"Le Président, je le laisse à l'Elysée. Moi je n'achète que de l'AOP c'est un gage de qualité et je sais d'où vient le lait."
Depuis le 1er janvier 2021, par décision judiciaire, la mention commerciale "Camembert fabriqué en Normandie" est désormais illégale car elle n'était pas associée à un cahier des charges rigoureux obligeant les laiteries industrielles qui l'utilisaient à manipuler en Normandie du lait issue de vaches de préférence de race normande ayant brouté leur herbe et leur foin depuis une pâture ou une étable normande, cette appelation pouvait induire en erreur les consommateurs sachant que le camembert soumis aux exigences du cahier des charges de l'AOP/AOC se nomme, tout simplement: "Camembert de Normandie".
Comme les industriels veulent toujours le beurre, l'argent du beurre voire le c... de la crémière, le compromis d'intérêt général est tombé à l'eau de faire cohabiter dans une appelation élargie "Camembert de Normandie" et sous un cahier des charges commun validé par l'INAO les purs et durs du camembert fermier au lait cru voire bio et les laiteries industrielles manipulant du lait thermisé ou pasteurisé avec l'idée d'une montée générale en gamme et en qualité notamment en stimulant la renormandisation du cheptel des vaches laitières sur un périmètre d'AOC/AOP couvrant toute la Normandie administrative. La faute aux industriels qui ont cherché, a dessein, le diable nichant dans le moindre détail: en conséquence, les défenseurs du camembert au lait cru ont repris la guerre judiciaire contre l'appelation commerciale "fabriqué en Normandie" qui faisait le bonheur de certains industriels, guerre que ces derniers ont définitivement perdue!
Aujourd'hui, sur les linéaires des supermarchés, règne en conséquence le plus grand désordre dans les étiquettes, désordre qui doit réjouir les tyrosémiophiles...
On rappelle l'évidence: la seule appelation valable c'est "Camembert de Normandie".
Reportage des journalistes de Ouest-France dans un supermarché normand:
Depuis le 1er janvier 2021, les industriels laitiers n’ont plus le droit d’apposer cette mention sur les boîtes de camembert, trop proche de l’appellation d’origine protégée (AOP) « camembert de Normandie ». Pas toujours facile pour les clients de s’y retrouver.
Depuis le 1er janvier, le camembert ne peut plus être vendu avec l’étiquette « Fabriqué en Normandie ». Bon gré, mal gré, les industriels se mettent à la page. Dans les rayons des supermarchés, de nouvelles mentions ont vu le jour sur les boîtes du célèbre fromage normand : Lanquetot « fabriqué dans le pays d’Auge », Cœur de Lion « de la fromagerie de Ducey », camembert « d’Isigny ». Même s’il reste encore des étiquettes Président ou Lepetit « fabriqué en Normandie ».
Dans un avis du 9 juillet, la DGCCRF (répression des fraudes) avait pourtant été claire : « L’étiquetage des produits ne doit pas être de nature à induire en erreur le consommateur et de nature à usurper des appellations d’origine protégée. » Le camembert « fabriqué en Normandie » (environ 60 000 tonnes), au lait pasteurisé (mais sans obligation d’être normand), entraîne une concurrence déloyale pour le camembert AOP de Normandie (environ 6 000 tonnes), au lait cru, moulé à la louche.
L’échec d’une grande AOP, en janvier 2020, autorisant la pasteurisation du lait, a relancé la guerre des « étiquettes » vieille de trente ans. « Les industriels bénéficiaient d’une tolérance, pas d’un usage, mais maintenant, c’est fini », note un spécialiste du dossier. Les autorités françaises ont dû réagir sous la pression de l’Union européenne qui joue serré, dans ses négociations commerciales, pour faire reconnaître les AOP.
Le Syndicat normand des fabricants de camemberts (SNFC), qui rassemble les principaux industriels fromagers (Lactalis, Savencia, Isigny Sainte-Mère, Gillot…), ne s’avoue pas vaincu. Le 24 décembre, le Conseil d’État a certes rejeté leur demande visant à suspendre l’avis du 9 juillet, mais le syndicat des industriels compte poursuivre l’affaire, « afin que la justice tranche une polémique qui ne sert en rien les intérêts de la Normandie », dit le SNFC, dans un communiqué.
Les enjeux à l’exportation sont très importants pour les principaux acteurs comme Lactalis ou Savencia, où « la référence à la Normandie fait davantage vendre que celle relative au pays d’Auge, la Manche ou l’Orne », indique un spécialiste.
Amende de 1 500 € par étiquette
La DGCCRF ne compte pas mollir. « Des contrôles vont être réalisés pour vérifier la conformité de l’étiquetage des camemberts. » Chez Isigny, on indique « se conformer aux nouvelles obligations réglementaires », tout en les regrettant. Savencia et Lactalis refusent de s’exprimer.
