
Notes :
(1) Nom héraldique de la couleur rouge.
(2) Lampassé et armé qualifient respectivement la langue et les griffes de l’animal lorsqu’elles sont d’une couleur particulière, différente du reste du corps.
(3) Pourvu d’une crinière.
(4) Un animal est dit passant quand il semble marcher, la patte antérieure droite levée ; rampant lorsqu’il est représenté debout, de profil, dressé sur la patte postérieure gauche, levant la patte antérieure droite.
(5) Dans ces deux derniers cas, seule la tête (de face pour le léopard, de profil pour le lion) permet de reconnaître l’animal.
(6) Les d’Harcourt, la plus ancienne famille normande, portent des couleurs exactement inversées : De gueules à deux fasces d’or.
(7) En héraldique, il semble plutôt qu’il s’agisse d’un « coupé » !
(8) Nos amis de la Commission Héraldique auront à cœur de blasonner ce pavillon dans les règles.