Le département, voué aux gémonies, par des élites françaises obsédées par le modèle territorial allemand, reposant sur les kreise et les länder, demeure cependant un échelon indispensable pour un aménagement équilibré du territoire hexagonal, étant le seul à assurer un maillage fin dans un contexte de relative faible densité de la population en-dehors de la capitale et de quelques zones frontalières, comme les anciennes régions du Nord-Pas-de-Calais et de l’Alsace. En effet, de par leur taille supérieure à de nombreux autres pays européens, les grandes régions, issues de la réforme territoriale de 2014, ne permettent pas un maillage satisfaisant de l’espace français, d’autant que par leur relative faiblesse démographique, les capitales régionales sont, bien souvent, dans l’incapacité d’exercer une influence à cette échelle, comme, par exemple, Dijon ou Strasbourg.
Il s’ensuit que le maintien du département comme échelon administratif intermédiaire entre les régions et les communes/intercommunalités se justifie pleinement, au moins dans les territoires ruraux, où leur disparition conduirait à enterrer définitivement la plupart des petites et moyennes villes françaises, qui vivent largement de leurs fonctions préfectorale ou sous-préfectorale.
Dans ce cadre, il conviendrait de réévaluer leurs compétences, réduites principalement aux questions sociales à l’heure actuelle, pour leur donner des capacités d’intervention dans le domaine économique et l’aménagement du territoire, détenues, aujourd’hui, par les régions. En effet, étant donné l’hétérogénéité de ces dernières, consécutive de leur périmètre beaucoup trop large, elles sont dans l’incapacité de mener des politiques économiques pertinentes, en particulier sur le plan industriel, contrairement aux départements, en règle générale, beaucoup plus homogènes. Ainsi, dans la région Grand Est, la Haute-Marne étant spécialisée dans la métallurgie alors que sa voisine, l’Aube, l’est dans le textile, l’échelon départemental apparaît comme le plus adapté pour gérer la compétence industrie, d’autant que vu de la capitale régionale, Strasbourg, à la tertiarisation accentuée ces dernières années, ces deux secteurs ne sont pas perçus comme porteurs d’avenir.
Parallèlement, un autre chantier nous paraît d’une importance primordiale, l’adaptation de leur périmètre aux réalités fonctionnelles actuelles. Pour des raisons diverses et variées, certains territoires ne sont pas rattachés administrativement au département auquel ils devraient l’être, obérant leur bonne gouvernance. Deux principaux cas de figure émergent.
Le premier concerne des territoires appartenant à un département pour des raisons historiques mais ne correspondant plus du tout à leur fonctionnement actuel. Par exemple, après l’annexion allemande de la Moselle en 1871, la partie restée française a basculé dans le département de la Meurthe renommé Meurthe-et-Moselle. Puis, en 1918, lors de la récupération de la Moselle par la France, contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, les limites départementales n’ont pas été remodifiées, expliquant pourquoi l’arrondissement de Briey, pleinement intégré fonctionnellement à la Moselle, est géré depuis Nancy, ce qui ne fait plus sens aujourd’hui.
Le second cas de figure relève de territoires passés depuis la Révolution Française sous l’aire d’influence d’une métropole proche appartenant à un autre département. Par exemple, Avignon est à la tête d’une aire urbaine s’étendant sur trois départements, le Vaucluse, le Gard et les Bouches-du-Rhône, constituant un véritable casse-tête pour son aménagement, d’autant que le Gard est rattaché à une autre région ! En conséquence, de nombreuses anomalies, plus ou moins importantes, parsèment le territoire français comme ces enclaves départementales, dont la plus connue est celle de Valréas, qui ne se justifient plus au XXIe siècle. Il s’en suit que dans l’optique de son renouveau, une modification des périmètres de cet échelon semble nécessaire, ce qui s’est déjà fait par le passé, de manière marginale cependant, comme pour le département du Rhône, qui a annexé à plusieurs reprises des communes de l’Isère et de l’Ain suite au développement de l’agglomération lyonnaise, dont 4 dès 1852, puis 29 en 1967 et une dernière en 1971, Colombier-Saugnieu, dans laquelle se localise l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry.
