BREXIT: après le compromis préservant la pêche artisanale dans la Manche, une bataille des grands ports maritimes?
Le Brexit n'en finit pas de se finir et, surtout, n'en finit pas de faire des vagues dans notre économie maritime... Nous avons ici évoqué, amplement, le dossier de la pêche qui a, enfin, été intégré à la signature d'un traité international règlant l'essentiel des relations économiques et commerciales entre l'Union européenne et le Royaume-Uni désormais simple état tiers au même titre que la Norvège ou la Suisse.
Le dossier de la pêche est, certes, perdu dans un vaste accord complexe de plus de 1000 pages mais l'essentiel est acquis: les pêcheurs de la côte française de la Manche pourront continuer à fréquenter les eaux territoriales anglaises et les pêcheurs britanniques pourront continuer à débarquer leur poisson dans les ports français: les pêcheurs de la Manche, qu'ils soient Britanniques ou Français ont réussi à faire valoir des intérêts qui étaient finalement assez proches, à savoir la défense d'une pêche artisanale plus soucieuse de la ressource halieutique que la pêche plus industrielle pratiquée par les Hollandais, par exemple...
Lire le reportage suivant (Ouest-France):
Brexit. Pour les pêcheurs de Port-en-Bessin, « on évite le pire » (ouest-france.fr)
Les pêcheurs pourront continuer à travailler dans les eaux anglaises. À Port-en-Bessin-Huppain (Calvados), l’accord sur le Brexit a été accueilli avec des soupirs de soulagement. Les professionnels attendent désormais d’en connaître les détails.
Un accord sur le Brexit, les pêcheurs de Port-en-Bessin, dans le Calvados, n’y croyaient plus. Entre Londres et Bruxelles, les crispations au sujet de la pêche étaient telles qu’un consensus apparaissait de moins en moins probable à l’approche de la date butoir du 31 décembre. Et pourtant… Il s’est invité à la dernière minute à la table du réveillon, jeudi.
« On a gagné cet accord »
« J’estime qu’on a gagné cet accord », poursuit-il. Un point a particulièrement réjoui le pêcheur : l’accès « aux 6-12 miles », la zone côtière britannique sur laquelle les pêcheurs français bénéficient de droits historiques. Contre toute attente, ils pourront continuer à y travailler, au moins jusqu’en 2026, date à laquelle l’accès aux eaux britanniques sera renégocié. « Je suis tombé des nues, assure Wilfried. J’avais clairement fait une croix dessus. »
« Si c’est vrai, on évite le pire », assure Stéphane André, patron du Sagittaire, amarré lui aussi à Port-en-Bessin. Lui refuse de se réjouir tant qu’il n’aura pas pris connaissance du texte. « Il y a 1 200 pages rédigées en anglais dans le texte du Brexit. Autant dire qu’on n’en connaît pas les détails », reconnaît son collègue du Vauban.
Les détails du texte permettront également d’éclaircir la complexe question des quotas. D’ici à 2026, les pêcheurs devront renoncer à 25 % de leurs captures dans les eaux anglaises.
Le président de la commission Pêche du parlement européen, Pierre Karleskind, est venu à la rencontre des professionnels de la mer à Granville (Manche), quelques jours après l’accord avec les Britanniques.
De nombreuses préoccupations pour le monde de la pêche
Mais plus que de rappeler les grandes lignes, Pierre Karleskind est surtout venu écouter les préoccupations directes des pêcheurs. « L’accord signé avec le Royaume-Uni est un accord global. Désormais, des discussions plus précises vont se poursuivre entre les Britanniques et l’Union européenne, reprend Bertrand Sorre. Les pêcheurs se demandent, par exemple, ce que va imposer le Royaume-Uni comme taille de filets de pêche, s’il y aura davantage de contrôles des autorités britanniques, etc. »
Pour connaître tous ces détails, il va maintenant falloir faire preuve d’une qualité indispensable à tout pêcheur : la patience.
