AXE SEINE: projet scientifique d'un atlas collaboratif décrivant la... Mégarégion de Paris.

Sur le réseau social spécialisé Linked In, nous avons vu passer l'annonce suivante:

Arnaud Brennetot sur LinkedIn : Appel à contribution - Paris Mégarégion

Il s'agit d'un appel à projets de recherche scientifique en géographie visant à décrire le plus finement possible les relations économiques, sociales, institutionnelles qui lient, de fait, les régions périphériques du bassin parisien à la mégalopole qui en occupe le centre.

Ce projet part du constat que ces relations sont subies, assymétriques, inégales et pensées dans un cadre intellectuel ou institutionnel qui est très complexe faute d'avoir, de la part de l'Etat central, une politique de l'aménagement du territoire claire et suivie sur l'ensemble du Bassin parisien.

Paris est l'une des plus anciennes capitales politiques du monde puisque l'on peut remonter au règne de Clovis, il y a près de 1400 ans. Mais il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que l'Etat central qui siège à Paris prenne enfin au sérieux l'idée d'organiser et d'aménager la périphérie géographique d'une ville qui est devenue la première mégalopole de l'Europe continentale et l'une des dix premières mégalopoles mondiales avec, aujourd'hui, plus de 12 millions d'habitants sur le territoire de l'actuelle région Ile-de-France soit près de 20% de la population française.

Après la grande époque gaullienne de la Datar, celle de Paul Delouvrier et d'Olivier Guichard, le mouvement de décentralisation des années 1980 et son institutionnalisation politique a fragmenté les outils et la vision commune de l'Etat sur cet ensemble territorial au point que la politique publique  d'aménagement du territoire y a perdu toute lisibilité sinon toute consistance: pour tenter d'y remédier, au début des années 1990, sous les auspices du préfet Duport, un "livre blanc du Bassin parisien" pour préparer la mise en forme d'une "charte de l'aménagement du territoire du Bassin parisien à l'horizon 2015" a été proposé... En vain ou presque.

Duport J.P., Livre blanc du Bassin parisien et Damette F. et Scheibling J., Le Bassin parisien, système productif et organisation urbaine - Persée (persee.fr)

Car le sujet est désormais d'une redoutable complexité avec des enjeux économiques énormes puisque sur ce grand territoire du Bassin parisien se fabrique l'essentiel de ce qui constitue encore la 6ème richesse nationale du monde.

On se souvient qu'à l'automne 2018, l'actuel président de la République devait nous dire sa vision ou son ambition sur l'avenir du Grand-Paris et les régions qui l'entourent: les événements étant les pires ennemis d'un gouvernement (Gilets Jaunes, crise de la réforme des retraites et maintenant le Covid), ce sujet compliqué qui ne dit rien aux braves gens alors qu'ils en subissent les conséquences pas toujours positives dans leur quotidien, a été renvoyé aux calendes grecques comme d'habitude.

La Normandie traversée et animant l'enjeu national de l'Axe Seine était, bien évidemment, directement concernée car la Normandie reste inquiète pour son existence même:

Nous n'avons pas oublié ici que c'était pour permettre l'organisation et le développement d'un axe Paris- Le Havre que la Normandie avait été coupée en deux et qu'en conséquence, l'ancienne seconde ville du royaume n'a jamais pu être métropole régionale d'équilibre pour le Nord-Ouest. Et nous n'avons encore moins oublié que ce projet mortifère a été ressorti de la naphtaline, il y a maintenant dix ans, par l'urbanisme Antoine Grumbach pour le compte de Nicolas Sarkozy, heureusement, sans véritable succès pour l'instant...

Ceci dit, l'actuel appel à projet pour cet atlas collaboratif de la "mégarégion de Paris" (sic!)  se proposant de dresser un état des lieux, est intellectuellement légitime tant la fameuse apostrophe du Général de Gaulle à Paul Delouvrier semble rester d'actualité: "mettez-moi de l'ordre dans ce bordel!"

Mais les défis pour relancer une politique publique de l'aménagement du territoire à l'échelle du Bassin parisien sont tels que l'on est en droit de se poser la question de savoir si cela est encore possible de mettre en oeuvre une telle ambition.

Il s'agit, par exemple, de ne pas confondre aménagement du territoire et déploiement des infrastructures des transports alors que ce sujet est perçu comme prioritaire dans une mégalopole parisienne hyperconcentrée qui frise la trombose.

