Gilets Jaunes: LE LABORATOIRE POLITIQUE NORMAND (suite...)
Voilà! C'est fait! Emmanuel Macron, le chef de l'Etat et ses gens (une tablée de 30 personnes à nourrir, le soir après coup, dans un petit restaurant de Vernon avant de regagner Paris) ont fait leur grand numéro: près de sept heures "à portée d'engueulades" devant quelques 600 maires Normands confinés dans un gymnase à Grand-Bourgtheroulde, commune nouvelle du Roumois transformée en camp retranché...
A l'extérieur, assez loin, le peuple en gilets jaunes s'était massé sur les rond-points tandis que ceux de Bourgtheroulde étaient en ville: le matin, réception pour se faire entendre, écouter, laisser braire... L'après midi, ce fut plutôt gaz lacrymogène, bousculade de personnes âgées et téléphones portables jetés à l'eau par les forces de l'ordre.
Pendant ce temps-là, devant ce que nous avons nommé une "assemblée provinciale" normande forte de quelques 600 maires, le Monarc a écouté les doléances des élus de la ruralité normande. Mais, comme vous nous l'avez déjà ici-même écrit, ce fut long et l'assemblée a paru bien placide, à l'instar de nos vaches préférées. C'est donc vrai alors: les Normands sont "violemment modérés", du moins leurs élus car, au dehors, la colère est de mise... Sans modération et c'est bien là le problème.
Suite à cette rencontre qui restera dans l'Histoire si cette dernière continue de s'écrire au rythme suivi depuis plus de deux mois maintenant, on lira le compte-rendu suivant proposé par Paris-Normandie (Boris Maslard, Franck Boitelle)
Face à 600 élus normands réunis dans l’Eure à Grand-Bourgtheroulde, Emmanuel Macron a lancé mardi le grand débat national. Élus de proximité, les maires ont évoqué leur quotidien et les attentes de la population, porteuse d’un gilet jaune ou pas, dans un exercice de vérité qui se voulait sans « tabou ».
Applaudissements timides. Dans ce gymnase de Grand-Bourgtheroulde promu rampe de lancement du grand débat national voulu par Emmanuel Macron, les maires accueillent le chef de l’État avec la réserve de ceux à qui on a beaucoup promis sans toujours tenir, sous le regard exercé de Sébastien Lecornu prompt à identifier les bons et les mauvais élèves. Ministre aux Collectivités territoriales, il sait qu’il joue, à 32 ans, une partition majeure de sa déjà longue carrière politique. Et que s’il a soufflé le choix de l’Eure, dont il reste le patron en arrière-plan de Pascal Lehongre, avec une halte à Gasny et une grand-messe dans la circonscription de Bruno Questel, un signe de mauvaise volonté de la part des maires soufflerait un coup de froid sur ses ambitions.
Figure tutélaire, Bruno Le Maire l’accompagne dans cet exercice à risque, dans un territoire qu’il connaît lui aussi parfaitement, et où il garde un fort ancrage local. Quant à Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État à la Transition écologique et copilote de la consultation, elle veille, elle aussi, au grain après avoir tenté de déminer le terrain auprès des gilets jaunes rassemblés sur la place de la mairie, en recevant deux délégations pour des moments un peu crispés d’échanges. Au premier rang, Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires, se tient également prête à intervenir.
Dehors, la situation se tend avec les forces de l’ordre déployées en nombre. Bousculade et gaz lacrymogène. À l’intérieur, les élus ont pris place sur des chaises sagement alignées en carré autour d’un espace dédié à l’animation de la rencontre. L’installation se veut conviviale et propice à un échange aussi « libre » et « détendu » que possible. Sans « tabou » ni « totem », sera-t-il annoncé. Mais rien n’a évidemment été laissé au hasard pour ce rendez-vous chargé de renouer un dialogue entre le chef de l’État et la population, et surtout d’y impliquer les maires, élus de proximité jugés les plus dignes de confiance.
Tous, ou presque, arborent leur écharpe, et une forêt tricolore se dresse soudainement. Mais certains gardent leurs mains dans le dos lorsque le président fait son entrée. Trop de sentiment d’avoir été oubliés, négligés sinon méprisés par un gouvernement jugé éloigné de leurs préoccupations, de leur quotidien « à portée d’engueulade », de leurs difficultés à répondre aux attentes de leurs administrés en matière de services publics, de santé, de mobilité et d’emploi. Trop de frustration de voir leurs prérogatives leur échapper au profit de grandes collectivités, d’être noyés dans l’administratif, la loi NOTRe, les réformes incessantes, les responsabilités qui leur échoient sans explication ni financement. Trop de découragement...
