Si les commémorations du 70e anniversaire du D-Day soulèvent l'enthousiasme de toute une région, elles font aussi monter la grogne de nombreux riverains. Le dispositif de circulation très restreinte prévu pour le 6 juin dans tout le département entrave les déplacements des travailleurs, malgré la mise en place de laissez-passer pour eux et pour les résidents. « C'est bien beau les hommages et les frais au gratin mais pas au détriment du boulot des gens qui ne peuvent pas se permettre de chômer en ces temps de crise », rage Henri, entrepreneur de la région.
La ZCR (zone de circulation régulée) concerne 145 communes qui s'étendent d'Ouistreham au département de la Manche. Un périmètre dans lequel certains axes seront totalement fermés de 6 heures à 18 heures, 14h30 pour d'autres. Comme la N13 et la 4 voies Caen-Ouistreham ou encore le périphérique nord, entre la porte de Bretagne et la porte de Paris, qui sera fermé dans les deux sens. Quant aux aéroports de Carpiquet et de Deauville, ils seront fermés à tout vol commercial. Camions de plus 7,5 tonnes, engins agricoles mais aussi bateaux au large des sites choisis sont également interdits de séjour dans le Calvados le jour J. Enfin, les transports en commun seront maintenus mais « forcément impactés », concède la préfecture du Calvados, à Caen. Idem pour les transports scolaires dont «des perturbations sont à prévoir». La gare routière de Caen, elle, sera même déplacée.
5500 gendarmes, 2000 policiers et 500 militaires
« Démesuré » pour certains, le dispositif a un objectif: « acheminer à temps et dans de bonnes conditions 28.000 invités », rappelle le sous-préfet de Bayeux, Benoît Lemaire, en charge de ce dispositif. Outre les questions de sécurité liées à la présence de nombreux chefs d'État et personnalités, les autorités veulent surtout éviter un accident de la route qui compliquerait très vite la circulation. Les événements vont mobiliser pas moins de 5500 gendarmes, 2000 policiers et 500 militaires, indique la préfecture.
Le « chamboulement » met les entreprises et les salariés sur les dents, témoigne Christian, commercial dans la région. « Leurs impératifs ne s'arrêtent pas avec les cérémonies, peste-t-il. Le chiffre d'affaires d'une journée, les rendez-vous avec la clientèle, ça compte pour tout le mois! » Pour Chantal, dans l'entreprise familiale de livraison de fioul, « c'est la galère! ». Le transport des produits dangereux est particulièrement proscrit par le dispositif. Toutes les livraisons du 6 juin ont donc été « gelées ». Benjamin, lui, a pu s'organiser: il fera du télétravail ce jour-là. Informaticien, il habite près de Caen mais travaille à Saint-Lô, à une soixantaine de kilomètres. « Pour moi, c'est un moindre mal, dit-il, mais c'est un vrai souci pour beaucoup d'autres qui ne peuvent pas avoir cette souplesse. Il faut se dire que c'est un dispositif exceptionnel, qui apportera peut-être un bénéfice à terme pour l'image de la région », positive-t-il.
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REPORTAGE - Le préfet de Basse-Normandie a clairement déconseillé aux habitants de venir assister aux cérémonies officielles du 70e anniversaire du débarquement.
Envoyée spéciale
«C'est marrant, j'ai l'impression de vivre en zone occupée, alors qu'ils étaient nos libérateurs. Partout dans les rues il y a des soldats. Devant l'école de ma fille, il y a même un campement d'Anglais», sourit Cécile, jeune trentenaire normande. Impossible en effet de se promener dans les rues de Caen ce jeudi sans croiser un escadron militaire, une jeep, ou qu'un soldat américain ou britannique vous salue d'un «hello» retentissant. Une atmosphère curieuse qui amuserait les habitants si elle n'était pas accompagnée d'une foule de désagréments. Pour les habitants de Caen, Ouistreham et alentours, les commémorations du 70e anniversaire du débarquement sont plutôt synonymes de galère. Avant l'arrivée des convois officiels, les routes sont déjà surchargées dans les zones où la circulation est autorisée. Vendredi, les embouteillages promettent d'être mémorables: le convoi de Barack Obama et de ses collaborateurs occupe à lui seul trois kilomètres de route.
«Comme si on faisait une grande fête chez vous sans vous inviter»
Mais il y a plus que la galère, que les Normands réputés flegmatiques et taiseux comme leurs voisins d'en face Britanniques prennent avec philosophie. Il y a le sentiment d'être exclus. «C'est comme si on faisait une grand fête chez vous sans vous inviter», résume Jérôme, sous le soleil, devant l'église de Ouistreham. Très peu sont en effet conviés aux cérémonies officielles, et le préfet de Basse-Normandie leur a carrément déconseillé d'y venir. Pour ceux qui tenteraient quand même d'y assister, la préfecture a distribué des dépliants informatifs. Il y est notamment indiqué de «prendre un bon petit déjeuner, car manger un sandwich dans un cimetière ne sera pas apprécié», raconte Yvette, bientôt 70 ans et autant de temps passé en Normandie. «Ils nous prennent pour des rustres? Qui va s'imaginer ramener son sandwich au camembert pendant une commémoration?» Patrick se souvient que les cérémonies du 40e anniversaire du débarquement étaient elles nettement plus populaires. «La foule défilait dans les rues de Caen, même la reine était venue à la rencontre de la population.» S'ils ne sont pas conviés à la fête, il convient de rappeler que les habitants ne sont pas complètement oubliés. François Hollande doit prononcer vendredi matin à Caen un discours pour rendre hommage aux 20.000 victimes civiles normandes, mortes lors des batailles qui ont suivi le débarquement. C'est la première fois qu'un hommage aussi explicite leur est rendu lors d'une commémoration.