Les oraisons de la Chapelle Darblay
Voici l'oraison... sinon le monitoire: la Chapelle Darblay n'est pas un sujet à prendre à la légère et personne n'est léger avec la Chapelle Darblay dont l'usine, présente sur notre territoire normand, est d'intérêt national.
Le président du CESER de Normandie, Jean-Luc Léger en son appel du 18 juin nous avait rappelé l'évidence dans le cas où nous aurions été... léger sur ce sujet bien lourd.
https://ceser.normandie.fr/chapelle-darblay-est-un-test
Dans son discours introductif à l'assemblée plénière du CESER, le 18 juin 2020, Jean-Luc Léger s'est exprimé sur la situation de l'usine Chapelle Darblay et les conséquences d'une fermeture. "Soit les pouvoirs publics se mobilisent", affirme t-il, soit "ils ne font rien et ceci démontrera le peu d'ambition à sauver l'ensemble du tissu économique de la Normandie". Retrouvez ci-dessous l'intégralité de son propos sur le sujet.
"Le groupe finlandais UPM a décidé d’arrêter l’activité de production de [l'entreprise Chapelle Darblay] implantée sur la métropole rouennaise. Il est possible d’émettre un doute sur la volonté réelle du propriétaire de vendre cet outil exemplaire. Le plan de sauvegarde de l’emploi avait pour date buttoir le 15 juin. Compte tenu des volumes à traiter, et faute de repreneur, l’activité s’arrêtera vers la mi-juillet et les licenciements seront alors prononcés. Or, la matière première de l’usine est constituée à 100 % de papiers issus des collectes sélectives. Chapelle Darblay traite ainsi les déchets papier collectés en Ile-de-France et dans un large secteur grand ouest. En 2019, le site a traité 350 000 tonnes, et il dispose aujourd’hui encore d’une capacité de recyclage de 480 000 tonnes par an, correspondant aux déchets papiers triés par 24 millions d’habitants.
La fermeture définitive de cet établissement aura pour conséquences :
- La perte de près de 230 emplois directs et 800 emplois indirects
- La perte de l’une des principales capacités de recyclage de déchets papiers en France, alors que le pays est déjà exportateur, avec pour conséquence la fragilisation des centres de tri. Les collectivités territoriales aussi seront en difficulté pour trouver des repreneurs de déchets papier carton triés, et cela nous expose à un risque d’augmentation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères pour les usagers.
- Un risque de voir des stocks de papier et carton, préalablement triés, finalement incinérés ou enfouis, faute de débouchés et de solution de recyclage.
- Un risque d’augmentation des importations de produits finis, notamment pour la presse française, ce qui aura pour effet de créer un peu plus de dépendance, contredisant l’éventuelle volonté de souveraineté économique.
- Et ce qui n’est pas la moindre des conséquences, l’accroissement du transport, de la pollution de l’air et des émissions de CO2 liés au recyclage.
La fermeture de Chapelle Darblay constituerait ainsi la perte d’un acteur majeur de la filière du recyclage et de l’économie circulaire en Normandie et en France. Avec l’usine, disparaîtrait un outil industriel disposant d’une station d’épuration capable de traiter les besoins de 400 000 personnes, d’une chaudière biomasse pouvant chauffer une ville de 20 000 habitants, d’un emplacement idéal au transport fluvial et ferroviaire et d’une importante disponibilité foncière.
Si Chapelle Darblay ferme définitivement, il ne sera tout simplement plus utile de trier les papiers et cartons puisque les conséquences économiques, sociales et environnementales seraient pires que l’intérêt de recycler à l’autre bout du monde. Implicitement, si les décideurs publics acceptent la fin de l’activité de production de papier par recyclage, ils acceptent du même coup de détruire ce qu’il est convenu d’appeler de la matière première. Quelle société peut aujourd’hui accepter de détruire de la matière première ?
Puisqu’il faut parler du monde d’après, qui ne sera pas automatiquement un monde meilleur mais qui sera ce que nous voulons en faire, je considère que Chapelle Darblay est un test.
Soit les pouvoirs publics (Etat, Région, intercommunalités) se mobilisent pour trouver un repreneur dans les semaines à venir et sauvent cet outil industriel de première importance, soit ils ne font rien et ceci démontrera le peu d’ambition à sauver l’ensemble du tissu économique de la Normandie, et singulièrement son industrie".
Commentaire de Florestan:
Les oraisons c'est bien. L'action c'est mieux. En l'occurrence, la région fait tout ce qu'elle peut dans le cadre limité de ses compétences (voire au-delà) mais aussi et surtout dans le cadre encore plus limité de ses finances. La solution ne peut être que celle d'une coopération accrue, intelligente et confiante entre l'Etat central et les conseils régionaux.
Malheureusement, du côté de l'Elysée, ces derniers temps, pour ce qui est de l'indispensable confiance à mettre en oeuvre et à cultiver, les signaux étaient plutôt contradictoires sinon inquiétants: il faudra que les 40 milliards envisagés pour le futur Plan de relance national soient équitablement partagés en terme de pilotage et d'affectation entre l'Etat central et les conseils régionaux.
Ce n'est donc pas le moment de faire de la politique politicienne autour de la question de la date des prochaines élections régionales ou, pire, d'alimenter la concurrence entre les conseils régionaux et les conseils départementaux sur la question de la compétence stratégique du développement économique et de l'aménagement du territoire, question qui a été tranchée par la loi NOTRe de 2015.
En tout cas, ces guéguerres picrocholines entre conseil régional et conseils départementaux qui pourraient être légitimes dans les nouvelles régions géographiquement trop grandes issues de la réforme de 2015 sont totalement injustifiées et contre-productives dans le cas de la Normandie qui est, désormais, la seule vraie région sur la carte de France avec la Corse.
Le législateur de 2015 avait prévu un outil institutionnel pour mettre tous les acteurs publics de la région autour de la table pour se concerter avant d'agir: la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) officiellement co-présidée par le président et le préfet de région n'a pas encore été une seule fois réunie, du moins à notre connaissance, en Normandie.
Peut-être que face à l'urgence, il faut laisser agir ceux qui savent agir avec efficacité, le conseil régional, en l'occurrence, dans le cas normand.
Mais pour revenir à la Chapelle Darblay on attend encore une suite, concrète, efficace, au prône de Monsieur l'abbé Léger...