Le Havre (Seine-Maritime)
De notre correspondant régional
Imaginée par un président de la République rouennais, François Hollande, et mise en musique par un ministre de l’intérieur (devenu ensuite premier ministre) et ancien maire de Cherbourg, Bernard Cazeneuve, la réunification ne pouvait que réussir.
De fait, elle s’est imposée instantanément : lors d’un sondage datant de 2017 (1), le mariage consommé le 31 décembre 2015 entre la Basse- et la Haute-Normandie était déjà plébiscité par 73 % des personnes interrogées. « Ces deux régions, c’était pas comprenable, comme on dit chez moi dans la Manche », s’amuse Jean-Jacques Lerosier, explorateur infatigable de sa région et auteur d’un récent ouvrage intitulé Je suis normand mais je me soigne (Héliopoles), guide savoureux et précis pour les curieux d’un territoire pas si connu du reste de la France.
Pas « comprenable » en effet de séparer depuis des siècles les deux rives de la Seine. Rive droite-rive gauche, est-ouest, nord-sud, les géographes y ont longtemps perdu leur latin. Et l’unification fait aujourd’hui le bonheur d’Arnaud Brennetot, professeur de géographie politique à l’université de Rouen-Normandie. « Mettez bien le suffixe Normandie, j’y tiens », précise l’universitaire, qui parle « de consensus bienveillant ».
« Les Normands y étaient favorables depuis longtemps, mais pas les têtes d’affiche, le Haut-Normand Jean Lecanuet et le Bas-Normand Michel d’Ornano, qui n’ont rien fait pour arrondir les angles de peur de perdre du pouvoir, poursuit le géographe. Mais tout cela est dépassé : à quelques originaux près, vous ne trouverez plus personne pour regretter la situation d’avant. » Et tant pis, si Rouen, de loin la métropole la plus importante, aussi grosse que Caen et Le Havre réunies, a perdu la guerre politique : le siège de la région à Caen, Rouen doit se contenter de la préfecture de région regroupant les services de l’État.
Arnaud Brennetot est beau joueur, car dans la guéguerre ancestrale entre Rouen et Caen, parfois arbitrée par Le Havre, son secteur a perdu au change, avec un rectorat réunifié à Caen. Et il n’ignore pas que l’éducation est un des principaux sujets d’inquiétude en Normandie. La région manque d’établissements supérieurs, qui relèvent de la compétence régionale, comme la gestion des lycées. Les écoles d’ingénieurs sont peu nombreuses, un comble dans une région industrielle souffrant d’un exode massif de ses jeunes diplômés. Et donc d’un déclin démographique.
Les services régionaux n’ont pas été dédoublés comme dans d’autres régions, mais au contraire concentrés dans un seul endroit : en gros la culture, l’éducation et la politique à Caen, l’économie à Rouen, et le portuaire au Havre. Ce qui a impliqué une gigantesque réorganisation, puisque personne n’a voulu bouger. « Moins de 40 personnes sur un total de 1 300 agents des sites administratifs ont accepté de déménager. Plus de la moitié de l’effectif a dû changer de poste du fait de l’évolution de l’organisation », explique Frédéric Ollivier, directeur général des services à la région et principal ordonnateur du chamboule-tout.
Beaucoup se sont aussi résignés à de laborieux déplacements domicile-travail, en… train, le vrai sujet de mécontentement des Normands. « La réunification a permis un effort de sauvetage du ferroviaire qu’il s’agisse du matériel ou de l’infrastructure, plaide Frédéric Ollivier. Ces dernières semaines, il y a une amélioration forte de la régularité et de la ponctualité. » Trente-quatre trains tout neufs ont été mis en service ces dernières semaines sur les 67 commandés à l’entreprise canadienne Bombardier, mais la question des retards est loin d’être résolue. « Le train est le symbole du statut particulier de notre région qui vit dans l’interdépendance avec l’Île-de-France,les retards venant surtout des embouteillages à Saint-Lazare, reprend le géographe Arnaud Brennetot. L’avenir de la Normandie est donc aussi entre les mains du… président de la SNCF. »
(1) Sondage Ifop-Le Point, juillet 2017.
Commentaire de Florestan:
L'article nous parle des deux grands défis à relever lors de la prochaine mandature normande pour redonner un avenir à notre région qui a un potentiel d'intérêt national et international pour la France. Ces deux grands défis symbolisent à eux seuls le PASSIF de la division normande de 1956 à 2015:
1) Surmonter le retard socio-scolaire normand et le retard éducatif normand au niveau supérieur: cela suppose une attractivité urbaine et métropolitaine que la Normandie n'a toujours pas assez car les grands élus concernés à Caen, Rouen et Le Havre refusent de se faire vacciner contre le localisme.
2) Rattrapper le retard ferroviaire normand en raison de trente années de sous-investissement de la part de la Sncf et aussi parce que la géographie normande n'est pas adaptée au modèle ferroviaire dominant en France, à savoir le tout LGV/TGV: il y a une originalité du cas normand qui n'a pas été correctement défendu et promu par des élus normands médiocres et localistes en raison de la division régionale.
Ces deux points noirs ont été clairement identifiés par Hervé Morin, le président normand sortant pour construire un projet d'approfondissement et de consolidation de l'unité normande après 2021.