« Quand est-ce qu’on arrêtera la machine à broyer la proximité ? », lance Jean-Paul Legendre, président des maires de l’Eure, qui fera tout d’abord part de son « trouble » quant à ce que le gouvernement attend des élus locaux dans le cadre de ce grand débat. « Ma commune est utile », « Ayez confiance en la ruralité », interviennent à leur tour Laurance Bussière et Jean-François Lemesle, présidents des maires ruraux de l’Eure et de la Seine-Maritime, venus défendre la « richesse » du maillage territorial, et dire leur volonté d’être des « facilitateurs » dans la période critique que traverse le pays.
« On veut aider à pacifier », dira même Anne-Marie Cousin, maire de Torigni-sur-Vire, venue avec quelques élus de la Manche participer à la rencontre, trop heureuse, comme l’avait fait remarquer une homologue euroise que « les maires soient remis au cœur du débat, parce que nous avions jusqu’à présent le sentiment d’être malmenés ». Des applaudissements nourris saluent cette saillie. Le débat est enfin lancé.
Suivent une vingtaine d’interventions sur une multitude de sujets : éloignement des services publics, réforme territoriale et transfert de compétences, statut des élus, démographie médicale, finances locales et dotations de l’État, mobilité, justice sociale, introduction d’une dose de proportionnelle, mise à disposition des cartes d’identité et des passeports dans les mairies... En deux longues salves de questions, les élus épuisent la longue liste d’interrogations, mais aussi de propositions tirées de leur quotidien et bien souvent de leurs échanges avec leurs administrés, porteurs d’un gilet jaune ou pas.
Emmanuel Macron écoute. Prend des notes. Répond point par point et parfois lance un coup de griffe, témoignant d’une pugnacité à peine entamée par les coups de boutoir de ces dernières semaines. « J’ai tout mon temps », dit-il, réaffirmant sa volonté de « construire des solutions pour le pays », dans le refus de « la violence et de la démagogie ».
L’assemblée acquiesce, apprécie parfois sans trop s’engager. Consciente qu’il lui faudra, au lendemain de cet exercice de vérité qui a parfois tourné à la séance de calinothérapie, retrouver une mairie où ils se sentent souvent bien seuls, face à une tâche immense pour laquelle ils ne disposent pas de tous les outils. Pour résumer, la réalité du terrain.
Inflexible sur l’ISF, ferme sur les réformes qui ont constitué les marqueurs de son programme, Emmanuel Macron a néanmoins montré des signes d’ouverture, notamment sur les 80 km/h, mardi 15 janvier 2019 lors du lancement du grand débat national.
Quant aux habitants de Bourgtheroulde, ils ont eu l'impression d'être pris en otage pendant une journée entière! Pas sûr que la fierté d'accueillir le président de la République évoquée par le maire ne soit partagée par ses concitoyens... (PN 16/01/17)
Pour le président de la région Normandie, invité de la matinale d'Europe 1, l'échec du "grand débat" voulu par Emmanuel Macron pourrait donner lieu à une dissolution de l'Assemblée nationale.
INTERVIEW
Les Français devront encore attendre jusqu'à lundi avant de poster sur le site du gouvernement leurs contributions dans le cadre du "grand débat national". "Ce débat est nécessaire, et c'est la dernière chance pour rendre le quinquennat utile", a averti Hervé Morin, le président de la région Normandie, jeudi au micro d'Audrey Crespo-Mara dans la matinale d'Europe 1.
Un risque de dissolution. "Soit le président arrive à combler le fossé qui existe avec les Français, soit, au bout de ce débat, il y a une énorme déception et il ne restera plus qu'une solution : une dissolution, le retour aux urnes et les Français qui reprennent leur destin en main", prédit encore cet ancien ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy. Dans l'hypothèse d'un échec du dialogue qui doit s'ouvrir entre les Français et les élus, Hervé Morin imagine qu'"il y aura au minimum […] une évolution du gouvernement, ou le retour aux urnes si la paix et le calme ne reviennent pas dans le pays."
La "modestie" du président. Surtout, celui qui est également président de l’association Régions de France appelle le pouvoir a remettre les corps intermédiaires au cœur de la décision politique. "On a eu un exécutif qui, pendant quinze mois, ne nous a pas calculés", relève-t-il. "Je suis heureux de voir que le président jupitérien, maître du temps et des horloges, ait trouvé la modestie de s’asseoir au milieu des maires, de prendre des notes et de poser des questions", ironise-t-il, alors qu'Emmanuel Macron a officiellement lancé mardi le "grand débat" depuis Grand Bourgtheroulde, en présence de 600 maires normands.