En conséquence, nous proposons ci-dessous une liste indicative, ayant vocation à servir de base de discussion, des changements qu’il serait envisageable d’apporter à la carte administrative départementale, distinguant ceux majeurs, correspondant à plusieurs dizaines de communes, en nombre limité car il ne s’agit pas de la changer de fond en comble, de ceux mineurs, soit juste quelques communes. Parmi ces nombreuses propositions, qui ne prétendent pas à l’exhaustivité, certaines relèvent de l’évidence et sont consécutivement difficilement contestables, d’autres moins, d’où la nécessité d’une réflexion élargie entre les services de l’Etat et les acteurs locaux pour que le nouveau découpage corresponde au souhait de la majorité (par définition, il y aura toujours des mécontents, au moins par arrière-pensées politiques).
Liste des changements majeurs proposés par Laurent Chalard (avec les commentaires de Florestan):
- Transfert du Pays de Gex dans l’Ain vers la Haute-Savoie pour permettre l’existence d’un seul interlocuteur politique face au canton suisse de Genève
(Le plus urgent est de faire un département Savoie unique)
- Transfert de l’arrondissement de Château-Thierry dans l’Aisne vers la Seine-et-Marne ou la Marne, étant plus proche de Meaux ou de Reims que de Laon
- Transfert de l’arrondissement de Barcelonnette dans les Alpes-de-Haute-Provence vers les Hautes-Alpes, la vallée de l’Ubaye étant tournée vers Gap
(Le plus urgent serait de transférer le département des Hautes-Alpes dans la région Rhône-alpes-(Auvergne) pour recréer le Dauphiné)
- Transfert du canton des Trois-Monts, situé sur l’axe Angoulême-Bordeaux, de la Charente-Maritime vers la Charente
- Transfert de l’agglomération de Montbéliard dans le Doubs et d’Héricourt en Haute-Saône, formant une aire urbaine (non reconnue par l’Insee) avec Belfort, vers le Territoire de Belfort
- Transfert de l’arrondissement de Saint-Gaudens en Haute-Garonne vers les Hautes-Pyrénées pour faire de ce dernier le grand département pyrénéen de haute-montagne (association de la Bigorre et des Comminges pays historiques autrefois situés dans l'Aquitaine: une fois encore, la carte régionale manque de pertinence)
- Transfert des communes sous influence lyonnaise des arrondissements de Vienne et de La Tour-du-Pin dans l’Isère ainsi que du département de l’Ain (a minima, les cantons de Miribel et Trévoux) vers le Rhône
- Transfert de l’arrondissement de Dole dans le Jura, situé dans la plaine de la Saône, vers la Côte d’Or ou le Doubs
- Transfert de l’arrondissement de Briey en Meurthe-et-Moselle, pour les raisons précisées précédemment, vers la Moselle
- Transfert du canton de Bitche de la Moselle vers le Bas-Rhin ou alors transfert de l’Alsace Bossue dans le Bas-Rhin vers la Moselle pour rétablir une cohérence géographique
- Transfert du canton de Loudun dans la Vienne, anciennement rattaché à l’Anjou, vers le Maine-et-Loire ou l’Indre-et-Loire
(Retour à l'Anjou, bien évidemment!)
- Transfert de l’arrondissement de Neufchâteau dans les Vosges, très éloigné du massif, vers la Haute-Marne ou la Meurthe-et-Moselle
Liste des changements mineurs :
- Transfert de communes périurbaines de Mâcon situées dans le canton de Replonges dans l’Ain vers la Saône-et-Loire
- Transfert de Villers-Cotterêts de l’Aisne vers l’Oise
(Retour au Valois donc à l'île de France)
- Transfert de l’ancien canton d’Entrevaux dans les Alpes-de-Haute-Provence, tourné vers Nice, vers les Alpes-Maritimes
- Transfert des communes de La Grave et de Villar-d’Arêne dans les Hautes-Alpes, faisant partie de l’Oisans, vers l’Isère
- Transfert de Cornas, Guilherand-Granges et Saint-Péray dans l’Ardèche, banlieues de Valence, vers la Drôme
- Transfert de Lézat-sur-Lèze dans l’Ariège, sous influence toulousaine, vers la Haute-Garonne
