Christophe GUILLUY : le géographe Cassandre...
Après l'avoir longtemps snobé ou maltraité en en faisant un idéologue du populisme, Christophe Guilluy apparaît soudain comme celui qui avait vu venir avant tout le monde le réel qu'ils ont refusé de voir par cécité idéologique. La France périphérie diagnostiquée par Guilluy ne résume pas à la question de la mobilité contrainte entre un domicile trop éloigné d'un service urbain ou d'un lieu de travail, c'est aussi une question sociale, culturelle voire identitaire...
Ci-après, on vous donne à lire une petite compilation des interventions et analyses de ce géographe désormais au centre du débat politique national...
Conscience de classe des Gilets jaunes23/11/2018
Le géographe Christophe Guilluy, auteur de "No society - La fin de la classe moyenne occidentale", est l'invité de Léa Salamé (France Inter matinale du 26/11/18)
Le géographe Christophe Guilluy souligne ce lundi, au micro de Léa Salamé, la violence des mouvements sociaux ces derniers temps. Alors que le week-end de mobilisation des "gilets jaunes" a été entaché par des incidents, Christophe Guilluy rappelle les casseurs du 1er-Mai et autres manifestations qui ont dégénéré.
Mais on aurait tort, estime le géographe, d'ostraciser ce mouvement qui va bien au-delà de la colère de quelques uns et est la partie visible d'un iceberg bien plus massif : celui du mal-être de toute une classe sociale, la classe populaire, qui peut très facilement basculer vers le chômage et la pauvreté.
Pour Christophe Guilluy, les manifestants du mouvement des gilets jaunes ne sont donc ni d'extrême-droite, ni d'extrême-gauche, ni des électeurs d'Emmanuel Macron qui sont fâchés, mais le tout à la fois. Car les classes populaires, rappelle-t-il, se sont depuis longtemps déjà éloignées du clivage politique de l'ancien monde pour se préoccuper d'un clivage beaucoup plus profond : celui des fractures entre les classes sociales.
Des fractures que l'on peut imputer à un modèle économique très inégalitaire, celui du capitalisme et de la mondialisation qui, certes, créé de la richesse, mais sans réduire les écarts entre classes populaires et premiers de cordée, pour reprendre l'expression consacrée par Emmanuel Macron.
Voir enfin sur le site de Normandie Actu:
Depuis 20 ans, il travaille sur la France périphérique. Géographe, Christophe Guilluy décrypte pour actu.fr le mouvement des Gilets jaunes. Interview.
Depuis 20 ans, le géographe et essayiste Christophe Guilluy théorise sur la France périphérique. Cette France des « nouvelles classes populaires » regroupe agriculteurs, ouvriers, employés, jeunes, chômeurs, retraités, petits indépendants… et représente, selon lui, 60% de la population du pays. Les Gilets jaunes traduisent le malaise face à l’insécurité culturelle, économique et sociale que cette France périphérique ressent avec de plus en plus d’acuité. Pour actu.fr, Christophe Guilluy décrypte le mouvement des Gilets jaunes.
Comment expliquez-vous l’émergence des Gilets Jaunes ?
Christophe Guilluy : La France périphérique vit dans les territoires qui créent le moins d’emploi. Or, c’est elle qui peut être le plus confrontée au chômage, à la pauvreté. Ces nouvelles classes populaires sont sociologiquement diverses et peuvent aussi bien voter à gauche qu’à droite, voire et surtout plus du tout. Elles sont dispersées sur tout le territoire et ne se situent pas seulement dans les zones rurales. On les retrouve dans les zones urbaines, péri-urbaines.
Elles subissent de plein fouet, depuis 30 ans, les effets d’un modèle économique mondialisé profondément inégalitaire.
Cette mondialisation profite surtout aux élites vivant dans les grandes métropoles. Ces classes supérieures ne sont quasiment pas exposées au chômage. En France, nous avons 10-15 métropoles, mais le pays ne se résume pas à elles. Les Gilets jaunes le rappellent.
Comment analysez-vous la présence importante des femmes dans ce mouvement ?
Elles ont les plus petits salaires. Les fins de mois difficiles, elles connaissent. Elles savent ce qu’entrainent 50 € de moins dans le budget d’un ménage ou quel est l’impact d’une hausse du prix du carburant. Elles se mobilisent d’autant plus qu’elles se trouvent en première ligne. Lorsqu’ils évoquent ce mouvement, les médias ne parlent pas suffisamment de cette présence importante des femmes.
Comment sortir de cette crise ?
Déjà, il faut prendre ces Gilets jaunes au sérieux et cesser de les caricaturer en « poujadistes repliés sur eux-mêmes ». La question écologique est de ce point de vue édifiante. Les ruraux ont une conscience écologique tout aussi grande que les Parisiens, seuls les moyens sont différents. Affirmer l’inverse, c’est faire preuve d’un mépris de classe et c’est tenter de renvoyer ce mouvement à la marge, alors qu’il est central.
Cela démontre la rupture entre la France d’en haut et les classes populaires.
Une des solutions pour sortir de cette crise serait de redonner des moyens financiers aux élus locaux. Dans leur grande majorité, ils sont très bons, mais on leur enlève toujours plus de compétences, on transforme les Départements en guichets sociaux avec toujours moins de recettes pour les collectivités.
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Quelles sont les aspirations des classes populaires ?
Elles veulent vivre décemment de leur travail, assurer l’avenir de leurs enfants. Elles ne souhaitent pas être assistées. Elles veulent que leur capital social et culturel soit préservé. Elles veulent être respectées pour ce qu’elles sont. Elles ont fait le constat rationnel et non idéologique que la mondialisation basée sur la division internationale du travail, initiée depuis 30 ans, ne mène partout en occident et donc en France qu’à une grande précarité.
Il y a moins de travail, moins de redistribution des richesses. Contrairement aux idées reçues, les territoires de la France périphérique gagnent des habitants, là où la population des grandes métropoles stagne, voire baisse. La mobilité sociale diminue, du fait de logiques foncières notamment. Il devient de plus en plus difficile d’intégrer ces grandes métropoles, ne serait-ce pour des questions de coût du logement. Il est donc primordial de redonner aux territoires le moyen de se développer économiquement. Nous n’avons plus le choix.
Vous évoquez le lien rompu entre la France d’en haut et les classes populaires, comment expliquez-vous ce phénomène ?
Dans les grandes métropoles mondialisées, vous avez une concentration des emplois qualifiés, des élites, des prescripteurs d’opinion. Ceux-ci plébiscitent un modèle économique dont ils bénéficient en premier lieu et ils « oublient » leur propre peuple.
Aujourd’hui, il y a plus de différences culturelles entre un Parisien et quelqu’un qui vit dans la Creuse, qu’entre un Parisien et un New-yorkais.
Il faudrait que le monde d’en haut se mette au service des classes populaires et travaille avec lui, plutôt que de se replier sur lui-même pour défendre un modèle économique à bout de souffle.
No Society, la disparition de la classe moyenne occidentale, le dernier livre de Christophe Guilluy est paru début octobre chez Flammarion. 242 pages,18€