CAEN: MAIN BASSE SUR LA VILLE
Vous vous souvenez peut-être de ce film italien en noir et blanc de Francesco Rosi (1963), un grand classique...
"Main basse sur la ville"... Sous l'emprise d'un puissant promoteur immobilier local, le conseil municipal d'une grande ville d'Italie décide de lotir des terrains jusque là considérés comme non constructibles. La ville se couvre de chantiers de construction et de démolition jusqu'à la survenue d'un accident tragique: une maison ancienne s'effondre provoquant la mort d'un enfant juste avant les élections municipales. Le scandale éclate au conseil municipal et l'opposition (forcément communiste) demande la réunion d'une commission d'enquête.
Bien entendu, nous n'en sommes pas encore là à Caen... Mais on doit constater que ces derniers temps, la promotion immobilière s'active beaucoup sur une ville qui n'est pas si grande et qui a déjà connu sa grande opération de rénovation sur table rase: c'était en 1944 du 6 juin au 22 juillet. Des milliers de bombes anéantirent 30% de la surface bâtie mais 70% des logements disponibles (le coeur de la ville ancienne et historique a été détruit). De peur de passer sous la barre des 100000 habitants, avec tous les décrochages financiers que cela implique (en France, on rampe toujours entre un plafond et un plancher), la commune centre de l'agglomération caennaise s'est dotée d'un Plan Local d'Urbanisme particulièrement favorable aux promoteurs et aux bétonneurs au lieu d'exiger d'eux des opérations de réhabilitation-transformation plus qualitatives et respectueuses des architectures encore en place. On nous dit que depuis, ce PLU fait l'objet d'une révision pour éviter un bétonnage généralisé de la moindre friche ou de chaque "dent creuse". On nous dit que les jardins de coeur d'îlot seront mieux préservés, que des aires de valorisation du patrimoine architectural vont être créées.... Blablabla!
Officiellement, la ville est dotée depuis 2012 du label "ville d'art et d'histoire" et d'un site inscrit qui recommande depuis 1978 un certain nombre de mesures pour protéger et valoriser ce qui reste du patrimoine architectural, urbain et végétal du vieux centre historique rescapé des bombardements de 1944.
Malgré ces mesures, malgré cette histoire et en dépit d'un patrimoine architectural et urbain qui demeure d'une grande richesse et qui, du XIe siècle aux années 1960, permet d'avoir à Caen un livre ouvert de toute l'histoire de l'architecture européenne, on démolit, on creuse, on abat, on réduit en poussière, on écrase, on détruit, on laisse brûler, on cimente, on bétonne sans vergogne un peu partout à Caen: cela donne aux Caennais l'impression désagréable que les bombardements ne sont pas terminés, pas même la reconstruction d'Après Guerre alors qu'une valorisation raisonnée et intelligente de ce patrimoine architectural urbain souvent exceptionnel par sa qualité coûterait, au final, moins cher que sa démolition, pire, sa défiguration et sa banalisation (tant est médiocre la pseudo-architecture proposée en ce début de XXIe siècle par les industriels du BTP): au lieu de chercher à devenir une grande destination touristique urbaine, historique et patrimoniale, la municipalité de Caen (cette majorité mais aussi celle d'avant) fait le pari de la médiocrité bétonnée à courte vue que lui imposent de puissants intérêts qui poissonnent et prospèrent dans les affaires immobilières et commerciales locales...
Après le massacre du couvent de Saint Vincent de Paul rue de Bayeux dans les années 1990... Le bombardement du Bon Sauveur en juin 2010, rue Caponière qui ne l'avait pas été, et pour cause, l'été 1944... L'érection du Bunker de la clinique de la Miséricorde au bas de la rue des Cordeliers en 2016...Après la Providence, transformée en cimenterie, rue de Falaise, il y a quelques mois ou la tentative récemment déjouée de détruire la villa Démogé (1870) avenue de Creuilly... Voici venir l'arrivée prochaine d'une énorme boîte à chaussures extrudée, comme fatiguée après plusieurs semaines de solderie, pour faire office d'un énième centre commercial de plus dans une ville qui serait la ville de France où il y aurait le plus grand nombre de surfaces commerciales disponibles par rapport au nombre d'habitants!