Il s'agit, surtout, de constater, avant même de scruter l'organisation des régions périphériques de la mégalopole parisienne, que cette dernière n'a pas le cadre géographique ni les outils institutionnels et politiques pour se connaître et se gouverner elle-même: les décisions qui la concerne sont éparpillées entre l'Etat et ses administrations centrales d'un côté et de trop nombreuses collectivités territoriales concurrentes de l'autre: le vrai sujet, d'ailleurs, est là, de notre point de vue de Normand...

Entre la région Ile-de-France, la ville de Paris, les départements dits de la "petite couronne", la métropole du "Grand-Paris" (actuellement contestée par les députés de l'actuelle majorité gouvernementale), l'Etat central et une kyrielle d'agences et d'établissements publics,  la plus aguerrie des chattes parisiennes y perdrait ses petits!

Nos cats normands, eux, ont bien de la chance depuis cinq ans: la Normandie est enfin réunifiée avec une exceptionnelle superposition entre la région du coeur (une géo-histoire provinciale millénaire) et la région de la raison (périmètre géographique cohérent pour mettre en oeuvre une action publique régionale, cette action régionale qui a finalement manqué dans le sigle de la ... DATAR): de fait, le conseil régional de Normandie est devenu le premier acteur et financeur public du développement et de l'avenir de l'intérêt national de l'Axe Seine. Il faudrait seulement que l'Etat central, les autres collectivités et les acteurs professionnels concernés par l'Axe Seine s'en rendent enfin compte car l'heure de la subsidiarité régionale n'a hélas pas encore sonné aux pendules qui trônent sur les marbres des cabinets ministériels parisiens...

Mais au delà du défi déjà bien difficile d'unifier politiquement le territoire francilien (par exemple en fusionnant Paris avec les départements qui se trouvent de l'autre côté du périph") il y a le défi intellectuel et politique de ne pas confondre:

Un espace commun de projets et d'enjeux et les territoires concernés. A l'instar de ce qui arrive, hélas actuellement, à la construction européenne, il faut absolument éviter de confondre la carte et les territoires: c'est parce qu'il y a du flou sur les objectifs réels de l'actuelle Union européenne (espace de coopération entre Etats nations souverains ou construction d'un Etat fédéral?) qu'une tentation populiste a pu conduire les citoyens britanniques à choisir le Brexit.

A l'échelle inter-régionale du Bassin parisien, contrairement à la position du géographe Jacques Lévy sur ce sujet, nous pensons fermement ici qu'il y a urgente nécessité politique à lever toute ambiguité:

Remettre en route une politique publique d'aménagement du territoire à l'échelle du Bassin parisien est indispensable voire urgente mais il ne s'agit pas de la confondre avec on ne sait quel processus de fusion et d'intégration des territoires concernés dans une méga-région parisienne dont les habitants des territoires concernés ne voudront jamais!

Nous regrettons donc que ce projet d'atlas collaboratif soit nommé du nom d'une chimère géographique qui ne saurait exister.

Albert Camus nous avait pourtant prévenu: "mal nommer les choses c'est ajouter au malheur au monde."

Le beau nom propre de Normandie connu et reconnu dans le monde entier est très probablement mille fois plus utile à l'intérêt supérieur de la Nation qu'une improbable "mégarégion de Paris".

Archive de l'Etoile de Normandie:

Rêve du Grand Paris : rattacher Rouen et le Havre à Paris ? - L'ETOILE de NORMANDIE, le webzine de l'unité normande (canalblog.com)

Pour mémoire,  on relira cet article d'Arnaud Brennetot et de Michel Bussi, géographes membres du collectif des géographes universitaires normands qui se sont mobilisés dans les années 2010 -2015 pour obtenir la réunification de la Normandie: réunification normande qui ne saurait en aucun cas être le prélude à une méga-fusion régionale avec l'Ile-de-France sous prétexte de développer l'enjeu national de l'Axe Seine!

Le Grand Paris et l’axe Seine (openedition.org)

Conclusion:

Le mot de "région" renvoie toujours à un concept plutôt flou et quand c'est flou c'est qu'il y a un loup...

Pourtant qui trouver de mieux qualifié qu'un géographe universitaire normand pour répondre clairement à la question fondamentale suivante:

"Qu'est-ce qu'une région?"

Sachant qu'un Fernand Braudel a déjà répondu à cette question en demandant aux responsables politiques de prendre soin et de prendre au sérieux l'immémorial pavage géo-historique de la France qui fait, à la fois, sa profonde identité et sa merveilleuse diversité...

