Au HAVRE dès 1892 : une ancêtre des locomotives diesel/électrique et du Spacetrain
Trop de Normands intéressés par les procédés de transport collectif allaient manquer la parution, dans le quotidien Paris-Normandie, d'une aventure historique ayant eu pour siège Le Havre et la ligne ferroviaire reliant cette ville à Paris.
Afin de parer à cette situation, voici le compte-rendu de cette aventure rapporté par le quotidien hybride, comme l'engin dont il est question :
Quand La Fusée s’élança du Havre !
Paris-Normandie Publié le 30/04/2019 à 04:57 Mis à jour le 30/04/2019 à 04:57
https://www.paris-normandie.fr/actualites/societe/quand-la-fusee-s-elanca-du-havre--FK14969815
C’est au Havre qu’en 1892, la première motrice vapeur/électrique ferroviaire baptisée La Fusée voit le jour. Son inventeur, Jean-Jacques Heilmann, ingénieur originaire de Mulhouse, construit alors une usine à Graville pour y réaliser ces machines révolutionnaires.
La toute première Fusée électrique au carénage avant en bois
Jean-Jacques Heilmann (1853-1922), fils de Jean-Jacques Heilmann (1822-1859) et petit-fils de Josué Heilman (1796-1848) se doit d’honorer le prénom partagé avec son père et le nom de toute une famille de négociants, d’inventeurs, de créateurs et de bourgmestres qui se sont taillé une belle réputation dans la ville de Mulhouse. C’est au Havre, que Jean-Jacques fils s’en acquitte avec, en prime, les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur attribués pour avoir mis au point la première Fusée électrique.
Heilmann et la Fusée électrique en cours de construction
Pour la construction de ce prototype de locomotive hybride thermo-électrique (un moteur à vapeur couplé à une dynamo dont l’électricité active 8 moteurs répartis sur 2 boggies), les plans sont confiés aux Chantiers de la Méditerranée (1892). Les premiers essais de cette loco à carénage en bois se déroulent à proximité, sur le champ de tir du Hoc (21 août 1893). Plus tard, c’est sur la ligne Le Havre-Beuzeville exploitée par la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest que la Fusée attelée à un train de 100 tonnes affronte, entre janvier et février 1894, les rampes à petite et moyenne vitesse puis, à la vitesse des essais officiels : montant à 70 km/h et dévalant à 100 km/h, La Fusée dépasse les performances des machines à vapeur traditionnelles. Elle peut même pousser des pointes de 110 à 120 km/h. Envoyée au dépôt de Mantes, elle poursuit d’autres essais entre Mantes-Embranchement et Mantes-Station. Elle part ensuite pour Paris où elle tracte alors un convoi de plusieurs wagons. Enfin, le 9 mai 1894, a lieu l’inauguration de La Fusée électrique. Elle parcourt la ligne Paris-Mantes à la vitesse moyenne de 90 km/h. Ce succès entraîne la Compagnie de l’Ouest à commander deux machines encore plus puissantes : la 8001 et la 8002.
Dans les gènes
L’ingénieur Jean-Jacques Heilmann fonde alors la Société Industrielle des Moteurs Électriques et construit à Graville, en 1896, une usine (encore visible aujourd’hui). Trois cents salariés sont embauchés pour la fabrication en série de ces nouveaux modèles de traction vapeur/électricité. Près de son établissement, un autre Alsacien, Lazare Weiller, entreprend, à la même date, l’installation des Tréfileries du Havre partageant un même optimisme, une même passion pour l’électricité et une même nostalgie pour leur terre natale occupée par l’Allemagne. L’un et l’autre ont en commun la recherche industrielle, les brevets et les productions.
Le jeune Jean-Jacques, orphelin à 6 ans, en a fait du chemin. Il sait de son père qu’il fut un grand photographe à l’Exposition Universelle de 1855. À Pau, il connaît son imprimerie, son École de photographie, son procédé d’agrandissement de négatifs inventé et breveté. Mais c’est de son grand-père Josué que lui vient la fièvre inventive. Celui-ci, bien introduit à la mécanique des filatures Tissot et Rey, a suivi les cours du Conservatoire des Arts et Métiers et mis au point une filature de 10 000 broches à Thann. Puis il a perfectionné pendant vingt ans les métiers du tissage et déposé quantité de brevets : la machine à faire des bobines, le métier à broder à 20 aiguilles, le métier à tisser vertical, la machine à auner et plier les tissus, les métiers à tisser le florence, le satin, le velours et la soie... pour finir par la peigneuse mécanique, son Graal, avec le soutien de la Compagnie Schlumberger. Josué crée sa Société Industrielle et obtient la Légion d’honneur. Jean-Jacques vient d’accéder à l’échelon de son aïeul.
Fin de l’aventure
La Fusée électrique continue ses navettes entre Paris-Mantes par Argenteuil. Au Havre, on s’active sur les 8001 et 8002. En septembre 1897, ont lieu des essais du premier modèle entre le Champ de Mars et Achères. Le 12 novembre 1897, les essais officiels testent celui-ci tractant 13 wagons entre Paris et Mantes. La presse française et internationale est présente. Le New York Times est là. Avec un carénage métallique d’avant-garde, une proue annonçant l’avant des futures BB (1960), la belle est dotée de 2 dynamos, d’une vapeur de 1360 ch, et semble filer à vive allure vers d’autres contrats... Fin de l’Histoire ! En 1898, la Cie de l’Ouest renonce aux 8001 et 8002 : leur prix dépasse celui des machines classiques, la consommation de charbon, le coût d’entretien, l’électricien en plus du mécanicien et du chauffeur.
Les essais entre le Champ de Mars et Achères de la version fusée 8001 au carénage métallique
Jean-Jacques Heilmann, ulcéré, vend son usine à Westinghouse. Il s’en retourne vers la recherche : les roues indépendantes, le changement de vitesse progressif, le dispositif de commande des roues avant des automobiles, le poids lourd sans essieu, sans pneumatique, sans caoutchouc avec suspension compound à l’intérieur des roues, la turbine à explosion (ancêtre des réacteurs)...
Eh oui ! Bien avant la traction diesel/électrique des trains et les automobiles hybrides actuelles, il y a eu la traction vapeur/électrique... Et les véhicules reposant sur ce procédé atteignaient déjà un niveau de performance remarquable... On peut même se demander si l'évaluation avantages/inconvénients par la Cie des chemins de fer de l'Ouest a été objective... ou, à tout le moins, si elle n'a pas été trop péremptoire...