Aurélien BELLANGER: Le GRAND PARIS d'une région qui n'existe pas.
"En France, ce que pense la province importe autant que ce que pensent mes jambes"
Heinrich Heine
L'Etoile de Normandie vous propose de lire le dernier roman d'Aurélien BELLANGER, le plus géographe de nos romanciers contemporains en ce sens qu'il a la curiosité intellectuelle de placer ses réflexions et ses fictions sur des territoires parfois fort éloignés du 6ème arrondissement de Paris pour poser avec une belle plume pleine de poésie et d'ironie la question essentielle que nous posons ici régulièrement: les citoyens usagers et habitants d'un territoire ont-ils vraiment voix au chapître lorsque la technostructure politico-administrative aux ordres de Paris décide de labourer le territoire pour, par exemple, faire passer une ligne TGV à grande vitesse?
La réponse est contenue dans la question et ce fut l'objet du grand livre qui a fait la fortune littéraire (justifiée) d'Aurélien BELLANGER avec ce grand roman au titre évocateur: "l'Aménagement du territoire"
Voir sur l'Etoile de Normandie:
http://normandie.canalblog.com/archives/2016/05/24/33858412.html
Ces derniers jours, Aurélien BELLANGER récidive pour notre plus grand plaisir avec son nouvel opus diagnostiquant le fait du prince et ses conséquences sur le territoire compliqué, pour ne pas dire plus, de la plus grande région urbaine d'Europe mais aussi de la plus grande région de France par le nombre d'habitants et par le poids en richesse et en pouvoir, à savoir la "région" parisienne:
LE GRAND PARIS
Lire la présentation proposée sur le site de l'hebdomadaire Marianne:
http://www.marianne.net/grand-paris-aurelien-bellanger-fiction-moderne-pamphletaire-100249073.html
Samedi 07 Janvier 2017 à 17:30
L'art du roman repose sur celui du recul. Une distance qui permet à un esprit audacieux d'historiciser même le temps présent. Aurélien Bellanger est un tel esprit. En 2012, la Théorie de l'information était une biofiction de Xavier Niel, et un roman sur la posthumanité à venir. En 2014, l'Aménagement du territoire prenait prétexte de la construction d'une ligne de TGV pour réfléchir à la répartition de l'espace entre les hommes. Le Grand Paris, son troisième roman, prend appui sur le projet éponyme, imaginé par Nicolas Sarkozy en 2008 et effectif depuis le 1er janvier 2016.
Voici Alexandre Belgrand (narrateur aux mêmes initiales que l'auteur), «un enfant du 92 destiné à perpétuer, en tant qu'ingénieur, architecte ou cadre dirigeant d'une multinationale, la domination occidentale du monde». Par le récit de son éducation, nous avons une histoire de l'aménagement RPR de la banlieue. Par celui de son incursion dans l'élite, nous le voyons envoûté par le «Prince» : Nicolas Sarkozy. Intégré au cénacle élyséen en 2007, le voilà en charge du projet Grand Paris express, par lequel le «Prince» entend «offrir à son peuple une nouvelle capitale».
Ensuite, tout ne sera que dédales de disgrâces, trahisons, orgueils et préjugés. Et c'est précisément dans ces nœuds de vipère que, par-dessus une trame de politique-fiction, Bellanger compose pour de bon le roman-chaos du temps présent : que devient la mission d'un urbaniste quand les politiques n'ont plus l'usage du monde ? Que signifie alors bâtir une civilisation ? Imaginant jusqu'à la conversion (lisez pour voir...) de son protagoniste, il invoque les forces telluriques de l'Histoire, y oppose l'impasse politicienne qui s'est refermée sous «les ruines emmêlées et fumantes du 21 avril 2002 et du 11 septembre 2001». Limpide et cynique en sa première partie, le roman devient possédé et déroutant en progressant : une fiction moderne et pamphlétaire.
*Le Grand Paris, d'Aurélien Bellanger, Gallimard, 480 p., 22 €. En librairies le 12 janvier.
Le problème posé par Aurélien Bellanger est double:
1) En tant que territoire cohérent, espace vécu, clairement identifié par ses habitants mais surtout par ses acteurs et décideurs, la région parisienne, l'Ile de France pour reprendre son nom officiel et historique n'existe pas.
