Un film à voir d'urgence: Stéphane Brizé et Vincent Lindon EN GUERRE contre l'absence de toute ambition industrielle...
Voilà l'un de ces rares films dont on pourra se souvenir longtemps après l'avoir vu dans une salle comble et un public très sensible réagissant aux situations et aux répliques et applaudissant à la fin de la séance (rare en Normandie où les gens, comme nous le savons, sont plutôt réservés et pudiques).
EN GUERRE...
Ce nouveau film coup de poing de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon dans le rôle principal (Laurent Amédéo, délégué syndical CGT de son entreprise) va beaucoup plus loin dans la réflexion et frappe beaucoup plus fort que le précédent, "la loi du marché" qui filmait crûment, lui aussi, les rapports de force entre salariés et direction patronale dans un supermarché.
Dans ce film tragique et beau comme l'antique et qui s'inspire de faits réels, il s'agit de suivre les tribulations de 1100 salariés des établissements Perrin, une usine métallurgique située à Agen dans le Lot-et-Garonne, territoire dont le bassin d'emploi est sinistré par le chômage de masse et qui réussissent à se mobiliser de façon unitaire derrière une intersyndicale emmenée par le plus fort en gueule, Laurent Amédéo parfaitement incarné par Vincent Lindon, pour éviter la fermeture définitive de leur usine qui appartient au groupe international allemand "Dimke" spécialisé dans les équipements automobiles...
Ce film, sélectionné dans la compétition officielle du festival de Cannes, va effectivement beaucoup plus loin dans l'analyse sociale, économique et politique des raisons d'un rapport de force permanent, inexorable et brutal au sein d'une entreprise industrielle totalement livrée à la loi mondiale de l'Argent. Ce film, placé sous l'exergue d'une citation du dramaturge de gauche allemand Bertold Brecht "Celui qui ne combat pas a déjà perdu..." est un film de colère lucide contre ce que l'entreprise industrielle est devenue sous l'emprise d'un pouvoir financier devenu incommensurable.
Ce qui est très fort dans ce film c'est qu'on voit porté à l'écran ce que l'on voit rarement, à savoir: les âpres discussions sur la meilleure stratégie à suivre au sein de l'intersyndicale et ses divergences qui vont s'accroitre entre modérés et radicaux, entre délégués des centrales syndicales nationales et représentants des syndicats maisons "indépendants" mais aussi avec l'encadrement de l'usine qui n'en peut mais, qui n'en pense pas moins et qui finit par s'engager aux côtés des ouvriers grévistes occupant l'usine pour construire un projet industriel alternatif avec un repreneur. Mais le plus saisissant et le plus glaçant c'est, surtout, de montrer avec une grande objectivité l'indifférence glaciale pleine de morgue d'une direction française elle-même méprisée par sa direction internationale allemande qui refuse de rencontrer l'intersyndicale qui porte le projet industriel alternatif pour faire redémarrer l'usine.
Jacobinisme à la française oblige, toute l'affaire remonte à l'Elysée dans les mains du "conseiller social spécial" du président de la République remarquablement joué dans le film qui, dès lors, devient pathétique car dans la tête d'un spectateur lucide et informé des réalités industrielles, sociales mais aussi territoriales, c'est une froide colère qui prend le relais de l'émotion car le film de Brizé fait le constat implacable d'un abandon, donc d'une absence qui est à l'origine de la crise lancinante du modèle social, culturel et politique français refondé après la Seconde Guerre mondiale sur les valeurs du Travail et de la Solidarité Nationale, valeurs aujourd'hui violemment remises en cause par l'actuelle mondialisation financière et son idéologie néo-libérale.
