Face aux clichés d'une clique médiatique féodale, éloge de la Normandie médiévale...
Mais que lui arrive-t-il? Quel étrange mal s'est emparé de lui? Quel charme? Quel envoûtement?
Une maladie? Un virus?
A l'occasion de la parution du numéro 638 de sa Chronique de Normandie qui, d'ordinaire, nous fait le récit hebdomadaire de ce qu'il faut retenir d'important et d'intéressant dans la vie politique, économique, sociale et culturelle de toute la Normandie, Bertrand Tierce qui nous propose, depuis des années, cette revue de presse de bénédictin normand indispensable et reconnue comme telle par tous les connaisseurs et suiveurs de nos affaires régionales, nous apprend qu'il veut arrêter et faire autre chose.
C'est normal que de vouloir se reposer, passer la main sinon le flambeau à d'autres plus jeunes ou ayant d'autres idées pour que le service de l'intérêt général normand se perpétue...
Aussi, nous nous apprêtions à rendre un digne hommage à Bertrand Tierce en lisant ce dernier numéro annoncé comme tel de sa Chronique de Normandie mais nous ne le ferons pas car l'ami Bertrand est pris d'une fièvre tierce sinon quarte depuis l'arrivée du Covid-19 dans nos contrées:
En effet, le rédacteur de la Chronique de Normandie a l'idée saugrenue de nous proposer, dorénavant, une lettre d'information sur l'actualité régionale normande à la sauce... médiévale!
Loin de l'enthousiasme sympathique parfois débordant ou maladroit des groupes de reconstitueurs historiques qui sont nombreux à se passionner pour l'héritage prestigieux de notre Normandie médiévale, la nouvelle chronique de Monsieur Tierce voudrait donner dans le féodal de pacotille pour mieux tourner en dérision nos réalités normandes en suivant quelques vieux clichés jacobins sur l'obsolescence historique de la province...
Bertrand Tierce, héraut de la Normandie ou plutôt son visiteur: Jacquouille la Fripouille? ou Godefroy de Montmirail?
La Normandie vue, revue et corrigée par les nouvelles lunettes féodales de Monsieur Tierce (achetées à Festyland avec le casque viking à cornes fourni avec) ça pourrait donner ça:
Parlons, quelques instants, du fond:
C'est une tradition idéologique qui remonte, bien entendu, à la Révolution française que d'assimiler nos réalités provinciales à la féodalité et plus largement à un "ancien régime" politique, social et symbolique périmé et rendu obsolète par le "nouveau régime" instauré par la Révolution française sauf que Tocqueville nous a averti que la Révolution française avait finalement aboli le meilleur de l'Ancien régime (par exemple, nos libertés locales et provinciales) tout en en conservant le pire quitte à l'aggraver (par exemple, l'hypercentralisation parisienne)...
La marotte négative avec laquelle le troubadour Tierce qui n'a jamais eu la fibre régionaliste normande voudrait nous amuser vient de cette vieille confusion idéologiquement entretenue depuis la Révolution française entre le féodal et le médiéval pour que le premier, désormais honni, puisse recouvrir le second de son sombre bouclier:
C'est bien connu, nous n'existons dans la pleine lumière que depuis 1789. Avant nos ancêtres étaient des crétins arriérés qui survivaient dans les pénombres d'un Moyen-âge illuminé par les feux de la superstition et de la domination féodale.
C'est bien connu, la modernité d'après 1789 c'est le progrès comme nous le démontre sans peine les atrocités de la Seconde guerre mondiale et les grands totalitarismes du XXe siècle...
On dira, pour finir, que le Moyen-âge de dérision en carton-pâte que voudrait nous proposer Monsieur Tierce risque de paraître plus "sénescent" qu'un sénéchal normand du XIIe siècle...
Eloge de la Normandie médiévale, la vraie!
Car la Normandie à l'époque de Raoul Le Sénéchal, le ministre d'Henri II Plantagenêt roi d'Angleterre et duc de Normandie en ces années 1180, je n'aurais pas été fâché d'y vivre même en tant que simple "manant" pour la bonne et simple raison que des "manants", à savoir ces ouvriers agricoles quasi-esclaves assimilés à des bêtes de somme, il n'y en avait tout simplement pas en Normandie!
Du fait de la coutume de Normandie, premier code juridique complet écrit ayant réapparu en Occident depuis la fin de l'Empire romain au cours des XI et XIIe siècles, chaque sujet du duc était réputé égal devant la loi qui était aussi celle de tous les Normands.
La loi normande était très moderne pour son époque qui sera nommée "gothique", "médiévale" ou "féodale" bien après la fin du Moyen-âge...
A l'avenant:
- Egalité homme/ femme dans le droit d'aînesse.
- Protection particulière, corps et biens, de la personne individuelle contre toute voie de fait: c'est la fameuse procédure de la clameur de Haro qui institue aussi un devoir de responsabilité collective contre toute violence.
- Droit de réflexion avant tout engagement contractuel définitif (c'est l'origine de notre fameux "ptêt ben qu'oui, ptêt ben qu'non").
- Droit accordé aux collectivités locales de résister contre tout arbitraire ducal et royal (Jean Sans Terre en fera les frais avec la "Magna Carta")
- Tolérance à l'égard des Juifs.
- Déclaration de ses revenus avant de payer l'impôt ducal et royal (cela donnera l'extraordinaire Domesday Book toujours conservé en Angleterre).
- Consentement préalable de la communauté locale avant de payer l'impôt ducal et royal.
- Création d'une justice administrative pour recevoir les plaintes des contribuables et des justiciables du duc-roi: ce sera la cour de l'Echiquier qui siégeait au château de Caen.
- Prise en charge des frais de justice par le duc-roi pour les plaignants qui sont trop pauvres.
- Interdiction du port d'armes sur les chemins du duché de Normandie (concile de Caen, 1047).
- Enquête et débat contradictoire préalable avant tout jugement définitif.
- Interdiction de torturer les prévenus.
- Pas d'emprisonnement sans procès ni procédure.
- Instruction scolaire primaire obligatoire à la charge des écoles abbatiales pour tous les garçons.
- Dispensaire et infirmerie ouverts à tous dans chaque monastère.
- Grandes écoles supérieures dans certaines abbayes: par exemple, celle de Fécamp qui était une véritable école d'administration pour les cadres du duché de Normandie et du royaume d'Angleterre.
- Une grande politique de l'aménagement du territoire avec un monastère bénédictin tous les 20 km pour mettre en valeur les terres et encadrer la population et un château associé à un bourg tous les 10 km.
- Création d'une ville nouvelle à Caen.
- Développement du commerce maritime et portuaire très important au cours du XIIe siècle à Rouen, Londres, Caen, Fécamp ou Barfleur à l'initiative des monastères (Basse-Seine) ou de la bourgeoisie des villes (Rouen).
Bref! Nous affirmons sans trop hésiter que le XIIe siècle anglo-normand fut plutôt une belle époque sinon un âge d'or qui n'a rien à voir avec le pauvre Moyen-âge de caricature de Monsieur Tierce!
Fermons le ban et n'en parlons plus!
Remise du "grand coutumier de Normandie" ou "Charte aux Normands" par le roi de France Louis X le Hutin (1315) à l'occasion du centenaire de l'entrée de la Normandie dans le domaine royal français: le lien institutionnel entre la France et la Normandie était alors constitutionnel voire contractuel... Un exemplaire de cette "Charte aux Normands" était conservé dans la salle du Trésor de la cathédrale de Rouen.
Voir aussi, archive de l'Etoile de Normandie:
http://normandie.canalblog.com/archives/2015/01/04/31254610.html