DEFENDRE LA LANGUE NORMANDE c'est AUSSI et SURTOUT défendre la DIVERSITE CULTURELLE française!
Il en va de la diversité linguistique comme de la biodiversité: il faut la défendre d'urgence face à un appauvrissement général qui ne peut être qu'annonciateur d'une mort générale!
Défendre le riche patrimoine lexical de la langue d'oïl normande en le transmettant et en le pratiquant concrètement, c'est surtout défendre le français de France menacé par un effondrement sur lui-même faute d'avoir transmis, via les langues d'oïl et d'oc régionales, des racines lingustiques vivantes qui lui permettrait d'être un peu plus vaillant face au rouleau compresseur du "globish"!
Car il faut dire clairement l'enjeu: à l'échelle nationale ou internationale, le moment où le français sera lui-même dans le même état que les langues régionales d'oïl et d'oc d'où il est lui-même sorti il y a plusieurs siècles, pourrait venir plus rapidement qu'on ne le croit sur la place de Paris qui a, d'ailleurs, abandonné au profit de Montréal sa responsabilité d'être la capitale mondiale et rayonnante d'une Francophonie internationale qui respecte plus la langue française que la France elle-même!
Lire ci-après cet excellent article de Paris Normandie qui montre, à nouveau (et contrairement à Ouest-France) son intérêt pour la langue normande:
«La langue normande est presque morte, les instituteurs l’ont tuée...» Rémi Pézéril, le président de l’association Magène, force gentiment le trait. Celui qui milite depuis plus de quarante ans pour la langue normande n’a pas perdu la niaque mais tire le signal d’alarme. Et le Dictionnaire normand qu’il a co-écrit a beau se retrouver sur les étagères des CDI des lycées (voir ci-contre), le combat n’est pas gagné.
«Il n’y a pas de transmission dans les familles, il n’y en a pas non plus à l’école», reconnaît l’habitant de Briquebec, Bricbé en normand. Alors que depuis des décennies, Bretons, Basques ou Corses jouent à fond la carte de leurs langues régionales, les Normands semblent avoir honte de leurs racines, d’un patois longtemps synonyme de péquenot. «Il y a plusieurs raisons à cela», explique Gilles Mauger, un habitant de Saint-Philbert-sur-Risle, membre de l’association La Chouque et auteur d’un charmant petit bouquin intitulé Comme disait ma Grand-Mère.
«La Normandie est proche de Paris. Pour commercer avec la capitale, il fallait parler français. Historiquement, en 1204, le roi de France a remplacé l’aristocratie normande par des édiles français. Du coup, les seuls qui parlaient encore normand étaient les paysans et les pêcheurs. Pour qu’une langue perdure, il faut qu’elle soit parlée par toutes les couches de la société, notamment par les élites», assure celui dont le livre paru aux éditions du Pucheux s’est vendu à près de 5 000 exemplaires en cinq mois. Un joli score. «Il faut aussi que les élus y croient», renchérit Rémi Pézeril, qui a longtemps donné des cours de normand aux collégiens. Ces derniers temps, il a formé des intervenants en normand pour qu’ils animent des ateliers sur le temps péri-scolaire.
«Même les enseignants qui y croient n’ont pas le temps de l’inclure dans les programmes. Dans mon collège, j’avais monté un club normand sur le temps de la pause du midi. Et il y avait du monde!» Actuellement, il n’y a plus qu’au collège de Briquebec, dans le Cotentin, qu’un cours est dispensé. «Il faudrait que le Normand soit considéré comme un enseignement comme un autre. Des centaines d’étudiants sont passées par l’université de Caen pour apprendre le normand. Pour l’apprendre, pas pour l’enseigner à leur tour.»
Difficile pourtant de lutter contre près de cent cinquante ans d’école obligatoire et laïque, pourfendeuse des traditions et des patois. De revenir aussi sur le cours des événements. «Pendant la Première Guerre mondiale, les soldats, quelles que soient leurs origines, devaient comprendre les ordres en Français», souligne Rémi Pézeril.
Reste que la Normandie, même réunifiée, ne met pas ses racines en avant. «Dans le Finistère, le Département dépense 180000 euros par an pour que les panneaux d’entrée de ville et directionnels soient dans les deux langues,» souligne le professeur. Lui, au nom de l’association qu’il préside, a essuyé en 2014 le refus du maire de Briquebec. Seules trois communes en Normandie - Barflleu (Barfleur) et Rhomevâ (Hémevez) dans la Manche, Brétot (Brestot) dans l’Eure - ont opté pour la promotion de leur nom d’origine en normand.