Cet abandon c'est celui de toute ambition ou de toute stratégie de souveraineté industrielle de moyen ou de long terme par les élites françaises avec ses causes idéologiques parfaitement dévoilées dans le film à savoir la confusion entre la notion d'entreprise (un projet de production et d'innovation technique porté dans le temps et sur le territoire par un collectif de travail) et la notion de société (l'organisation financière qui permet l'existence du projet entrepreneurial), confusion de la première notion au seul profit de la seconde avec toutes ses conséquences, à commencer par le déploiement, au sein du dispositif industriel, d'une machine de guerre hyper-rationnelle d'un management comptable piloté non pas par une direction industrielle physiquement présente dans l'usine mais par une direction financière étrangère toujours aux abonnés absents quand des êtres humains en chair et en os exigent de pouvoir dialoguer avec elle...
Stéphane Brizé filme donc le cauchemar, près de quarante ans après le rêve d'un Claude Bébéar d'un capitalisme français enfin débarrassé d'un réel qui l'a toujours encombré sinon indisposé: la réalité industrielle.
Le film montre enfin clairement le pire: le recours à l'Etat patron ou à l'Etat papa ne fonctionne plus.
Et c'est montré avec une grande ironie: la soi-disant toute puissance de l'Etat jacobin français se couche devant l'inflexible volonté d'un grand patron allemand qui subira les excès de l'anti-modèle social français après avoir vainement vanté les charmes du "modèle de dialogue social allemand" autour de la grande table des négociations.
Ainsi, d'abandons en absences, avec le concours du mépris cynique des uns et de l'égoïsme des autres tentant de sauver leur peau, coûte que coûte, (toucher le plus gros chèque possible au lieu de sauver collectivement la boîte) le film, comme toute bonne tragédie, s'achève dans le Néant en guise de solution et c'est sur ce point que l'on se permettra de faire notre seule objection en ayant, en tête, nos réalités industrielles normandes:
Stéphane Brizé nous montre une tragédie sociale et industrielle, il s'est donc interdit la curiosité intellectuelle d'explorer davantage les solutions alternatives notamment celles développées par une politique industrielle publique portée par les collectivités territoriales à commencer par un conseil régional à l'exemple plutôt encourageant et positif dans ses premiers résultats de la Normandie avec une agence de développement dédiée qui agit directement et financièrement sur le tissu industriel régional pour le maintenir, le développer, le protéger ou le regénérer selon une logique très innovante d'intelligence territoriale économique.
La Normandie est aussi "en guerre" et dispose d'une A.R.M.E. (Anticipation Reprise Mutation Economique) qui affiche 95% de réussite dans la sauvegarde des entreprises normandes (voir à la fin du billet)
Certes, les élus locaux sont montrés dans le film mais ils sont réduits à l'impuissance: le maire d'Agen ne peut ou ne veut rien faire ce qui a pour effet de rendre plus grande encore l'impuissance de l'Etat jacobin parisien avec le numéro de l'Elysée dans le smartphone...
C'est le choix artistique et éditorial du réalisateur mais qui confirme le grand impensé idéologique français: le jacobinisme de l'Etat parisiano-centré ne fonctionne plus mais on ne voit toujours que lui sachant qu'on ne saurait faire une solution avec ce qui cause le problème.
Ce film est donc à voir d'urgence en raison de son actualité brûlante:
En effet, le gouvernement Philippe-Lemaire-Macron va prochainement engager l'examen au Parlement de la foisonnante loi dite PACTE (Plan d'Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) dont le texte résulte d'une consultation engagée en février dernier sur Internet auprès des salariés et chefs d'entreprises concernés (avec 8000 contributions recensées, ce qui est peu...) et qui se donne comme ambition d'être une montagne qui accouchera d'une souris:
Entre autres choses, il s'agirait, par exemple, de proposer de réécrire la définition de la raison "sociale" d'une entreprise qui n'a pas bougée depuis 1807 et son inscription dans le Code Civil sur ordre de Napoléon1er en élargissant son objet au delà de la seule nécessité de faire gagner le maximum d'argent aux associés actionnaires. Il est question, aussi, du retour d'un vieux serpent de mer du gaullisme social, celui de la participation des salariés au capital de l'entreprise avec la fausse bonne idée de l'intéressement consistant à voir son salaire mensuel abondé ou non par le revenu des actions de l'entreprise: on sait que cette affaire de la "participation" coûta son fameux référendum de 1969 sur la "régionalisation" au Général de Gaulle qui quitta, peu après, le pouvoir...