Qu'y a-t-il de commun entre le Vexin et le Mantois à l'Ouest, la Brie champenoise à l'Est, le Valois forestier et de grande culture agricole au Nord, ou la Plaine de France disparue sous les emprises logistiques et industrielles au Nord-Est? Rien, si ce n'est la prise de conscience qui monte en "région parisienne" que la relation Paris -Banlieue est encore plus détestable et humiliante que la relation Paris-Province. Comparer la qualité de service et les temps de parcours d'un train de banlieue avec ceux proposés par le TGV Paris-Marseille suffit à en prendre conscience: il n'est pas étonnant d'ailleurs que la colère des banlieusards contre la domination mégalopolitaine parisienne se cristallise sur la question du transport ferroviaire. Car on pourrait parler aussi du prix du mètre carré ou de la clôture réelle et psychologique plus absolue des quartiers urbains et territoires de la banlieue parisienne que l'isolement ou l'enclavement des villages du rural profond de la province la plus reculée.
2) La région parisienne n'existe que par le fait du Prince, de celui qui est à la tête de l'Etat souverain et sa volonté n'a jamais suffi à mettre de "l'ordre dans ce bordel" pour reprendre la célèbre réponse du Général de Gaulle à Paul Delouvrier chargé de la dissolution de la ceinture rouge de la banlieue municipale communiste dans un magma de villes nouvelles avec l'unité régionale normande comme victime collatérale de ce premier grand pari pour faire exister une vraie région parisienne étendue jusqu'au port du Havre.
Car le Grand Paris est, en effet, le grand pari pour faire exister une région qui n'existe pas, puisque pour régner, le maître parisien a toujours eu besoin de diviser que cela soit la province (on se souviendra de la remarque d'un célèbre révolutionnaire de 1789 préférant avoir affaire à 83 petits chiens plutôt qu'à 14 gros dogues de province) ou la banlieue proche:
Avec 13 millions d'habitants, avec 20% du 5ème PIB Mondial, 800 communes, 8 départements, une région, un statut spécial de ville-département pour la ville de Paris et ses 20 arrondissements, avec les pouvoirs particuliers pour le Préfet de Paris mis en concurrence avec ceux du maire de Paris, avec l'omni-présence de l'Etat central sur le territoire, avec ses ministères, ses grandes administrations, ses grands domaines fonciers et patrimoniaux, mais aussi la présence des grands sièges sociaux de grandes multinationales ou la présence de grands laboratoires de recherche ou de grandes écoles; avec l'arrivée toute récente d'une métropole du Grand Paris réduite aux acquêts et coiffant le désert intercommunal francilien, avec la complexité toujours inachevée des réseaux routiers, ferroviaires ou de tous les réseaux transportant tous les fluides vitaux toujours à maintenir et à réparer dans les antres techniques des sous-sols parisiens, le territoire francilien n'existe pas car c'est le lieu d'un clochemerle permanent, d'une complexité politique, administrative et territoriale permanente dix fois, cent fois supérieure à celle qui nous désole aussi en Normandie:
Nous nous plaignons en province de la radioactivité jacobine. Aurélien Bellanger nous en décrit le coeur et nous démontre qu'on ne saurait habiter durablement, paisiblement, le coeur d'un réacteur nucléaire.
Pour nous Normands, qui avons à vivre à proximité du soleil parisien et de sa complexité, nous qui avons entre nos mains l'enjeu national de la liaison à la Mer d'un centre parisien placé au milieu d'un bassin largement sous développé et faiblement peuplé, si l'on compare la région urbaine parisienne aux autres grandes régions mégalopolitaines mondiales de taille et de poids comparables, nous devons faire preuve de la lucidité politique et géographique que les décideurs parisiens, trop préocupés par la gestion de l'énorme complexité parisienne, ne peuvent pas avoir.
Le livre d'Aurélien Bellanger doit donc être lu par tous les décideurs et acteurs normands avant de proposer aux décideurs parisiens, que cela soit l'Etat central ou la représentante de la région qui n'existe pas, de prendre la gouvernance sur la Seine... d'un grand pari maritime.