La SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE de la France ne peut ignorer la Normandie!
On semble redécouvrir, en ce moment, les vertus de la souveraineté comme on peut redécouvrir l'intérêt du fil à couper le beurre: certaines tentatives de retournement de veste qui ont lieu en ce moment dans la sphère politico-médiatique parisienne peuvent amuser mais aussi agacer par le pathétique de la manoeuvre celles et ceux qui ont eu la lucidité d'y croire avant ou d'avoir pensé le souverainisme non sans un certain courage intellectuel en affrontant un politiquement correct dominant de plus en plus intolérant:
On le constate, par exemple, avec les initiatives de notre philosophe normand préféré, Michel Onfray, qui subit un véritable procès en sorcellerie médiatique pour avoir osé lancer sa revue "Front Populaire" visant à ouvrir un nouvel espace médiatique et politique de réflexion pour celles et ceux qui pensent le souverainisme sans être empêché par la police idéologique de droite comme de gauche (surtout de gauche d'ailleurs...).
Nous aurons l'occasion de revenir sur l'Etoile de Normandie sur la question de restaurer une souveraineté démocratique française avec sa déclinaison régionale et décentralisée (un Michel Onfray croit que cette vision girondine de la souveraineté est possible alors qu'un Eric Zemmour qui salue, par ailleurs, l'initiative du philosophe normand, n'y croit pas...) car, avec l'écologie, le retour du souverainisme est la seule idée réellement neuve et stimulante dans le pauvre débat public actuel, a fortiori si ce renouveau d'un souverainisme français peut se décliner régionalement car dans sa longue histoire la France s'est toujours reconstruite à partir des initiatives locales ou dans une coopération entre le local, le provincial ou le régional et l'Etat central.
La crise dans laquelle nous sommes démontre la double évidence que l'administration de l'Etat central ne peut pas tout et ne sait pas tout faire et que les initiatives locales sont capables d'une réactivité et d'une agilité que ne saurait avoir, par principe, la bureaucratie centralisée de l'Etat: il faudra avoir l'intelligence sinon la sagesse d'en tenir compte lorsqu'il va falloir réparer l'économie nationale et faire, pour de bon, les vraies réformes qui sont réellement nécessaires pour restaurer un minimum de souveraineté qui justifie pourtant la présence et l'action d'un état sur un territoire et une population bien définie depuis qu'un certain Jean Bodin nous en avait parlé au XVIe siècle...
Depuis Jean Bodin, en effet, la souveraineté de l'Etat se justifie dans les domaines de la vie humaine que l'on considère comme stratégiques ou vitaux pour le maintien et l'avenir de l'Etat et du pays qui le sous-tend. On a identifié quatre grands domaines vitaux que l'on pourrait considérer comme "régaliens" car étant de la responsabilité même du chef de l'Etat et de l'action de son gouvernement:
1) La sécurité (intérieure et extérieure) et la justice.
2) L'alimentation de la population.
3) La santé de la population.
4) L'éducation et la formation de la population.
A ces quatre grandes priorités on a rajouté au fil de l'Histoire et de ses crises une cinquième avec la nécessité d'avoir une base nationale entrepreneuriale industrielle suffisante pour ne pas être économiquement dominé par les autres.
Revenons au second domaine stratégique identifié avec la nécessité de rétablir la souveraineté alimentaire de notre pays.
La crise sanitaire du covid 19 a été l'occasion d'une double révélation:
1) le confinement qui a stoppé pendant plus de deux mois les grands échanges commerciaux internationaux a montré la vérité: un produit alimentaire parcourt, en moyenne, 4000km entre son lieu de fabrication et notre assiette.
2) Le virus du covid 19 s'est acharné contre la partie de notre population qui est, médicalement, la plus fragilisée du fait d'un abus de malbouffe industrielle (trop sucré, trop salé, trop gras) sachant qu'il s'agit aussi de la population la plus défavorisée et la moins éduquée.
Il y a donc urgence à reconstruire sinon à refonder le système économique de fabrication et de distribution de l'alimentation dans notre pays dominé par un acteur qui a pris trop de place au point d'exercer un monopole idéologique et une pression économique globale sur l'économie alimentaire nationale: il est temps d'avoir le courage politique de limiter sérieusement le pouvoir de la grande distribution afin d'avoir une filière économique professionnellement et financièrement plus équilibrée. Et cette lutte contre ce cartel alimentaire devrait intéresser tout le monde.
