Patrimoine normand en péril/26: A Bernay, les façades historiques sont défigurées par le numérique!
Voilà un nouvel exemple concret qui démontre jusqu'à la caricature la FAILLITE du service public de la protection du patrimoine officiellement dans les mains des fonctionnaires bureaucrates du ministère de la Culture et de ses directions régionales de l'action culturelle (DRAC).
En principe, il revient aux Architectes des Bâtiments de France (ABF) d'exercer une action préventive et de conseil pour encadrer et cadrer les initiatives pas toujours heureuses de la société civile quand elle agit sur le patrimoine bâti dans un contexte de grande médiocrité de la culture esthétique, artistique et historique chez nombre de décideurs publics ou privés dans le domaine du BTP...
Et compte tenu de réformes récentes (la loi dite "ELAN") et du manque criant de moyens, les ABF ne jouent plus leur rôle principal et s'ils sont encore un peu actifs, ils prennent trop souvent le parti peu risqué d'être faibles avec les forts (par exemple, laisser faire un gros promoteur immobilier qui arase et bétonne) tout en étant forts avec les faibles (emmerder un propriétaire particulier sur la couleur d'une fenêtre...)
Exemple à Bernay charmante petite ville normande qui a eu la chance, insigne, d'échapper aux bombes de 1944 et donc de garder un patrimoine architectural urbain exceptionnel. Cette ville bénéficie encore du label "ville d'art et d'histoire". Mais elle pourrait bien le perdre...
L'arrivée de la fibre optique ne fait pas que des heureux à Bernay (Eure), où des défenseurs du patrimoine s'inquiètent des dégâts que les "poseurs de fibre" font sur les façades.
Ils ne sont certainement pas les seuls responsables mais force est de constater que les installateurs de fibre optique chez les particuliers ou entreprises de la région de Bernay (Eure) n’arrangent rien à l’affaire. Ils ne s’embarrassent guère de préoccupations esthétiques en installant leurs boîtiers sur les façades de bâtiments. Cela la fout mal, dans une ville Art et histoire comme Bernay.
Vite fait, mal fait
En sortant de l’Eveil normand, 31, rue Thiers à Bernay, il n’y a qu’à faire le tour du pâté de maisons pour constater l’étendue des dégâts. Des cavaliers et fils électriques blancs ou/et de couleurs ornent quantité de façades aux poutres foncées. Alors que sur d’autres, on les a au moins teintées aux couleurs des poutres et colombages de ces belles façades, rien n’a été fait pour tenter de cacher ces dernières.
Il n’est pas besoin d’être expert pour voir qu’il s’agit là de travail vite fait, mal fait et pour la plupart, récemment fait. Car si certains outrages datent un peu, d’autres ont été constatés lors de l’installation, un peu partout, de la fibre optique.
Deux hommes en colère
Ceci met très en colère Gilles Marié, président de l’association pour la réhabilitation du petit patrimoine de Bernay.
« Je n'en veux pas aux ouvriers qui travaillent sur l'installation de la fibre car je sais qu'ils le font dans des conditions difficiles mais j'en veux davantage à ceux qui les emploient. D'autre part je regrette qu'ils soient souvent difficiles à identifier car les grands opérateurs sous-traitent et quand il s'agit de demander des comptes, ils sont souvent injoignables, voire introuvables. »
Gilles Marié Président des Amis du petit patrimoine de Bernay
En effet les grands opérateurs « offrent » souvent (nul doute qu’ils récupèrent l’argent ailleurs, dans leurs forfaits) l’installation des boîtiers « Fiber to the home » (la fibre à domicile) à leurs clients qui passent à la fibre mais sous-traitent effectivement pour la faire installer.
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C’est légal, oui mais...
Un système que dénonce Pascal Didtsch, vice-président de l’association. Selon lui:
« C'est toujours pareil, on délègue un service public puis on le privatise et comme il y a toujours course à la rentabilité, on fait n'importe quoi. »
Pascal Didtsch
Vice-Président des Amis du petit patrimoine de Bernay
Il est vrai que les poseurs de fibre enchaînent les rendez-vous et découvrent sur place les contraintes liées aux bâtiments. D’autre part la loi Elan du 10 janvier 2019 dite « de simplification du déploiement des réseaux de communication électronique à très haute capacité » ayant limité les servitudes sur les accrochages, les « poseurs de fibre » n’agissent pas illégalement ; mais ce qui pourrait leur être demandé, c’est un peu plus de soin et de goût.
Ceci dit, que faire ? « Bernay étant une jolie ville d’art et histoire, on aimerait que les citoyens s’emparent du sujet », répondent de concert Gilles Marié et Pascal Didtsch. Qu’ils « fassent pression » en quelque sorte.
Comment ? C’est un peu compliqué. Mais certains opérateurs étant par ailleurs mécènes pour la culture ou/et le patrimoine, leur reprocher leur désinvolture dans les faits pourrait être une première étape. S’ils veulent faire à ce propos un petit tour dans Bernay pour constater les dégâts, les membres de l’association pour la réhabilitation du petit patrimoine de la ville veulent bien leur servir de guides.