Las, Monsieur Laprie-Sentenac, l'Architecte des Bâtiments de France en poste à Caen et dans le Calvados depuis le fond d'un tiroir de son bureau n'y trouve rien à redire. Pis! il participe de l'ambiance de démolition générale en ordonnant la destruction du dernier vestige encore en place de l'ancien jardin des religieuses de l'Abbaye aux Dames dans le parc du conseil régional qui est pourtant classé Monument Historique depuis 1932! Et quand bien même il serait depuis peu dans le collimateur du juge administratif pour "erreur d'appréciation" après avoir négligé l'existence du Site Inscrit en autorisant un énième bétonnage commercial aussi disgracieux qu'inutile, le plus fantômatique des ABF de France se fait fort d'être l'arbitre des inélégances architecturales en sélectionnant le ton des crépis ou la couleur des balconnières que l'on voit déjà, hideuses, sur de grands panneaux publicitaires faisant miroiter un cadre de vie et un mode de vie standardisés qui ne concernent pas les Caennais et qui insultent l'âme de cette ville.
Alors? Caen, main basse sur la ville?
Alors que l'opinion publique caennaise se réveille enfin autour de la question de préserver les 49 tilleuls jouxtant la place de la République qui doivent être abattus en prévision de la construction du futur vaisseau spatial commercial voulu par la société SEDELKA associé à Laurent Chemla, le tout puissant patron du Printemps, on vous propose l'exploration suivante du vivarium caennais et de ses plus beaux crocodiles...
La ZAC Gardin et l'avenue de l'hippodrome: les "Ceausescu" caennais ont déjà frappé une fois... Evitons, par pitié, qu'ils ne récidivent !!!
Etat de la place de la République après la plantation des tilleuls, dans les années 1960. Depuis plus de quarante ans, ils ont bien poussé au point de former aujourd'hui un magnifique bosquet de ville...
Le projet envisagé par SEDELKA EUROPROM VIGUIER / BIENVENU JEL LE PRINTEMPS REZGUI-CHEMLA:
Présentation officielle du projet lauréat:
http://caen.fr/sites/default/files/actualite/16/10/pptpresentationduprojetrepublique.pdf
Mais où sont donc passées l'originalité, la sensibilité, l'authenticité?
La banalisation arrive: la place de la République risque d'être transformée en parvis de centre commercial... Un de plus!
Mais attention... Les images qui suivent sont des vues d'artistes "non contractuelles" proposées par le cabinet Viguier qui, lors de la présentation de son projet, avait spontanément englobé la place de la République dans la maîtrise d'ouvrage de son centre commercial alors que le cabinet de paysagistes "ATTICA" est officiellement chargé de dessiner la nouvelle place de la République à partir d'une consultation citoyenne organisée par le cabinet "RESPUBLICA" qui risque de faire long feu puisque les citoyens étaient invités à phosphorer sur l'avenir d'une place sans avoir mot à dire sur le projet qui provoque cette transformation radicale: l'opinion publique caennaise s'oppose maintenant à l'abattage des tilleuls dont il ne fallait pas parler... ça promet!
Pour participer officiellement à la concertation officielle c'est ici:
https://caenrepublique.jenparle.net/
Un collectif citoyen pour la défense de la place de la République s'est même constitué:
Un projet respectueux des lieux qui pourrait permettre à la place publique caennaise de retrouver l'esprit qu'elle avait au tout début: rappelons, en effet, que le projet de l'architecte voyer Gondouin d'une place publique à Caen (1620) était le 3ème de ce type en France après les exemples parisiens (ici la place des Vosges):
La statue du Centaure (1878) oeuvre du sculpteur normand Arthur LEDUC, autrefois placée dans la cour d'honneur de l'hôtel de ville détruit en 1944 et qui existe toujours quoique mutilée et reléguée au fond du jardin du Mémorial de Caen, pourrait revenir sur place afin de faire le lien symbolique entre l'avant 1944 et aujourd'hui...