"On a une fracture qui est gigantesque". "Il a été bon", concède Hervé Morin. "Tout le monde connait les qualités de débatteur et de séducteur de chef de l'Etat. Mais je n'ai jamais entendu autant de haine à l'égard du président de la République […] Là, on a une fracture qui est gigantesque", s'inquiète-t-il. "On a un exercice obligatoire qui est de revenir au contact des Français et les maires ruraux, les maires des petites communes, sont des médiateurs pour le gouvernement dans le cadre de ce mouvement."
Une synthèse nationale. Pour cet élu, il est essentiel que les contributions au "grand débat" se répercutent à tous les échelons de l'Etat. "Ce que nous croyons, c'est qu'à coté de ce débat national il doit y avoir une grande conférence territoriale et sociale qui réunit l'ensemble des corps intermédiaires pour commencer à bâtir une synthèse qui va être compliquée", propose Hervé Morin. Et d'avertir : "s'il y a de la déception, le chaos reprendra de plus belle."
Justement, le "Grand Débat" fait débat, tant sur son format, son utilité politique, voire son indépendance...
Un récent sondage (Odoxa- France Info en date du 17 janvier 2019) indique que sept personnes interrogées sur dix ne souhaitent pas y participer puisqu'elles craignent que ce débat ne soit qu'une opération cosmétique ne débouchant sur rien ou pas grand chose. Alors que 51% des personnes interrogées soutiennent encore le mouvement des Gilets Jaunes après plus de deux mois de mobilisation, le pouvoir espère que la multiplication des débats pendant le week-end du 19 janvier détournera l'attention médiatique et publique de l'Acte X de la mobilisation des Gilets Jaunes.
(Paris-Normandie, 16 janvier 2019)
Pendant ce temps-là, le mouvement des Gilets Jaunes en Normandie souhaite s'enraciner et s'organiser pour durer, réfléchir et proposer des alternatives politiques et insitutionnelles importantes...
L'idée de créer une association citoyenne des Gilets Jaunes Normands en coordination régionale est à l'étude. Un acte X de la mobilisation est annoncé aussi dans les principales villes normandes pour le samedi 19 janvier 2019: il s'annonce suivi, au moins au même niveau que le précédent...
Enfin, une grande assemblée générale des gilets jaunes de Normandie est en préparation pour le samedi 26 janvier 2019, événement qui aurait lieu à Caen.
L'Etoile de Normandie, bien entendu, suivra le sujet de près.
Pour finir, on notera, non sans une certaine satisfaction, que le gilet jaune normand qui semble le plus doué pour parler au nom de tous les autres soit François Boulo, un... avocat rouennais qui s'exprime volontiers sur le mode très normand du "c'est mon dreit et j'y ti!" tout en continuant une bien grande et belle tradition juridique normande dont le Parlement de Rouen était, autrefois, le farouche gardien face aux excès du centralisme parisien!
LIBERTE PAIX DROIT: les valeurs normandes retrouvent ainsi une nouvelle vitalité grâce au mouvement des Gilets Jaunes
Portrait. Il est une des figures montantes du mouvement né le 17 novembre sur les ronds-points. À 32 ans, le Rouennais François Boulo est devenu le porte-parole des « gilets jaunes » à Rouen et court les plateaux télé ou radio des médias locaux et nationaux.
François Boulo, avocat de 32 ans, se présentant comme porte-parole des « gilets jaunes » à Rouen, est à l’image de ce mouvement : inattendu. Avec sa tête de premier de la classe, l’avocat inscrit au barreau de Rouen dénote déjà de par sa profession, au milieu des classes populaires et moyennes mobilisées depuis le 17 novembre. Loin des très médiatiques Jacline Mouraud, Éric Drouet ou autres, il se démarque aussi par sa connaissance des sujets et par son éloquence. « C’est un mouvement protéiforme, populaire. Il faut que différentes voix puissent s’exprimer », défend-il.
Toujours calme, sûr de son fait, ce cador de la joute verbale est devenu en quelques jours une coqueluche des médias. Ses interventions sur les plateaux télévisés où il rembarre un député LREM, ou renvoie dans ses cordes un représentant du Medef font un tabac sur les réseaux sociaux, qui ont vu naître le mouvement. Le Rouennais n’a pas tardé à faire l’unanimité. Chose rare au sein d’un mouvement rattrapant par le col tous ceux tentés de tirer profit de leur médiatisation pour leur intérêt personnel.
