myopie du borgne: archéologie mentale de la néo-région Grand Ouest
Voici un édito de Florestan d'Hudimesnil intitulé "myopie du borgne: archéologie mentale de la néo-région Grand Ouest".
En France, implicitement, on a dans notre géographie mentale la
géographie qu'impose le pouvoir: cartes et manuels scolaires; cartes
des réseaux étoilés et centralisés des transports; cartes publiées dans
les infographies de la presse... etc
C'est, bien entendu, le
résultat de l'effacement des grandes entités "géohistoriques"
constitutives de la France, c'est à dire les "provinces" remplacées par
les provinces plus petites et égalisées de l'empire métropolitain
parisien depuis 1791. Depuis les années 1930, l'Etat central parisien
prenant conscience qu'il ne pourrait pas planifier et aménager un
désert, commenca à imaginer un regroupement des départements dans des
néo- régions "technocratiques"
Une de ces néo-régions les plus
fortement imprimées dans nos esprits c'est la néo-région "Grand Ouest"
dont la "légitimité" mêle de façon assez confuse des éléments
d'histoire et des éléments de géopolitique urbaine ou de géographie
physique...
1°La région "Grand ouest" a pour base
l'idée(contestable car idéologique) qu'il y aurait une unité
"géo-historique" engendrée naturellement par le granit du massif
armoricain: le granit aurait engendré les bocages et des populations
soumises à un catholicisme réactionnaire alors que les plaines
calcaires du "bassin parisien" auraient mis au monde des villageois
détachés de la religion et attachés à des libertés communales
pré-républicaines...
C'est une caricature qui a fait flores au début
du XXème siècle et qui a été dénoncée par Pierre Vidal de la
Blache,lui-même, le grand géographe français fondateur de la géographie
humaine: s'il y a des déterminismes du milieu, avec les hommes ils ne
sont jamais aussi stricts qu'avec les animaux...
Néanmoins,
cette caricature traine implicitement encore dans l'analyse de la
géographie électorale (grand ouest= bastion catholique armoricain de
droite: affirmation invalidée par les derniers résultats électoraux...).
Certes,
il peut exister une "mentalité bocaine" différente de celle des plats
pays et on peut toujours faire remarquer que la zone de diffusion de
feu "Ouest Eclair" et qui est celle du quotidien "Ouest France"
corresponde à ce "grand ouest" armoricain: mais il s'agit là plus du
résultat d'un a priori. Une certaine géographie scolaire ayant fait son
oeuvre: le granit armoricain ça fait pousser des curés anti
républicains et le calcaire des instituteurs laïcs... Sur ce dernier
point et pour trancher définitivement ce débat oiseux, il me paraît
plus éclairant et plus intelligent d'interroger la carte de diffusion
du catholicisme janséniste au XVIIIe siècle pour expliquer le
détachement précoce des populations rurales du bassin parisien vis à
vis du catholicisme et de laisser le granit ou le calcaire à leur
place, c'est à dire, dans le sous-sol!!!
2° Donner un espace à la ville de Nantes
Autre
origine à la néo-région "grand ouest": donner un espace à la ville de
Nantes. Nantes a été choisie par l'Etat central discrétionnaire dans
les années 1950 pour être l'une des métropoles d'équilibre face à la
grosse tête parisienne afin de sortir la province française du
désert... Ce choix a nécessité la création d'une néo-région a part
entière "les pays de Loire" à partir d'un démembrement de l'entité
"géohistorique" bretonne et d'un regroupement des
départements-provinces du Val de Loire. Nantes est donc pensé par les
technocrates parisiens comme un carrefour irriguant un vaste espace
correspondant au "Grand ouest" mais sans appartenir vraiment à un
territoire.
On touche là à une question sensible qui divise
encore les géographes: doit-on parler d'espace ou de territoires? Pour
moi, c'est clair! je parle de territoires car il y a des gens qui
vivent et travaillent et qui ont des représentations mentales de leurs
territoires (identité). L'espace fait référence à la carte, c'est à
dire l'instrument de la domination géographique d'un pouvoir sur les
territoires, ce qui engendre le problème suivant: dans la notion de
territoire, la vision des choses est horizontale, c'est à dire, au
niveau du plancher des vaches et des gens qui vivent avec... Tandis
qu'avec la notion d'espace, la vision des choses est verticale: elle
correspond aux territoires que l'on verrait d'avion à 3000 mètres
d'altitude (ce qui correspond à peu près à l'échelle d'une carte d'Etat
major...). Avec leurs cartes, les aménageurs technocrates tracent des
lignes, des cercles et font des gros points rouges: ils pensent
maitriser un espace et l'aménager... Ils ne font que bouleverser des
territoires...
C'est sur la base de cette erreur méthodologique
que Nantes, ville sans territoire affirmé ou clairement identifié
(suite à l'effacement de l'identité bretonne ligérienne dans le cadre
départementaliste: voir à ce sujet le très beau live de Julien GRACQ,
"Nantes, la forme d'une ville") a été choisie par les technocrates
parisiens pour être la capitale-carrefour de l'espace "grand ouest"
Pour illustrer : La technocratie a encore de beaux jours en France... : elle croit encore que les Préfets se déplacent à cheval et que le département présente encore une utilité pour que le Préfet à cheval puisse s'y déplacer en une journée ! (note d'humour de Yuca de Taillefer).
Dans
cette vision géographique, inutile de dire que se sont les territoires
pourtant issus d'une très longue histoire "géo-historique" qui sont les
grands perdants:
- Une Bretagne amputée
- Un bric à brac "ligérien" allant du Maine au Poitou et coupant en deux le Val de Loire
- Une Normandie divisée en deux sous prétexte que l'une s'étend sur le massif armoricain et l'autre fait partie du bassin parisien
Le
problème, c'est que la décentralisation des années 1980, la montée en
puissance d'un pouvoir régional et l'accroissement de la concurrence
territoriale concrète de petits paris de province font que la vision
spatiale et technocratique devient de plus inapte et inepte à penser
les grands défis d'une fracture géographique qui s'approfondit entre
territoires forts et territoires faibles: pour la "basse" Normandie,
morceau occidental et armoricain de l'entité "géo-historique" normande,
le grand ouest Nantais risque d'être d'un plus grand esclavage que la
domination parisienne qui s'exercait sur tous les départements
français...
Pourtant, tous ou presque, s'accordent chez les
politiques qu'un territoire clairement défini et fortement identifié
est l'une des bases de la compétitivité économique: le problème est de
savoir encore où on habite. En 1994, selon un sondage commandé par le
CR de "basse" Normandie alors présidé par R. Garrec, près de 34% des
personnes sondées étaient incapables de nommer exactement le territoire
où elles habitaient ou d'en définir précisément les limites...
Voilà
donc où nous en sommes aujourd'hui: la géographie mentale des Français
est brouillée par les espaces aménagées par les aménageurs et les
néo-régions des technocrates. Commune, villes et départements sortent à
peine mieux dudit brouillard: mais pour en sortir complétement laissons
l'espace là où il se trouve, c'est à dire dans l'Espace et
réapproprions nos territoires et nos vieilles identités
"géo-historiques", c'est à dire nos communes villes et départements de
Bretagne, NORMANDIE, Maine, Anjou, Touraine, Poitou, Berry etc...
Florestan d'Hudimesnil.