Sachant qu'un Armand Frémont a déjà répondu à cette question en se proposant de décrire en écrivain sensible l'expérience existentielle d'un espace vécu partagée par des individus qui peuvent, encore, former une communauté de destin à l'échelle locale, régionale et nationale.

Il semble évident qu'une "méga-région" sic du Bassin parisien ne saurait correspondre à ces deux réalités essentielles, à moins de les faire mourir...

Comments

[N_Gouin]

Bonjour,

Juste 2 points pour alimenter le débat (que je découvre un peu tard) :



- Le concept de région est polysémique. Ainsi, on peut définir la région à partir de critères historiques ou identitaires comme vous le faites, et parler de régions homogènes ; mais on peut également la définir à partir de critères économiques et/ou de la polarisation urbaine, on parle alors de régions polarisés.

La "mégarégion" parisienne correspond à ce dernier point de vue, et peut ainsi être considéré scientifiquement comme une région, avec certes des dimensions importantes car Paris est une "ville globale".



- Si l'on prend les mégarégions de l'Ouest de l'Europe, elles sont - comme le Bassin parisien - toutes divisées en régions administratives. L'enjeu scientifique du projet n'est pas de montrer l'intérêt d'un redécoupage à l'échelle du Bassin parisien, mais plutôt de montrer l'influence de Paris sur les multiples dynamiques des régions qui l'entourent. Cela appelant alors à des coopérations interrégionales efficaces, au bénéfice de toutes les régions... dont la Normandie !



Cordialement

[bodrumo]

Un projet de loi qui pourrait bien changer les choses pour le port "Axe Seine", c'est cette proposition de loi déposée le 7/12 par un groupe de députés, tendant à établir des zones franches pour 3 ports de l'hexagone afin de faire pièce au projet anglais de même type après le brexiit... a suivre...

[draner]

Bjr,

nous ne pouvons, oh! combien, que partager ce rappel de point de vue opportun, de surcroît il ne peut pas y avoir plus fédérateur pour toute sensibilité normande et au-delà !

Allons, rêvons un peu pour l'avenir, en l'espérant ne relevant plus des "calendes grecques" : la région "Île-de-France", maintenant déjà vécue* avec un sentiment "d'identité" intégrée (grâce au Grand Paris Express), et la région "Normandie" assureraient la gouvernance d'une nouvelle entité -à l'instar de la Compagnie Générale du Rhône mais là la C N S-, gérant globalement la Seine** !



* cf. cet extrait d'une interview d'une personnalité de la culture :"Comme Londres ou New York, Paris (le Grand Paris) est un ensemble de gens, d'énergie...au-delà des délimitations administratives" ("Aujourd'hui en France week-end" du vendredi 18/12).



** que dit le prochain Contrat de Plan Etat-Inter-régions -"CPIER"- Etat/Île-de-France/Normandie ?

Bien cdlt.

[draner]

Bjr,



nous ne pouvons, oh! combien, que partager ce rappel de point de vue opportun, de surcroît il ne peut pas y avoir plus fédérateur pour toute sensibilité normande et au-delà !

Allons, rêvons un peu pour l'avenir, en l'espérant ne relevant plus des "calendes grecques" : la région "Île-de-France", maintenant déjà vécue* avec un sentiment "d'identité" intégrée (grâce au Grand Paris Express), et la région "Normandie" assureraient la gouvernance d'une nouvelle entité -à l'instar de la Compagnie Générale du Rhône mais là la C N S-, gérant globalement la Seine** !



* cf. cet extrait d'une interview d'une personnalité de la culture :"Comme Londres ou New York, Paris (le Grand Paris) est un ensemble de gens, d'énergie...au-delà des délimitations administratives" ("Aujourd'hui en France week-end" du vendredi 18/12).



** que dit le prochain Contrat de Plan Etat-Inter-régions -"CPIER"- Etat/Île-de-France/Normandie ?



Bien cdlt.

[barreau]

Pour qualifier la méga région de Paris, une vision avec le terme "Seine Normandie", est pour moi insuffisante et inexacte. On devrait appeler cette entité "métropole du bassin parisien" puisque cela ne concerne pas uniquement une relation entre la Normandie et l'Ile de France. Les régions de Reims, Orléans, Chartres, Beauvais subissent aussi la même attraction vis à vis de la grande métropole et il serait urgent que ceux-ci (normands compris) mènent une réflexion ensemble quant à leur avenir dans ce grand bassin parisien. Agir au lieu de subir...