Mais il y a aussi deux autres sujets à traiter:
1) Assumer et imposer une exception alimentaire comme nous avons été capables d'obtenir une exception culturelle lorsque notre pays et sa signature sont engagés dans un accord international de libre-échange négocié par l'Union européenne. Il faut savoir que le torchon brûle en ce moment au sujet d'un récent accord de libre-échange signé en avril dernier associant l'Europe et le Mexique entre un Didier Guillaume ministre de l'agriculture qui n'en veut pas et un Jean-Baptiste Lemoyne secrétaire d'état en charge des affaires européennes qui n'y voit rien à redire... Sur ce sujet comme sur tant d'autres, le "et en même temps" n'est pas une méthode de gouvernement.
2) Accélérer la transformation et la reconversion du modèle agricole français qui, hormis quelques niches labellisées (AOC / AOP agriculture bio), donne dans la qualité certes, mais une qualité plutôt moyenne alors qu'il faudrait viser le haut voire le très haut de gamme pour assurer les prix les plus rémunérateurs possibles dans un marché alimentaire devenu mondial: là encore se pose la question du protectionnisme qui est la conséquence du souverainisme dans le domaine économique sachant que le plus dur est de briser la doxa libre-échangiste ultra-libérale qui domine un certain nombre de cervelles dominantes.
Il ne s'agit pas d'en appeler à l'autarcie (ce serait absurde et surtout, inefficace) mais d'assumer en France et en Europe un protectionnisme raisonnable pour sortir de l'enfer actuel d'un dumping social, fiscal et environnemental généralisé, notamment au sein même de l'Union européenne. Là encore, dans le domaine agricole, les choses doivent changer: la FNSEA exerce le même type de monopole social et économique dans nos campagnes que la grande distribution sur l'aval de la filière alimentaire. Là encore, il faudrait du courage politique pour faire émerger tous les acteurs d'un monde agricole qui est en pleine recomposition sociale, culturelle et idéologique avec une percée des filières qualitatives, biologiques et locales à l'opposé du modèle encore dominant à la FNSEA et dans les chambres d'agriculture de l'agro-industrie ou de l'agro-business.
On est donc à l'aube d'une nouvelle révolution agricole et alimentaire qui pourrait être aussi importante que celles qui furent effectuées à partir du XVIIIe siècle en Angleterre ou celle qui fut menée après la Seconde guerre mondiale. La demande sociale pour une alimentation de qualité, authentique, respectueuse des hommes, des bêtes, des plantes et des sols est de plus en plus forte. Les consommateurs, même si cela reste encore fragile, commencent à comprendre que l'alimentation n'échappe pas à la règle: pour que cela vraiment bon et bien il faut y mettre un peu, juste un peu, le prix. De plus en plus, c'est aussi un citoyen qui pousse son caddie...
Enfin, la restauration de la souveraineté alimentaire de la France qui fut et reste encore un grand pays agricole associé à la première gastronomie du Monde ne saurait ignorer, par principe, les territoires: chaque région, chaque province, chaque pays, chaque terroir de France a sa spécialité agricole, d'élevage, sa spécialité alimentaire ou gastronomique. C'est un patrimoine extraordinaire qui, comme tout ce qui nous paraît évident et éternel, n'est pas assez protégé et valorisé face aux entreprises parfois douteuses des industriels et des grands distributeurs.
Les conseils régionaux devraient prendre sur ce sujet une compétence particulière en proposant une garantie financière et d'animation de la filière alimentaire au niveau local: concrètement, les conseils régionaux doivent pouvoir privilégier les producteurs locaux dans leurs appels d'offres et le code des marchés publics doit être réformé en conséquence.
Conscient de présider, avec la Normandie, le "grenier de la France" ou le "garde manger de la région parisienne", Hervé Morin avait lancé l'initiative d'approvisionner les cantines des 114 lycées normands en produits locaux normands, bio de préférence, avec une montée en puissance progressive. Aux dernières nouvelles on doit, hélas, relever deux difficultés dans la mise en oeuvre concrète de cette ambition:
1) Le code des marchés publics conforme aux directives européennes n'admet pas que l'on puisse privilégier un producteur local au nom du principe de la concurrence "libre et non faussée" (sic!): la règle peut être, cependant, contournée mais cela complique les opérations...
2) Les producteurs locaux normands, bio de préférence, manquent à l'appel ou sont mal organisés pour mettre régulièrement à disposition les quantités nécessaires demandées par les intendants des lycées.
Il est donc évident qu'il faudrait intervenir le plus en amont possible sur la filière agricole normande à l'instar de ce que le conseil régional peut faire pour le reste des entreprises normandes:
La politique d'intelligence économique actuellement mise en oeuvre doit s'étendre à l'agriculture et à l'agro-alimentaire.