On voit, par là, que les questions industrielle, sociale, politique et territoriale sont intimement liées entre elles car des solutions à ces questions dépend notre bonheur collectif national: l'ONG Oxfam faisait ainsi tout récemment savoir que c'était le capitalisme français qui était en Occident le plus généreux avec ses actionnaires...
Face à de telles réalités, il ne faut plus s'étonner de voir fleurir les fleurs populistes du Mal au fond des urnes désertées !
https://www.oxfamfrance.org/actualites/justice-fiscale/cac-40-priorite-aux-actionnaires
Le film de Brizé-Lindon parti en guerre contre la disparition de toute idée de souveraineté industrielle ou politique évaporée dans la Mondialisation financière libérale devrait être l'objet d'une sérieuse méditation dans tous les cabinets et grands bureaux parisiens... Car, pour lors, les salariés, employés, ouvriers, cadres et directeurs mais aussi élus locaux, à commencer par le conseil régional de Normandie sont seuls sur terrain à mener le combat!
Au mieux, ils agissent sur le terrain sans plus rien attendre de l'Etat ou en inventant de nouvelles solutions avec l'appui des collectivités territoriales. Au pire, ils sont de plus en plus fatigués ou en... colère avec les conséquences électorales que l'on sait.
Commentaire de Florestan:
François Mitterrand avait tort: contre le chômage on n'a pas tout essayé. On n'a pas assez essayé la région...
La région Normandie tire un premier bilan très positif de son dispositif de redressement Arme (anticipation redressement mutations économiques).
Le dispositif Arme (anticipation redressement mutations économiques) de la région Normandie, animé par une équipe de sept personnes, offre une assistance aux entreprises en amont d'une procédure collective comme après une liquidation. « Nous avons voulu mettre en place un système souple et réactif destiné à des entreprises qui ont des incidents de parcours - perte d'un gros client, défaillance d'un fournisseur, refus des banques de financer un investissement qui leur permettrait d'accroître leur compétitivité -, mais qui n'ont aucune raison de mourir », a expliqué aux « Echos » Hervé Morin, président de la région Normandie. Exemple avec l'ex-entreprise de tôlerie industrielle Debris de Saint-Laurent-de-Brèvedent (Seine-Maritime) mise en liquidation en novembre 2016 après avoir perdu un client représentant 30 % de son activité. Le dispositif Arme est venu en aide - 150.000 euros de prêt à taux zéro et 150.000 euros de subventions - à un projet de reprise avec 40 salariés. La nouvelle société iMetal, qui a reçu la visite d'Hervé Morin le 15 février 2018, est en cours de redressement.
En ce qui concerne les 426 entreprises accompagnées, 182 (soit 43 %) ont été aidées financièrement en renforcement de trésorerie (prêts à taux zéro) et aide à l'investissement. Pour elles, le taux de réussite est de 95 % selon la mission Arme. 57 % des entreprises ont, quant à elles, bénéficié d'une prestation de conseil assurée par un cabinet payé par la région. Une démarche concluante dans plus de 95 % des cas selon la région. De son côté, la CPME conseille le dispositif Arme à ses adhérents. « Nous mettons souvent le dirigeant en relation avec l'équipe Arme, qui connaît très bien le monde de l'entreprise, et nous aidons le dirigeant à construire son dossier » indique Séverine Touchard, déléguée régionale. La région a mobilisé 20 millions d'euros (prêts) et 1,3 million d'euros de subventions au titre de ce dispositif Arme depuis 2016. « C 'est une bonne utilisation de l'argent public, d'autant qu'il s'agit pour l'essentiel d'avances remboursables », estime Hervé Morin.