- Transfert de Leucate dans l’Aude, qui forme un ensemble urbain balnéaire avec Le Barcarès, vers les Pyrénées-Orientales
- Transfert de Saint-Paul-lès-Durance dans les Bouches-du-Rhône, dont le centre nucléaire de Cadarache est lié fonctionnellement à Manosque, vers les Alpes-de-Haute-Provence
- Transfert de la commune de Condé-en-Normandie dans le Calvados, tournée vers Flers, vers l’Orne
(Nous sommes d'accord: car il s'agit de l'ancien pays normand du Cinglais qui s'étendait autrefois de Thury-Harcourt jusqu'au Nord de Flers. Ce pays s'appelle aujourd'hui la "Suisse normande")
- Transfert de la commune de Bort-les-Orgues en Corrèze vers le Cantal, dans lequel elle est encastrée
- Transfert de l’enclave de Ménessaire en Côte-d’Or vers la Nièvre
- Transfert de Terrasson-la-Villedieu en Dordogne, tournée vers Brive-la-Gaillarde, vers la Corrèze
- Transfert de Tulette dans la Drôme vers le Vaucluse pour établir une continuité territoriale entre l’enclave de Valréas et le reste du département ou alors insertion de cette dernière dans la Drôme
- Transfert de Lus-la-Croix-Haute dans la Drôme, sans aucun lien avec le reste de son département, vers les Hautes-Alpes
- Transfert de Montbrun-les-Bains dans la Drôme vers le Vaucluse
- Transfert de quelques communes périurbaines d’Elbeuf dans l’Eure vers la Seine-Maritime
(On est dans le Roumois et dans l'ère urbaine de la métropole de Rouen)
- Transfert des communes situées à l’est d’une ligne Anet-Maintenon-Auneau en Eure-et-Loir, territoire périurbain de l’Ile de France, vers les Yvelines
- Transfert de Villeneuve-lès-Avignon, Les Angles et Rochefort-du-Gard dans le Gard, banlieues d’Avignon, vers le Vaucluse
- Transfert de Fourques dans le Gard, banlieue d’Arles, vers les Bouches-du-Rhône
- Transfert de la commune du Grau-du-Roi dans le Gard, qui forme un ensemble urbain balnéaire avec la Grande-Motte, vers l’Hérault
- Transfert de la commune de Revel en Haute-Garonne vers le Tarn, avec lequel elle fonctionne plus
- Transfert du canton de l’Isle-Jourdain dans le Gers, sous influence toulousaine, vers la Haute-Garonne
- Transfert de Barcelonne-du-Gers dans le Gers, banlieue d’Aire-sur-l’Adour, vers les Landes
- Transfert de Sainte-Foy-la-Grande en Gironde vers la Dordogne, dans laquelle elle est encastrée
- Transfert de l’ancien canton d’Olonzac dans l’Hérault vers l’Aude, département auquel il est plus lié fonctionnellement
- Transfert de Redon dans l’Ille et Vilaine et de Saint-Nicolas-de-Redon en Loire-Atlantique vers le Morbihan pour que l’agglomération de Redon soit comprise dans un seul département
(Monsieur Laurent Chalard oublie qu'il faudrait, au préalable, réunifier la... Bretagne!)
- Transfert des communes de Tarnos, Ondres et Saint-Martin-de-Seignanx dans les Landes, devenues des banlieues de Bayonne, vers les Pyrénées-Atlantiques
- Transfert de l’ancien canton de Pélussin dans la Loire, dominant la vallée du Rhône, vers le Rhône
- Transfert de Bourg-Argental dans la Loire, commune tournée vers Annonay, vers l’Ardèche
- Transfert d’Aurec-sur-Loire en Haute-Loire, tournée vers Firminy, vers la Loire
- Transfert d’Ancerville dans la Meuse, tournée vers Saint-Dizier, vers la Haute-Marne
- Transfert de Luzy dans la Nièvre, entre Autun et Bourbon-Lancy, vers la Saône-et-Loire
- Transfert de Chambly dans l’Oise, faisant partie de l’unité urbaine de Persan, vers le Val d’Oise
- Transfert de Brebières, Evin-Malmaison, Leforest, Vitry-en-Artois, banlieues de Douai, du Pas-de-Calais vers le Nord
- Transfert de communes périurbaines de Lille autour de Laventie dans le Pas-de-Calais vers le Nord
- Transfert de communes périurbaines de Vichy dans le Puy-de-Dôme vers l’Allier
- Transfert de quelques communes des Pyrénées-Atlantiques (dont Ger) vers les Hautes-Pyrénées pour supprimer les enclaves bigourdanes ou alors inclusion de ces dernières dans les Pyrénées-Atlantiques.
