2 novembre 2020
Vers 11 heures, ce lundi 2 novembre 2020, jour des défunts, dans un lycée professionnel normand...
Billet de Florestan:
Vers 11 heures, ce lundi 2 novembre 2020, jour des défunts, dans un lycée professionnel normand...
Hommage à Samuel Paty.
Dans mon lycée, la matinée a été totalement improvisée avant la minute de silence: les professeurs ont refusé de prendre leurs élèves dès la première sonnerie du matin pour avoir un indispensable moment d'échange. Notre proviseur faisant fonction se plaignant d'être informé sur ce qu'il devait faire en écoutant... France Inter a abondé en notre faveur et a laissé faire ne serait-ce que pour savoir quoi faire avec nos élèves avant et après la cérémonie d'hommage.
J'ai lu la lettre de Jaurès aux instituteurs à deux voix avec une collègue et les élèves rassemblés dans le gymnase avec tous les adultes de la communauté scolaire ont respecté le moment de silence. Ce fut impeccable, d'une belle tenue et très émouvant. J'ai, ensuite, pleuré en me tournant vers le mur.
Par la suite, j'ai eu un long échange de près d'une heure dans le hall du lycée avec l'un de mes élèves musulmans pratiquant sa religion et originaire d'Albanie sur tous les grands sujets concernant la laïcité, la liberté de conscience, le véritable blasphème, le sacrifice d'Isaac, les valeurs républicaines, le bien et le mal, le pur et l'impur, le vrai, le faux, le grand et le petit djihad, les frères musulmans, le Coran créé ou incréé, la lecture spirituelle de loi de Moïse et la grâce chrétienne, le Talmud et la Sunna, le sunnisme et le shiisme, les califes "rachidouns", la commission Uthman et les massorètes juifs, les mutazilites et les fondamentalistes, la libre interprétation du Coran et de la Sunna et le sens de la première sourate du Coran "l'ouvrante" qui rappelle à tout musulman le devoir de connaissance lucide du texte sacré pour ne pas "suivre le chemin des égarés" etc...
C'était assez extraordinaire!
Autour de notre conversation passionnée, un petit noyau d'élèves écoutait, quelques uns de ma classe et d'autres, la plupart des lycéens musulmans ou de tradition arabo-musulmane.
Cet élève finit par me dire qu'il était membre d'une confrérie soufie d'obédience turque et moi que j'étais chrétien protestant.
Il me dit aussi ceci qui m'a ému presqu'aux larmes:
"Quand ce prof a été assassiné par ce fou j'ai tout de suite pensé à vous. Pendant les vacances j'ai fait un rêve à propos de tout ça: j'ai rêvé que j'en parlais avec vous..."
C'est chose faite!
De cette admirable discussion avec un jeune homme de 15 ou 16 ans qui mettait en pratique ce qui avait été dit dans la lettre de Jaurès lue précédemment, je retiendrai cette définition du vrai blasphème proposée par mon élève à la suite de notre conversation:
"Tuer un homme au nom de Dieu en se plaçant au dessus de lui" a-t-il déclaré. Mais j'ai complété cette très belle définition quand, malgré tout, il essaya de me dire que les caricaturistes de Charlie Hebdo avaient manqué de responsabilité:
" Se placer au dessus de Dieu est, certes, le vrai blasphème mais c'est surtout oser se placer au-dessus du Nom de Dieu que l'on dit "grand" (Allahu Akbar) en étant innommable pour venger ce que l'on pense innommable au nom de Dieu alors que tout croyant a le devoir de nommer Dieu et tout ce qu'il a créé pour avoir un nom à respecter." (rôle premier d'Adam et Eve dans le paradis terrestre).
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