«Il en faudrait plus,» assure Rémi Pézeril, au moins une dizaine par département, pour montrer que les Normands sont fiers de leur patrimoine. «D’autant que tout le monde semble à la recherche de ses racines. Il n’y a qu’à voir le succès un peu partout des fêtes médiévales», assure Gilles Mauger. Les Normands, eux, ont souvent boudé les Vikings perçus comme trop sulfureux. Pourtant, c’est dans le pays de Caux et dans le Cotentin, régions où la présence Viking a été la plus forte, que la langue normande est la plus vivace. Même si elle concerne de toute façon moins de 1 % de la population, qui l’utiliserait peu, voire très peu.
«Pourtant, cette langue a eu beaucoup d’impact sur le français et l’anglais. C’est important de le dire», assure Bertrand Deniaud, vice-président de la Région chargé des lycées. Mais dans les lycées du futur que dessine la région, si le patrimoine régional doit être mis en avant on ne parle pas encore d’option langue normande. Pour les cours de normand, c’est sûr, l’affaire n’est pas encore dans la pouque.
Olivier cassiau
Passionné. Président de l’université rurale du cauchois, fondateur de l’association Le Pucheux qui édite depuis une vingtaine d’années des livres normands, fondateur du salon du livre normand de Fontaine-le-Bourg, Denis Ducastel milite depuis des années pour la langue normande. Sans trop croire à sa renaissance, juste à sa survie, comme un patrimoine. Il nous livre quelques anecdotes.
Héritage latin. «La langue normande n’est pas du français déformé mais tire ses racines du latin. La vache, c’est vaqua en latin et vaque en normand, le chat, c’est catus en latin et cat en normand, et cat, en Anglais». Et Ducastel, du château sûrement...
Expressions. «On n’achète pas un cat dans une pouque. Cette expression typiquement normande veut juste dire que l’on n’achète pas à l’aveugle.» De pouque, dérive pouquette, la poche, et la pocket en anglais. «Boujou, signifie bien bonjour et non pas bisou». Allé, boujou, pis du mieux, veut dire au revoir et porte-toi bien»
Suis comme le mouton da Rouen, toujours le pied levé. «Il n y’a pas très longtemps que j’ai découvert cette expression. Elle fait référence aux armes de la ville où l’on voit le mouton, une patte levée pour tenir une bannière.» L’expression signifie que la personne ne reste jamais chez lui, qu’elle est toujours partie.
Ete couomme un bulot qu’a raté la marée. Ce dit de quelqu’un d’éberlué, sidéré.
Faux amis. Si la clenche désigne la poignée de porte en Normandie et en Belgique, c’est une ancienne pièce mécanique de serrurerie en France.
Si atteindre signifie aller vers en français, le verbe signifie préparer quelque chose en normand. Exemple : «Où est le tournevis? Je l’ai atteint sur l’établi».
REPORTAGE. Plusieurs minibus se garent devant les portes du lycée Auguste-Chevalier de Domfront, au cœur de l’Orne. Les personnes âgées qui en descendent sont accueillies par des jeunes filles en costume traditionnel normand. «On peut vous guider jusqu’à la salle si vous voulez». Ce mardi-là, les aînés des maisons de retraite de la ville sont invités pour un goûter avec les élèves. Pour échanger en normand aussi. Le petit lycée de 360 élèves est en pleine effervescence. Il est le premier à recevoir pour son centre de documentation et d’information un dictionnaire français-normand/normand-français. Bientôt, tous les CDI des 218 lycées de Normandie en seront dotés.
Les Seconde qui suivent l’enseignement de patrimoine et les latinistes se sont emparés du sujet. En quelques semaines, ils ont même réussi à monter une exposition de photos, une sorte d’imagier des mots normands.
«Regardez, les hardes, en Français, cela désigne des vieux vêtements fatigués. En Normand, ce sont juste des habits. Et là, les osselets, en Normandie, ce sont les dominos», souligne Guillaume Béésau, professeur de lettres classiques. «Nous avons également décidé de lancer un sondage pour évaluer le rapport que les membres du personnel et les élèves du lycée entretiennent avec le normand», souligne le professeur.
Pendant deux jours, deux des auteurs du dictionnaire sont venus à la rencontre des lycéens pour un temps d’échange autour de l’ouvrage sur lequel une quinzaine de passionnés travaillent depuis plus de vingt ans. «Il y a eu un très bon échange avec les élèves, se félicite Bernard Desgrippes, également spécialiste du vocabulaire normand du Domfrontais. Ils sont très réceptifs» . «Ils sont venus nous parler de l’histoire de la langue, de la façon dont elle s’est établie», explique Gabin, un latiniste. «Cela nous a permis aussi de comprendre que la langue normande a laissé des traces un peu partout.»
Dans la salle de restauration scolaire, une vingtaine de résidents de la maison de retraite ont pris place et discutent avec les élèves. Glissant ça ou là une expression typiquement normande. Les interventions se succèdent, alors que sautent déjà les bouchons des bouteilles de cidre de Domfront et que le cuisinier du lycée pose des douceurs normandes sur les tables. « Ne coupez jamais vos racines», lance Bernard Deniaud, vice-président de la Région chargé des lycées, venu en personne le dictionnaire à la main.