(Là encore, Monsieur Chalard oublie que les Bigourdans tiennent à ce qu'ils sont et qu'il faudrait aussi créer un département pour le Pays basque à l'ouest de l'actuel département des Pyrénées atlantique...)
- Transfert de l’ancien canton de Sainte-Marie-aux-Mines dans le Haut-Rhin, fonctionnellement lié à Sélestat, vers le Bas-Rhin
- Transfert de l’ancien canton de Chauffailles en Saône-et-Loire, tourné vers Charlieu, vers la Loire
- Transfert de Cuiseaux en Saône-et-Loire vers le Jura, dans lequel elle est encastrée
- Transfert des communes périurbaines d’Alençon situées dans la Sarthe vers l’Orne
(Le Maine normand est appelé à s'étendre à condition qu'Alençon joue enfin son rôle de ville porte de la Normandie!)
- Transfert de Beaumont-en-Gâtinais en Seine-et-Marne vers le Loiret, dans lequel elle est encastrée
- Transfert de Mers-les-Bains dans la Somme, qui forme une unité urbaine avec Eu et Le Tréport, vers la Seine-Maritime
- Transfert de Saint-Sulpice-la-Pointe (voire Lavaur) dans le Tarn, sous influence toulousaine, vers la Haute-Garonne
- Transfert de Grisolles et Pompignan dans le Tarn-et-Garonne, sous influence toulousaine, vers la Haute-Garonne
- Transfert des communes des Adrets-de-l’Estérel et de Tanneron (voire de Montauroux) dans le Var, tournées vers la métropole azuréenne, vers les Alpes-Maritimes
- Transfert de la commune de Saint-Zacharie dans le Var, sous influence marseillaise, vers les Bouches-du-Rhône
- Transfert de la commune de Vinon-sur-Verdon dans le Var, sans aucun lien avec le reste du département, vers les Alpes-de-Haute-Provence
- Transfert de Benet en Vendée, tournée vers Niort, vers les Deux-Sèvres
(Il faudrait surtout réunifier le... Poitou!)
- Transfert de Cugand et La Bernardière, liées à Clisson, de la Vendée vers la Loire-Atlantique
(Là encore, Monsieur Chalard ignore la question bretonne...)
Commentaire de Florestan:
L'initiative et les propositions de Laurent CHALARD ont le mérite d'exister, ne serait-ce que pour démontrer que le débat sur la géographie de la France et sa décentralisation n'est pas clos: il faut dire que la carte régionale issue de la réforme de 2015 est une catastrophe sauf pour la Normandie.
Cependant, Monsieur Chalard ignore ou feint d'ignorer que la géographie n'est pas que fonctionnelle, elle est aussi humaine et elle résulte d'une géo-histoire de long terme qui ne se limite pas à celle des départements créés il y a 230 ans mais qui est aussi celle des provinces qui les sous-tend parfois depuis presque deux mille ans comme dans le cas de la Normandie (Lyonnaise seconde + province ecclésiastique de Rouen + duché de Normandie + cinq départements + région Normandie).
Monsieur Chalard assume son départementalisme. Nous assumons ici notre régionalisme, un régionalisme authentique qui prend, à la fois, la région et le département au sérieux à l'instar de ce que le grand historien Fernand Braudel avait préconisé quand dans son maître livre sur "l'identité de la France", il en appelait à cesser de jouer avec la géographiie historique de notre pays.
Car ce sont de vraies régions-provinces (telles que la Normandie) qui permettraient au département de jouer pleinement son rôle de territoire intermédiaire entre zones urbaines et zones rurales avec des espaces vécus encore à taille humaine, clairement identifiés qui permettent aussi l'enracinement nécessaire.
Monsieur Chalard ne va pas jusqu'au bout de la démarche qui consisterait, en priorité, à réparer les erreurs géographiques de la réforme de 2015 en faisant en sorte que la carte régionale coïncide à peu près partout avec la carte géo-historique. Puis, à l'échelle inférieur, des départements pourraient fusionner ou avoir leur périmètres légèrement modifiés comme dans la proposition ci-dessus pour, là encore, retrouver les cohérences et les évidences géo-historiques desquelles découlent les fonctionnalités contemporaines.
Bref! les conclusions de Monsieur Chalard gagneraient en pertinence s'il cessait de faire de la géographie à l'aveugle, c'est-à-dire, en ignorant les lumières de l'Histoire.