« C’est un peu vertigineux », commente-t-il, à la sortie d’une interview, lundi après-midi, sur le plateau de PN TV, la web télé de Paris-Normandie. « Et en même temps ça m’oblige. J’ai une grande responsabilité, je n’ai pas le choix. » Tout est allé très vite pour cet avocat installé à son compte rue Jeanne-d’Arc, habitué à traiter des affaires touchant au droit du travail, au droit bancaire, de la consommation... Le 17 novembre, au premier jour de la mobilisation, « avant d’aller courir, je me suis rendu au bout du Mont-Riboudet en début d’après-midi voir les manifestants puis ceux sous le pont Flaubert [rive droite] ». Sans jouer les prophètes, cette colère sociale ne le surprend pas. « Je suis retourné le lendemain soir au rond-point de la Motte jusqu’à temps que les forces de l’ordre nous délogent. » Sur place, il découvre des retraités, des personnes très modestes, des salariés, des accidentés de la vie... Un discours revient sans cesse : « On en a marre de payer [des impôts et des taxes] pour rien ».
Dix jours plus tard, François Boulo se retrouve parmi une centaine de « gilets jaunes » réunis en assemblée sur un parking au Grand-Quevilly, dans une cacophonie généralisée. « J’ai pris la parole et tout le monde m’a écouté pendant cinq minutes. J’ai défendu l’idée que la politique doit servir les intérêts de 99% de la population et non des 1% les plus riches. » Vainqueur du concours d’éloquence dit « Conférence du stage » organisé par le barreau de Rouen en 2014, à destination des jeunes avocats, le tribun sort « victorieux » de cette première intervention en public. Acclamé, il est tout de suite adopté par le groupe. Depuis, il se présente comme le porte-parole des « gilets jaunes » à Rouen, après avoir recueilli quelque 200 signatures sur les différents ronds-points rouennais. « Porte-parole mais pas représentant, je n’ai pas de mandat pour dialoguer ou négocier avec le gouvernement. » François Boulo séduit. Il met des mots sur une injustice sociale et fiscale, vécue par des millions de Français. « Le mouvement a fédéré car il est parti des taxes. Notamment chez les classes moyennes car ils paient beaucoup d’impôts mais ne savent pas pourquoi. »
Élevé à Louviers dans une famille de tradition « gaulliste sociale », il n’a pas le profil du révolutionnaire. Passé par l’institution Notre-Dame Saint-Louis pour l’école primaire et le collège, il décroche son bac S au lycée public des Fontenelles, mention bien. Après des études de droit à Rouen et une cinquième année à Caen pour suivre un master de droit des affaires, il passe l’examen d’entrée au barreau de Paris en 2009. Deux ans d’études supplémentaires, et le voilà travaillant dans le cabinet Fromont Briens. Il est de retour à Rouen en 2012. « Je voulais être libre, indépendant pour agir en accord avec mes convictions. »
François Boulo ne veut pas être classé politiquement. « Je n’ai pas d’étiquette, j’ai un gilet. » Toutefois, il nourrit sa réflexion « depuis trois, quatre ans » en se passionnant pour les économistes éloignés du discours « mainstream » libéral : Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Frédéric Lordon... En s’intéressant au départ aux intérêts de la dette, il rejoint les pourfendeurs d’un État soumis aux marchés financiers.
Dans l’interview accordée à PN TV, le porte-parole ne voit que deux issues au mouvement : « Soit il [Emmanuel Macron] accepte de changer de cap en entendant les revendications, soit il faut une sortie institutionnelle par le haut : dissoudre l’Assemblée nationale ou lancer une consultation par référendum en engageant son mandat ». « Une dissolution dans les six mois » lui semble le plus probable. À l’issue de ces nouvelles élections, le « gilet jaune » imagine un parlement plus équilibré, plus représentatif des différentes forces politiques, obligeant la majorité à passer des alliances. Le tout, en rejetant des principes jugés dépassés tels que le cordon sanitaire empêchant de traiter avec les extrêmes, notamment de droite. Mais plutôt en prenant les « bonnes » idées là où elles se trouvent. « Le peuple veut de la souveraineté » (notamment économique), prédit-il.
Pour l’heure, le trentenaire, marié depuis six mois à une architecte, n’envisage pas une nouvelle carrière. « La question d’une structuration politique se posera au moment d’une élection nationale, répondait-il sur PN TV. [...] Je ne ferme pas la porte car la question n’a pas été tranchée par les “ gilets jaunes ”. »
En attendant, l’avocat gère uniquement « les urgences » au sein de son cabinet et se défend de profiter de sa nouvelle notoriété pour se créer une future clientèle. « Je ne vais pas m’enrichir dans les semaines ou mois à venir ! La tribune que j’ai aujourd’hui, c’est pour faire avancer le débat de fond. » Avec son calme naturel, le plaçant à des années-lumière des agitateurs décriés par le gouvernement, François Boulo réussit à faire la synthèse, capable d’appeler à « soutenir l’institution des forces de l’ordre » et - en même temps... - de renvoyer la responsabilité des violences à l’exécutif.