La LANGUE NORMANDE entre dans le dictionnaire ROBERT
Si on « doucine » aux Antilles, que l’on « poutoune » dans le Midi ou bien encore que l’on « se fait péter la miaille » dans le Lyonnais, on « se boujoute » très volontiers en Normandie. Qu’est-ce que ces verbes et expressions peuvent donc avoir en commun ? Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit - peu ou prou - de se dire bonjour, en s’embrassant bruyamment dans la région de Lyon, en se caressant doucement dans la chaleur antillaise ou en se faisant tout simplement la bise que ce soit en Normandie ou dans le sud de la France.
« Un mot pratique »
Autre point commun, ces termes font leur entrée dans l’édition 2019 du Larousse. Au registre du vocabulaire courant, familier ou régional, « se boujouter » est défini comme un verbe pronominal venant de la région Normandie et signifiant : « Se dire bonjour en s’embrassant sur les joues ».
« Se boujouter, c’est un mot pratique pour se dire bonjour ou au revoir, un peu comme bonjour finalement », note Thierry Leprévost, un spécialiste de la langue normande, chargé de la rubrique linguistique dans le magazine Patrimoine Normand. « Qu’un mot normand entre dans le dictionnaire, c’est une très bonne chose et cela fait plaisir, ajoute-t-il. Mais ce n’est pas la première fois. Par exemple, le mot itou [aussi, de même, N.D.L.R.] est également un mot d’origine normande ».
Reste à savoir pourquoi « se boujouter », qui résonne plutôt avec des accents du passé (sic!!!!) , trouve sa place aujourd’hui dans une édition d’un dictionnaire du XXIe siècle ? « Il faut que le mot ait une certaine actualité », souligne-t-on chez Larousse, où les spécialistes ont constaté que le verbe et le nom qui en découle - « boujou » - est utilisé au quotidien par nombre de Normands.
Parce qu’un dictionnaire est le reflet d’une société qui ne reste pas figée, chaque année, « nous examinons un millier de mots », explique le linguiste français Bernard Cerquiglini. Certains de ces mots émanent des territoires, sortes d’idiomes, d’autres sont liés à l’évolution de la société, comme « cotravail », de la technologie, avec « mégadonnées », et de la manière de vivre avec la « boboïsation » ou encore la « détox », abréviation de détoxification, autrement dit l’élimination des toxines pour un organisme vivant.
Ils entrent dans les dicos
Avant d’entrer dans le dictionnaire, les mots suivent un long parcours. Tous passent par le filtre d’une équipe d’experts, qui en retient environ trois cents « pour n’en retenir que 150 au final », ajoute Bernard Cerquiglini. En tout cas, l’exercice est plus difficile qu’on ne le pense « car notre langue est extrêmement créative ».
Régulièrement, il faut donc « nettoyer » les pages. « Il y a un toilettage tous les dix ans, explique Carine Girac-Marinier, la directrice du département dictionnaire chez Larousse. "Ainsi, si Minitel est toujours dans le Petit Larousse, le verbe miniteler a disparu".
2019 est l’année de la Normandie ! Car « se boujouter » n’est pas le seul emblème régional à entrer dans les dictionnaires. Au chapitre des noms propres, on trouve deux nouveaux venus. Édouard Philippe, le Premier ministre et ancien maire du Havre, a les honneurs du Robert. Quant à l’astronaute dieppois Thomas Pesquet, il entre à la fois dans le Larousse et dans Le Robert. Lorsqu’ils se croiseront, les deux Normands pourront se faire un « boujou » !