Dans la salle, Christian Jeanvrin, le proviseur, est presque gêné de la situation. Il est devenu sans le vouloir, le temps d’une journée au moins, un défenseur de la langue normande. «Je suis partagé sur la question. J’ai les bottes dans le patois et la tête dans le Français. Mais c’est un peu notre histoire à tous...» L’ancien instit devenu chef d’établissement se souvient de l’école normale. «On y enseignait, comme son nom l’indique, la norme et la langue pure. On nous apprenait qu’il fallait lutter contre la langue impie et non officielle. Pas de place pour les scories», s’amuse-t-il.
Au fur et à mesure, les langues se délient. Celles des élèves d’abord, qui avouent encore parler normand avec leurs grands-parents. «V’là qu’y rpleut», ose Maxence, attablé avec ses camarades de classe.
Les plats de petits fours et de tartes normandes arrivent sur les tables. Les jeunes normandes costumées servent leurs aînés. Les assiettes sont rapidement vidées. Personne ne semble vouloir oublier ce patrimoine-là.
O. C.
Au foyer du syndicat des dockers du Havre, les anciens aiment se retrouver le matin autour d’un café pour bavarder. Peut-on y entendre le fameux accent havrais qui serait l’apanage du monde portuaire ? Le premier réflexe de Daniel est de faire la moue. «L’accent duHavre, c’est en fait du parisien populaire comme on en entend dans les films de Michel Audiard. Mais sinon, je ne vois pas...» Son vieux pote, Patrick, n’est pas de cet avis. «Tu devrais t’écouter quand tu parles du port, tu dis le peurr... Et puis, tu ne dis jamais oh dé...?» Daniel réplique, mi-sérieux, mi-rigolard : «Oh dé, c’est sûr, mais le peurr, ça m’étonne.» Pendant plus d’une heure, les anciens dockers vont se charrier gentiment sur les expressions qui feraient le sel de l’accent havrais : «ça va t’y»; «y fait un rien beau»; «c’est bath!».
Stéréotypes sociaux
En fait, selon Fabrice Hauchecorne, aujourd’hui professeur d’anglais au lycée Claude-Monet et natif du Havre, qui a mené une enquête sur cet accent havrais dans les années 90, il serait en fait bel et bien une variante du parisien populaire avec, en effet, deux signes typiquement havrais, le «oh dé» et la terminaison « ort » qui se prononce « eur ». «Ce sont sur ces deux signes qu’on peut dire qu’il existe un accent havrais», estime Fabrice Hauchecorne. «D’ailleurs, quand on veut l’imiter, c’est souvent en utilisant ces deux signes distinctifs.» Mais alors, peut-on parler d’un accent du Havre ? «Selon moi, cet accent est un mythe identitaire pour des Havrais qui ont longtemps cru vivre dans une ville peu enviable», analyse Fabrice Hauchecorne. «Aujourd’hui que les Havrais sont en voie de réconciliation avec leur ville, cet accent se perd.»
À Rouen, Thierry Bulot, chercheur en sociolinguistique, évoque un accent dit de Darnétal, mais difficile à décrire, même à définir par rapport aux autres accents normando-picards. Reste néanmoins l’idée d’un parler rive droite et rive gauche là aussi basée sur des stéréotypes sociaux. «AuHavre comme à Rouen, il y a plusieurs accents liés au bourgeois, populaire, jeune, immigré, rural... L’accent est aussi une question de point de vue selon le sexe, l’âge ou la condition sociale», souligne Fabrice Hauchecorne. L’auteur de comédies théâtrales cauchoises Jean Avenel craint une disparition des accents, à cause du «bien parler» voulu depuis des décennies par l’Éducation nationale.
(ndlr Florestan: ce n'est plus à l'Education Nationale que l'on apprend à bien parler!)
Un lien de complicité
«C’est un vrai pan de culture qui risque de disparaître», assure-t-il. «C’est pourquoi à l’Université rurale cauchoise à laquelle je participe, nous enregistrons des Cauchois qui utilisent le patois local et possèdent l’accent. Moi, j’arrive à distinguer les intonations spécifiques de Fécamp, de Dieppe, de la Vallée de Seine, de l’Eure, du Havre. C’est toujours un enchantement...» Lui-même admet avoir utilisé l’accent cauchois comme ressort comique de ces spectacles. «C’est un vrai lien de complicité entre les spectateurs et les comédiens. Dans la vraie vie, c’est pareil, le langage, l’accent, c’est du lien social entre les gens. C’est plus précieux qu’on l’imagine souvent», assure Jean Avenel. Chez les dockers havrais, le même sentiment semble régner autour de la table. «À l’extérieur, chez le médecin ou ailleurs, je rectifie mon accent et mon vocabulaire», confie Daniel Hamel. «Mais ici, avec mes camarades, je me sens moi-même avec mes intonations et mon langage.»
Ph.L.