Le risque d’un non-respect ? « Les services peuvent rédiger à l’encontre de l’entreprise un procès-verbal pour usurpation d’une indication géographique, en application de l’article 13 du règlement (UE) n° 1151/2012 relatif aux indications géographiques. » Soit une amende de 1 500 € par boîte de camembert (3 000 € en cas de récidive), pour les fabricants de camemberts non AOP ou les grandes et moyennes surfaces qui commercialisent des camemberts non AOP sous leur marque distributeur.
« Les services peuvent également enjoindre aux entreprises de se conformer aux obligations légales en fixant un délai, en application de l’article L. 521-1 du code de la consommation, indiquent les autorités. Un contrôle est fait à l’issue du délai fixé pour s’assurer de son respect. Le non-respect de l’injonction est passible de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 €. »
Dans le méandre des étiquettes en hypermarché
Pas facile de s’y retrouver. En dépit de la loi, naviguer dans le méandre des étiquettes de camembert relève du parcours d’obstacles. Prenez cet hypermarché du centre de Cherbourg (Manche). Pas moins d’une trentaine de références au rayon dédié au fromage emblématique. Sans compter cet autre rayonnage, dédié aux « produits normands », où le casse-tête reste identique (avec même de la… mimolette !).
Vraiment ? Il a dans la main un « fabriqué à Isigny ». On le questionne, on l’informe des différences. Surprise manifeste : « Je suis de plus en plus attentif à la notion d’AOP, mais là je n’avais pas vu. » Du coup, changement de pied. Et de fromage.
Le prix, une barrière
Il opte pour un AOP Graindorge, et observe : « C’est bien, cette nouvelle norme. Ça évite à n’importe qui de faire n’importe quoi. » Encore faut-il que les marchands jouent le jeu de la transparence. L’idéal serait de différencier dans les allées des grands distributeurs le bon grain de l’ivraie. Et que les acheteurs soient dûment informés des nuances subtiles dans lesquelles s’engouffrent les producteurs industriels.
Viviane, un peu perdue en l’absence de la marque dont elle est coutumière, se dit « bien au courant », en « amoureuse du camembert ». Mais en dépit d’un palais éduqué, peu importent l’étiquette et ses mentions. « Je sais que c’est important, que ça peut permettre aux producteurs traditionnels de se démarquer des industriels, dit-elle. Mais ce que je regarde, c’est uniquement le prix. Je suis obligée de faire attention à ce que j’achète, question de revenus. »
Lorsqu’elle tombe sur une promo, elle prend, « sans (se) préoccuper des labels ». Sylvie, qui arrive peu après, avoue choisir « au pouce, qu’il soit bien fait et je ne m’occupe pas des appellations. J’achète par habitude. En général du Président ».
Jocelyne pousse son chariot vers le rayon. S’exclame : « Le Président ? Je le laisse à l’Élysée. Moi, je n’achète que de l’AOP, c’est un gage de qualité et je sais d’où vient le lait. » Son choix s’est porté sur deux boîtes de Réo. Fabriqué à Lessay, dûment estampillé. « Je sais que c’est le meilleur. »
Yves tend l’oreille à la conversation. Pour lui, la question se situe ailleurs. Monsieur très âgé, il ne prend de toute façon que du camembert au lait pasteurisé et plâtreux : « J’évite le lait cru, pour des questions de sécurité alimentaire. » Peur des germes que pourrait contenir un lait non surchauffé. Et en bon Normand, ne participant pas aux contrôles sanitaires effectués en laiterie, il ne se fie qu’à sa méfiance.
On y trouve aussi bien du « fabriqué en Normandie » que du « fabriqué à Isigny » ou ailleurs, de l’AOP et du tout-venant. Patrick vient de se servir. Il prétend « être au courant des différences. Avec le temps et comme c’est moi qui fais les courses, j’ai acquis un peu d’expérience », assure-t-il.
Commentaire de Florestan:
L'infographie ci-dessus nous apprend que sous ses différentes marques, le groupe Lactalis fabrique 55% des 6000 tonnes annuels du Camembert AOP de Normandie: l'intérêt d'une AOP/AOC "Camembert de Normandie" élargie avec un cahier des charges exigeant encadrant la production principale, les 60000 tonnes annuelles qui ne bénéficient donc plus de la mention commerciale "fabriqué en Normandie", était de monter en gamme et en qualité l'ensemble de la production de camembert normand et donc de valoriser l'ensemble de la filière laitière normande. Les industriels qui savent pourtant jouer sur plusieurs tableaux pour des raisons commerciales n'ont pas souhaité accroître leurs contraintes au risque d'acheter leur lait... plus cher!
Cet objectif de valoriser le lait normand reste urgent, il est même fondamental: d'où notre proposition de lancer le chantier de création d'une AOP/AOC "Lait de Normandie".