Intérêts préservés
Le volet pêche préserve les intérêts des pêcheurs français, qui ne resteront pas à quai le 2 janvier. Le Brexit restera une mauvaise aventure pour l’Europe mais cet accord préserve pour l’instant la pêche, activité majeure de nos régions. Le pire aurait été un Brexit sans accord. Maintenant, il faut avancer et analyser précisément les impacts de cet accord pour la filière, et notamment la question de la réciprocité. Il faudra voir dans quelles conditions les pêcheurs britanniques auront accès aux eaux territoriales françaises, afin que la ressource hors quota soit préservée, par exemple la coquille Saint-Jacques ».
Lire aussi : Accord post-Brexit : aide forfaitaire pour les pêcheurs français impactés, déception côté britannique
Ils appellent aussi au respect de l’accord de la baie de Granville pour l’accès aux îles Anglo-normandes. L’accord conclu jeudi prévoit de laisser aux pêcheurs européens un accès aux eaux britanniques pendant une période transitoire de 5 ans et demi, jusqu’en juin 2026. Pendant cette transition, l’UE devra progressivement renoncer à 25 % de ses prises, qui s’élèvent en valeur à environ 650 millions d’euros par an. L’accès aux eaux ainsi que les équilibres trouvés jusqu’en juin 2026 préservent les intérêts de nos régions et la pérennité de nos flottes et de nos filières ».
Commentaire de Florestan:
Dans l'idéal, l'accord de la baie de Granville devrait être étendu à la totalité du bassin du golfe anglo-normand pour préserver la pêche artisanale continentale et celle des îles contre l'intrusion de navires industriels...
On respire donc pour l'avenir de la pêche artisanale dans la Manche donc...
Mais il faut aussi évoquer un sujet dont on parle jusqu'à présent peu et qui concerne l'avenir de nos grands ports maritimes, à commencer par celui du Havre qui se trouve dans le voisinage de l'Angleterre: en effet, le Royaume-Uni a décidé de créer dix ports "francs" sur son littoral, notamment sur sur les côtes de la Manche.
Un port-franc? Qu'est-ce que c'est?
Le projet britannique de créer des "ports-francs" est déjà ancien puisqu'il remonte à 2016:
Brexit : ces ports-francs qui vont sauver l’Angleterre | Contrepoints
Une solution qui n'enchante guère sur le continent européen si l'on considère qu'un port-franc qui est, avant tout, une zone d'activités logistiques extra-territoriale, peut être aussi considéré comme l'équivalent maritime d'un paradis fiscal avec une opacité autorisant tous les trafics y compris les plus illicites...
Ports-francs : un potentiel inexploité pour commercer dans un monde post-Brexit ? | Contrepoints
Bien entendu, le risque est grand de voir ces ports francs britanniques aspirer vers eux une part notable du trafic maritime qui remonte la Manche vers les grands ports maritimes du continent européen, à commencer par celui du Havre qui se trouve ainsi aux avant-postes.
C'est la raison pour laquelle le députés de la circonscription du Havre ont fait connaître la résolution suivante visant à la création de zones portuaires d'intérêt stratégique, notamment pour le grand port maritime du Havre...
En 2018, déjà, le président Hervé Morin avait proposé la création de zones franches en Normandie mais il s'était alors heurté au refus de la préfète de région...
Enfin, en novembre 2017, Hervé Morin proposait déjà de créer dans les ports normands des zones économiques spéciales dans le cadre d'une politique régionale portuaire ambitieuse dont les propositions avaient le mérite d'être plus concrètes et opérationnelles que l'actuel grand mécano de fusion portuaire de l'Axe Seine imposé par le gouvernement...
Archive de l'Etoile de Normandie:
Voir enfin le communiqué de presse des parlementaires havrais qui reprennent enfin cette idée à leur compte face à l'urgence de nous préparer à certaines conséquences maritimes du Brexit qu'on aura toujours un peu de mal à percevoir depuis un bureau parisien...