Pour illustrer notre propos... Dégustons des fraises. Normandes de préférence:
Fraises normandes délicieuses qui ont terminé leur courte vie sur un lit de crème pâtissière (normande faite maison) elle-même couchée sur un gros biscuit... breton réalisé avec du beurre AOC d'Echiré (Poitou): on s'est régalé ce dimanche midi avec un fraisier qui n'a donc pas été fait "made in ailleurs"!
Mais, quand on parle de fraises ou plutôt de ceux qui les sucrent... (ces gâteux qui nous gouvernent et qui n'ont toujours rien compris!)
(source: Marianne, n°1212, du 5 au 11 juin 2020)
Pour aller plus loin et poursuivre la réflexion ouverte ici:
http://regions-france.org/wp-content/uploads/2020/06/20200603-Tribune-Com-agri-RDF-post-covid.pdf
Donner aux territoires les moyens de reconquérir notre souveraineté alimentaire
Jean-Pierre Raynaud, président de la Commission agriculture de Régions de France, et les élus régionaux en charge des questions agricoles et alimentaires, livrent leurs enseignements pour l’après Covid-19 (Tribune publiée le 3 juin 2020 par “La France Agricole”)
Le premier enseignement que nous pouvons tirer de la crise sanitaire est qu’il ne faut pas opposer les modèles agricoles et alimentaires, même s’ils doivent gagner en résilience et en durabilité. Alors que faire ? Raccourcir les chaînes d’approvisionnement alimentaire ? Oui, mais pas sans une réflexion au niveau régional sur le maillage et le dimensionnement des outils de transformation. Relocaliser certaines filières ou maillons de production ? D’accord, mais pas sans investissements importants dans les moyens de production et en soutenant la recherche et l’innovation. Développer la vente directe ? Oui, mais pas sans former les agriculteurs aux usages du numérique et sans garantir l’accès à internet dans tous les territoires ruraux. Favoriser le recours aux produits locaux dans la restauration collective ? Impossible sans faire sauter le verrou réglementaire qui l’interdit et sans mettre de l’ordre dans l’imbroglio des compétences administratives de l’État et des collectivités territoriales.
Dans l’urgence de la crise, les acteurs sont venus à nous pour parer aux situations des entreprises et des agriculteurs les plus en difficultés grâce à des dispositifs co-construits avec l’État, à des aides régionales conçues pour ne laisser aucun agriculteur, aucune TPE-PME agroalimentaire au bord de la route. Là, le financement et la mise en place de plateformes internet, ici, le soutien à l’installation de points de vente éphémères, là encore la tenue de conférences régionales de filières pour affiner les impacts de la crise et définir les actions de court terme. Ici encore, le soutien de nos collectivités pour appeler les grandes surfaces à « jouer le jeu » de l’origine France et de l’origine locale.
En deuxième lieu, la crise a apporté la preuve que la décentralisation favorise l’agilité et l’innovation.
Entre les crises, les collectivités accompagnent la structuration et le renforcement des écosystèmes territoriaux pour qu’ils résistent dans la durée, relèvent le défi du changement climatique et développent plus de valeur ajoutée. La décentralisation permet le décloisonnement des politiques publiques. Dans le domaine agricole et alimentaire, c’est par exemple savoir relever le défi de la bioéconomie pour développer de nouvelles valeurs tout en répondant aux enjeux de la transition environnementale et de réindustrialisation de nos territoires. En matière d’alimentation, c’est bien au niveau local que les initiatives émergent ou se réalisent in fine : la Région doit les soutenir financièrement par des investissements (infrastructures de transformation et logistiques), les accompagner par des outils de partages de bonnes pratiques (observatoires régionaux et centres de ressources), par des outils supports (plateformes numériques…).
Le troisième enseignement majeur que nous tirons de cette crise sanitaire : priver les territoires de moyens, en cette période de reconquête de notre souveraineté alimentaire, serait une grave erreur et obérerait totalement notre capacité collective à rebondir.
Les enseignements de cette crise nous indiquent vers où mieux cibler les aides publiques, en particulier de la PAC et de son second pilier le Feader, pour les deux prochaines années. Les aides aux investissements, le renouvellement des générations d’agriculteurs et la coopération territoriale doivent être remontés au premier rang des priorités nationales alors même qu’elles sont aujourd’hui les plus sacrifiées.
Le report probable à 2023 de la future PAC et la mise en sommeil des discussions sur ses orientations ne doivent pas nous priver d’un vrai débat sur la redéfinition des priorités des deux prochaines années de transition.